On ne présente plus la célèbre série antiquisante du grand
Jacques Martin commencée en 1948 (et oui, ça ne nous rajeunit pas !), dédiée aux aventures d'Alix, l'intrépide gaulois, et d'Enak, son fidèle compagnon égyptien, qui se déroulent aux temps des guerres civiles romaines au Ier siècle avant Jésus-Christ…
Les dessins old school en lignes claires sont précis et minutieux, nous offrant des reconstitutions nettes et souvent somptueuses de l'Antiquité. Mais ces dessins ont aussi les défauts de leurs qualités : au-delà d'un tout petit cercle de personnages c'est la guerre des clones, et c'est tellement old school qu'on peut aussi tomber dans la Vieille France avec la faible place dévolue aux femmes (parfois sinon souvent dessinées comme des hommes avec une poitrine). C'est là qu'on mesure la différence de génération entre Jacques Martin et son héritier Gilles Chaillet, qui n'a eu de cesse d'étoffer sa galerie de troches et qui savait mieux croquer la gent féminine. Et j'ai toujours été surpris qu'un auteur aussi minutieux quant à sa documentation s'adonne aux Images d'Epinal des pepla hollywoodiens (genre les esclaves galériens qui n'ont jamais existé, les sacrifices humains phéniciens qui n'ont jamais existé, la reine Cléopâtre qui était macédonienne et pas égyptienne… mais on n'en reparlera dans les tomes concernés ^^).
On notera aussi que la série n'a jamais pu exploiter ou développer son background, ce qui n'est pas absolument pas gênant initialement pour une série d'aventures historiques, mais on n'a jamais su passer le cap du serial pour concocter un vrai bon feuilleton. du coup les 10 premiers épisodes sont excellents, mais ensuite c'est en dents-de-scie… avant une édulcoration un peu enfantine à la fin des années 1990, concomitante du développement et de la diffusion d'une adaptation animée de bien faible voire médiocre qualité, il faut bien l'avouer !
Enfin, je ne sais pas si c'est dû au papier glacé ou à la colorisation, mais je reste nostalgique des premières éditions… ^^
"Le Fleuve de Jade" constitue le 23e tome de la série, 4e opus où
Jacques Martin passe partiellement la main, en étant ici assisté aux dessins par
Rafael Moralès et
Marc Henniquiau (dont les différences avec leur mentor ne se voient que lors des gros plans) . Et force est de constater qu'il s'agit tome particulièrement faible pour ne pas dire complètement dispensable.
Cette nouvelle aventure sur la terre des pharaons pioche lourdement et maladroitement dans "Le Prince du Nil" et "Ô Alexandrie". L'édulcoration pour ne pas dire l'infantilisation de la série continue, alors même que se multiplie les scènes de bains, les poitrines dénudées et autres indigènes quasi nues (la palme revenant à ces princesses africaines vêtues de la tête aux pieds mais les seins à l'air quand même…). Parmi tous les trucs clichés, ce qui m'a prix marqué, c'est que dans une série où les personnages féminins ont longtemps brillé par leur absence, les auteurs nous offrent dans cet épisode 3 cagoles pour le prix d'une :
- la légendaire Cléopâtre (qui était grecque et non orientale comme l'a présentée la propagande augustéenne) est dépeinte comme une pétasse vénale et narcissique qui change d'avis comme de chemise (surtout quand il s'agit de pouvoir et d'argent, car bien entendu les femmes ne pensent qu'à ça)
- comme l'intrigue se déplace d'Egypte en Méroé, elle est remplacée en cours de route par le princesse à Markha qui s'entiche d'Alix au premier regard au point de vouloir s'enfuir avec lui à Rome, qui elle aussi change d'avis comme de tunique
- de la même manière Enak, ses caprices et ses états d'âmes d'adolescente rebelle peuvent devenir assez pénibles
Et on retrouve également les méchants de pacotille à la Disney qui évoquent leurs plans plus stupides que machiavéliques à voix haute et à grands renforts de « ha ! ha ! ha ! »…
Le scénario est un pur prétexte à l'histoire d'un aller et d'un retour.
Djerkao, prince de Méroé, veut marier sa soeur Markha à Enak, prince de Menkhara (pour des raisons politiques qu'on peine à cerner) ; et Cléopâtre accepte d'attirer notre duo dynamique dans ses filets pour des motifs bassement pécuniaires. En route pour Méroé dans le but d'éclaircir la situation, nos héros constatent qu'ils sont davantage prisonniers qu'invités.
C'est donc avec joie qu'ils reçoivent de la complicité pour s'échapper. La suite n'est qu'une cavale peu palpitante, remplie de péripéties sans grand intérêt autre que mettre en scène la faune sauvage africaine : éléphants, rhinocéros, buffles, hippopotames, crocodiles, lions, guépards, hyènes, chacals, babouins, chimpanzés, vautours, flamants, ibis… Un vrai safari qui ressemble plus à un loto des animaux qu'autre chose !
Au vu du nombre de passages animaliers, on pourrait se croire dans un mélange entre Tarzan et Daktari si on ne tombait pas dans la fantasy jeunesse à la Papyrus avec ses hommes-lézards géants qui sortent de nulle part et ne servent à rien à part amener quelques péripéties de plus, ici assez capillotractées dans une série qui s'est toujours voulue « sérieuse » !
On retrouve finalement Qâa qui ne sert pas à grand-chose dans ce tome qui se clôt et un cliché de plus avec un énième caprice d'enfant pourri gâté de Ptolémée XIII (qui ressemble de plus en plus au prince Abdallah, la peste de "Tintin au pays de l'or noir" ^^) qui recours à nouvelle tentative d'empoisonnement pour faire chier sa grande soeur et épouse dynastique…
En résumé un épisode médiocre, vite lu et vite oublié et c'est très bien ainsi… J'aurai bien mis une étoile seulement pour ce qui constitue de loin un des plus mauvais tome de la série, mais je cela n'aurait sans doute pas fait honneur aux jolis dessins consacrés aux monuments d'Alexandrie, d'Egypte ou de Méroé ainsi qu'aux paysages et aux animaux de la savane.