Rappelons en avant propos qu'à l'époque de
Jean Meslier, on écartelait pour athéisme, on excommuniait pour panthéisme avec mort sociale à la clé, ou on écopait d'un mois de galère pour avoir en sa bibliothèque un livre mis à l'index par l'Eglise.
Texte fondateur affirmant l'athéisme et l'anticléricalisme de son auteur et dénonçant la grande fiction du christianisme, ce testament est aussi courageux qu'étonnant puisqu'écrit par un curé de campagne qui officia toute sa vie durant dans un village des Ardennes et dont on a ni portrait ni tombe.
Malgré et peut-être grâce à ce statut social rural isolé,
Jean Meslier a fréquenté assidument sa bibliothèque peuplée des classiques grecs, de Vanini,
Montaigne, de la Boétie et de leurs héritiers libertins érudits.
Ce soliloque posthume très foisonnant, souvent rageur, massacré par
Voltaire qui en a assuré une diffusion corrigée déiste (lire la lettre de 20 pages de
Meslier qui résume son testament et en redonne la vraie teneur), est non seulement une dénonciation mais aussi une proposition. Tout y passe : la fiction de Dieu, son église, le Christ, les Evangiles, ses prêtres qui vivent de l'impôt.
Meslier attaque la domination sans partage des monarques, princes et affidés, notables, tous complices de l'Eglise. Seuls ont grâce à ses yeux les pauvres, les faibles, les femmes, les animaux, bref tout ce qui subit l'exploitation au service des pouvoirs politiques, économiques et religieux.
Si les propositions de l'abbé
Meslier ne sont pas structurées et argumentées selon les canons universitaires de l'époque (ça se presse puis ça gambade, ça vient, ça repart, ça se chevauche et
Meslier souvent nous perd, mais l'idée reste limpide), il n'empêche qu'il pose sur la table des thèmes d'une modernité inouïe, affirmant la naissance d'une pensée, d'une politique et d'une éthique post chrétiennes : révocation de la folle souffrance chrétienne pour un bonheur collectif ici et maintenant, mise en avant des lumières de la raison contre les délires de la foi et les vanités des prophéties, relocalisation et autonomisation du pouvoir centralisé vers les cités, union libre et librement consentie, conformation aux enseignements de la nature pour reconstruire une morale, sachant que l'âme est matérielle et mortelle…
Si
Jean Meslier fut athée et Uriel da Costa panthéiste, ils sont pourtant deux dynamites philosophiques à rapprocher, il me semble, dans leur courage intellectuel : deux hommes solitaires, deux écorchés à contre courant et qui ont pensé de façon autonome, furieusement et intensément. Si Uriel da Costa s'en est suicidé, le curé
Jean Meslier a attendu sa fin pour se délivrer du silence d'une vie schizophrénique, telle une ultime et libératrice confidence faite au monde.
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