Héros de légende : César

César donna le présent à l’un de ses serviteurs avec l’ordre de distribuer l’argent aux spectateurs les plus pauvres. Puis, sous les ovations et les bénédictions, entouré de ses amis, il franchit l’enceinte de la ville par la porte Carmentalis.

La maison des César était située à Subure, un quartier populaire. La nouvelle de son exploit s’était répandue, si bien que les gens l’acclamaient au passage. Des jeunes filles lui lançaient des fleurs de papier qu’il essayait d’attraper au vol en riant.

Dans la demeure, le clan était réuni. Ses cousins manifestèrent leur joie avec bruit. Seule Aurélia, sa mère, l’accueillit avec sévérité. En présence de cette femme orgueilleuse et austère, César se sentit intimidé.

– Mère, j’ai remporté la course tibérine.

– Je sais.

Sa réaction jeta un froid dans l’assistance. Allait-elle quitter les lieux sans un mot de félicitations ? Elle sembla hésiter, puis lança :

– Tu es courageux, Julius, mais apprends à réserver cette vertu à des causes plus dignes de nous.

Ce fut tout. César la vit disparaître, mortifié. L’un de ses cousins tenta de le consoler :

– Ne l’écoute pas.

César le repoussa avec humeur.

– Elle a raison. Un jour, je franchirai des fleuves beaucoup plus dangereux.

– L’Achéron ? pouffa son cousin.

César le menaça du doigt. L’Achéron, fleuve des Enfers !

PREMIÈRE VICTOIRE

Printemps 88 avant J.-C.

Le quinzième jour avant les calendes* d’avril, 18 mars 88 avant J.-C., une foule considérable était réunie sur les bords du Tibre, à Rome. Pendant un mois il avait plu presque sans interruption et le fleuve ressemblait à un torrent furieux.

Ce jour-là, le beau temps de retour favorisait un spectacle qui revenait chaque année vers la même époque : les meilleurs nageurs de chaque quartier de la cité devaient franchir le fleuve d’une rive à l’autre, en aval de l’île Tibérine, afin d’honorer Tiberinus, le dieu du fleuve. Cependant, devant les flots déchaînés, reflet présumé de la colère divine, le pontife* qui présidait la cérémonie avait envisagé d’annuler la course.

Il avait fini par céder sous la pression populaire. Entouré de sénateurs et de magistrats, il observait d’un œil réprobateur les milliers de spectateurs massés le long des remparts, de l’île jusqu’aux entrepôts marchands.

Les nageurs n’étaient plus que huit. Tous les autres candidats, effrayés par le grondement des eaux, les tourbillons et les débris arrachés aux berges, avaient renoncé.

– Varinus !

Le champion interpellé salua la foule. Il avait remporté l’épreuve, l’année précédente, et, grand favori, il n’avait pas peur du grondement du fleuve. Ses rivaux semblaient plus nerveux. Alignés sur le ponton réservé au départ, ils examinaient l’eau brune qui fouettait les planches et évaluaient l’endroit où ils risquaient d’atterrir, sur l’autre rive, plusieurs centaines de mètres plus bas.

– Folie ! murmura le pontife.

– Ils ne risquent rien !

L’un des magistrats désigna du doigt les cordes enroulées autour de la taille des nageurs. De robustes esclaves tenaient leur extrémité, prêts à retirer du fleuve les candidats en difficulté.

– L’eau est glacée.

– Ces garçons ont l’habitude.

Le martèlement des bottes et les tintements du fer se mêlaient aux cris d’agonie. Depuis six jours, les rues de Rome, livrées aux légions, étaient le théâtre de combats sanglants.