Un train en hiver est un livre documentaire sur la seconde guerre mondiale et plus précisément, sur l'occupation allemande dans Paris. Il met en avant – sur fond de gouvernement collaborationniste – le courage de femmes entrées dans la résistance. Il retrace le parcours de chacune d'elles et a la belle idée d'être ponctué de photographies, ce qui nous permet de voir l'Histoire sous les traits d'individus et donc, de personnifier leur courage.
La seconde partie de cet ouvrage nous dévoile la déportation de ces femmes (dont celle de
Charlotte Delbo) faisant partie du convoi dit des 31.000, à Auschwitz-Birkenau. Sans surprise, mais toujours avec émotion, nous lisons les terribles épreuves qu'elles ont dû traverser : le froid, la faim, les coups, la peur, la maladie,…
Enfin, je dis sans surprise, mais c'est faux. Nous croyons avoir tout lu des horreurs qui ont été perpétrées, mais non, il s'en trouve toujours de nouvelles pour nous glacer le sang et nous désespérer de l'âme humaine.
Et, contrairement à ce que nous narrait
Primo Levi où la loi de la survie prévalait sur toute forme de solidarité (il ne s'agit pas de mettre en doute sa parole, bien sûr, d'autant qu'il était Juif – leurs conditions de vie et le traitement qu'on leur réservait étaient les plus dures du camp – mais ma surprise vient du fait que justement cela pouvait être différent suivant le contexte), ici il est question de soutien, de solidarité, de forces à se donner mutuellement. C'est donc rassurant qu'il y ait pu avoir dans cet enfer sur terre, une partie des gens qui l'aient vécu en ayant pu préserver cette part d'humanité. C'est toujours quelque chose que les Allemands ne leur ont pas pris.
Les quelques rares survivantes du convoi des 31.000 furent ensuite transférées au camp de Ravensbrück, qui, s'il n'était pas un camp d'extermination, menait, par l'épuisement du travail forcé et les épidémies, à la mort.
Le livre nous parle aussi d'Adélaïde, médecin psychiatre, enrôlée malgré elle aux expériences médicales nazies des camps d'Auschwitz et de Ravensbrück contre lesquelles elle a osé s'opposer de participer.
Ce qui a permis à ces femmes de tenir, c'est l'amitié et la solidarité qui les liaient. Arrivé le jour de la libération, rêvé comme un moment de joie intense, c'est la désillusion : « Au cours de ces deux années et trois mois passés dans des camps allemands, elles avaient souffert du froid, de la faim et de la peur, elles avaient été malades et tristes, elles avaient vécu dans la saleté extrême. Elles avaient été témoins du pire et du meilleur de ce que la vie avait à offrir : la cruauté, le sadisme, la brutalité, la trahison, le vol, mais aussi la générosité et l'altruisme. (…) Elles étaient toutes marquées par une ambivalence. Elles avaient l'impression de ne plus être les mêmes personnes et, en repensant aux femmes qu'elles avaient été, pleines d'espoir, d'assurance et d'euphorie, elles s'émerveillaient de leur innocence et de leur confiance en l'avenir. Il n'y avait plus aucune trace d'innocence en elles ; et il n'y en aurait plus jamais.
Après avoir vécu ensemble si intensément, dépendantes les unes des autres pour survivre, elles étaient maintenant séparées (…). C'était cela, la liberté, cette solitude intolérable, cette chambre, cette fatigue ? ».
Car bon nombre de leurs proches avaient péri et le retour à la vie marquait aussi la tragédie de la perte des êtres aimés. Et pour ceux qui étaient en vie « Les familles étaient devenues des étrangers, les enfants avaient tant changé qu'il était difficile de les reconnaître et ils étaient méfiants à l'égard de ces femmes qu'ils ne connaissaient pas et qui prétendaient être leurs mères. »
Le documentaire nous parle aussi de l'après : « le problème qui se présentait désormais à toutes les survivantes était de trouver la force de refaire leur vie, de raconter à leurs familles ce qu'elles avaient vécu. Auschwitz et Ravensbrück, comme l'expliquerait
Marie-Claude, étaient tellement extrêmes, tellement incompréhensibles, c'était une expérience si peu familière, que les femmes ne pensaient pas avoir les mots pour les décrire. Et elles découvrirent bien vite que les gens n'étaient pas tous disposés à les écouter. »
Vint ensuite la recherche des coupables, notamment les collaborateurs, nombreux, qui ne seront pas tous inquiétés et pour la plupart assez rapidement libérés. Puis le procès de Nuremberg est abordé, avec
Marie-Claude pour seule survivante du convoi des 31.000 à témoigner. « Plus tard, elle dirait que, assise dans le box des témoins, face à Göring, Keitel, Dönitz et von Ribbentrop, elle s'était dit : « regardez-moi bien car, à travers mes yeux, des milliers d'yeux vous regardent, et, par ma bouche, des milliers de voix vous accusent. »
Pour finir, tandis que les déportés pour actes de résistance étaient glorifiés (cette reconnaissance allant par contre bien peu aux femmes résistantes !) et les déportés « raciaux » oubliés, il ne restait que des humains meurtris à jamais « Je n'avais plus le droit d'être malheureuse, écrivit une déportée. Mais aucun plaisir ni aucune joie ne pouvait compenser les souffrances que j'avais endurées. J'ai rapporté le camp avec moi, et pourtant je me sens complètement seule. » « du dehors, je suis un vivant parmi les vivants. (…) Je ne suis pas vivante. Je suis morte à Auschwitz et personne ne le voit. »
Au travers de ce long billet, vous l'aurez compris,
Un train en hiver, est un livre à lire absolument.