« Dire que la vie de Madame Mercedes Hearing est romanesque me semble bien aimable, à la lecture des épisodes de l'existence chahutée, tragique, bouleversante de l'héroïne ; même si c'est la voix d'un narrateur qui rapporte fidèlement les situations et les événements ne pouvant que nous faire penser à un roman... noir. Seulement, ici nous ne sommes pas dans le roman, mais dans le récit authentique d'une vie hors du commun que je qualifierais de dramatique et qui ne peut que nous émouvoir, tant le vécu est poignant, terrible et, disons le mot, cruel pour tous ceux et toutes celles qui ont laissé faire ! »
Ainsi débute la préface de
Jean Zermatten, ancien juge des mineurs et ancien membre et président du Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Et je le trouve bien gentil : en plus de dramatique, terrible et cruel, j'ajouterais intolérable, impensable et insoutenable.
Mercedes est une petite fille que sa mère n'a jamais pu souffrir : brimades, insultes, moqueries, privations sont son quotidien depuis sa naissance.
À cinq ans et demi, Mercedes doit suivre un homme dans sa cave et le "caresser". Idem avec le marchand de légumes dans sa charette. C'est ainsi qu'elle rembourse les dettes de sa mère...
À onze ans, victime d'un viol perpétré par un ami de la famille (je vous rassure, il a été condamné !), elle tombe enceinte. Devenue la honte de la famille, sa mère la "place" ailleurs. D'une enquête à une autre, les autorités prennent conscience de sa situation familiale et ôtent toute autorité aux parents.
Mercedes accouche d'un petit garçon, qui sera adopté par... la femme de son violeur...
De centres en orphelinats et en asiles d'aliénés, Mercedes est déplacée tel un pion d'échiquier jusqu'à sa majorité.
De retour chez sa mère, elle se débrouille pour ne pas y rester longtemps.
Mariée une première fois avec un alcoolique infidèle, mariée une seconde fois avec une petite crapule violente, elle goûtera à la prison et à la prostitution.
De son premier mariage, elle a une fille à qui on lui enlève l'autorité... pour la confier à sa mère... Elle a une seconde fille, qu'elle finit par placer, faute de moyens et de temps.
Entre une mère destructrice et des hommes avilissants, Mercedes attendra longtemps avant qu'elle ait enfin droit à une existence plus apaisée, avant de rencontrer les bonnes personnes...
Mercedes a aujourd'hui 83 ans. Son médecin lui a conseillé de raconter son histoire, afin que son corps endolori se soulage un peu...
J'en sais gré à Mercedes Hearing de ne pas avoir voulu raconter son histoire elle-même. Une narration à la première personne, sans doute trop immersive, m'aurait été impossible. le schéma narratif de
Grégoire Montangero, bien que sincère et percutant, m'aura au moins permis de prendre quelque distance et épargné des larmes à tout-va.
Mais n'allez pas vous imaginer que je n'ai pas été touchée par l'histoire de Mercedes. Au contraire, j'ai eu le coeur déchiré à chaque étape de sa vie, à chaque coup du sort, à chaque malheur qu'elle a subis.
Maltraitance, privations, mendicité, viol et pédophilie, abandon, puis violences conjugales, prostitution, prison, et j'en passe... Ce livre est pourrait-on dire une "ode à la résilience"...
Le récit est dur, poignant, terrible et ne peut laisser indifférent. Il ne fait pas 200 pages mais c'est largement suffisant : il regorge d'intensité tant dans les émotions transmises que dans la noirceur des événements décrits. Je peux vous assurer qu'on n'en demanderait pas davantage...
Je souligne un petit bémol concernant ma lecture : j'ignore si cela vient de la narration faite par un tiers ou de la résignation de Mercedes face à la fatalité, mais j'ai tout de même trouvé cette dernière très distante envers ses enfants. Est-ce parce que l'auteur a fait le choix de ne se centrer que sur Mercedes ? Est-ce parce que Mercedes n'a pas voulu trop impliquer ses enfants ? Elle dit ne plus souvent les voir, qu'ils lui reprochent d'avoir mal choisi les hommes de sa vie, qu'eux-mêmes ont mis de la distance entre elle et eux. Est-ce qu'elle a voulu respecter cette distance ? Quoiqu'il en soit, on ne ressent pas assez, dans ce récit, la relation qu'une mère peut avoir avec ses enfants, son amour pour eux, ses regrets d'avoir dû se séparer d'eux.
Mais le seul vrai défaut de ce livre, c'est sa première de couverture, représentant "La vie", peinture de
Pablo Picasso. Certes, l'auteur donne un sens à ce choix en faisant un parallèle avec la vie de Mercedes Hearing. Mais je trouve malhonnête de mettre à l'honneur un homme qui a détruit toutes les femmes qu'il a côtoyées pour parler du destin d'une femme avec qui les hommes n'ont pas été tendres. Malhonnête, mais aussi contradictoire, inadapté et inconvenant.
Reçu et lu dans le cadre de la masse critique non-fiction de février, je remercie Babelio pour la sélection et les éditions d'En Bas pour l'envoi de cet ouvrage.