L'Intendant Sanshô est peut-être l'oeuvre la plus connue de
Ogai Mori. Ce récit aux allures de nouvelle (environ 50 pages grand format) doit largement sa célébrité au film de
Kenji Mizoguchi tourné en 1954. Ce texte est ici accompagné d'un autre récit, le clan Abe.
L'intendant Sanshô voit une mère, ses deux enfants (sa fille Anju et son fils Zushiô) et une servante marcher sur des chemins dangereusement fréquentés, partant à la recherche du père, Mutsunojô Masauji, ancien gouverneur de la région et disparu depuis douze ans, exilé. Un homme se propose de les aider. S'apprêtant à coucher sous un pont au bord d'une rivière, un bâtelier les aborde et après les avoir hébergés chez lui pour la nuit, se propose de les acheminer par bateau. Rapidement, il va les trahir, les vendant à deux autres bâteliers concurrents, qui vont embarquer dans des directions opposées, l'un, les deux enfants, l'autre, la mère et la servante, celle-ci se suicidant rapidement en se jetant à l'eau. La famille est impitoyablement séparée. Les deux enfants vont être menés chez le seigneur de la région,
l'intendant Sanshô, qui va les maintenir captifs et les obliger à travailler, filant la soie et battant la paille. Rêvant d'évasion, ils parviennent à exfiltrer Zushiô, Anju se noyant pour faire diversion. Zushiô, protégé par son amulette de Jizô porte-bonheur, bénéficie de la complicité d'un évèque en lien avec l'empereur, et va quelques années plus tard devenir gouverneur de la région sous le nom de Masamichi, donc devenir plus puissant que
l'Intendant Sanshô, contraint d'affranchir ses esclaves. Zushiô Masamichi va bientôt entreprendre de rechercher sa mère sur l'île de Sado où elle avait été débarquée…
Un récit agréable et une histoire marquante qui m'a cependant laissé un peu sur ma faim du fait du style un peu sec, sans description de paysage, d'ambiance, de psychologie des personnages : l'auteur va droit au but, à l'action, ce qui est bien caractéristique du format nouvelle et non d'un roman. C'est efficace car l'action n'est pas freinée, rondement menée, mais le lecteur ne peut s'attacher aux personnages, maintenu à distance. En outre, j'ai été également surpris de rôle finalement secondaire de
l'Intendant Sanshô.
Le second récit, le clan Abe, ne manque pas d'intérêt non plus. le récit prend place vers 1640, au temps des shoguns Tokugawa, qui ont lutté pour l'unification du pays. Les samouraïs sont au service des seigneurs régionaux, les daimyos. Lorsque Tadatoshi Hosowara, daimyo de Kumamoto sent qu'il va mourir, la règle veut qu'il autorise nominativement certains de ces samouraïs à se suicider selon le rituel du seppuku. Dix-huit le seront, et passeront à l'acte. Mais un autre, Michinobu Yaïchiemon, chef du clan Abe, entend bien le faire aussi, alors que son maître ne l'a jamais autorisé, souhaitant qu'il serve son successeur, son fils Mitsuhisa. Malgré les pressions, Yaïchiemon se suicide, laissant l'instruction aux cinq fils de s'entendre pour préserver l'avenir du clan Abe. Mais l'aîné est rapidement exécuté pour avoir insulté la mémoire du daimyo défunt Tadatoshi. le sort des quatre autres semble scellé. Se retranchant dans une forteresse, ils vont être attaqués par les combattants du daimyo. La bataille sera sanglante, le clan Abe y survivra-t-il ?
Un récit haletant dans sa partie finale, qui pour un peu m'aurait plu davantage que le récit présenté comme principal. Il est cependant pénalisé par la litanie des dix-huit suicidés initiaux, que l'auteur nous présente un à un, en précisant le salaire qu'il percevait au service du daimyo, ce qui s'avère assez ennuyant, d'autant qu'on se perd complètement dans la profusion des noms et prénoms, l'organigramme et la filiation de tout ce beau monde.
Malgré les points faibles déjà relevés, ces nouvelles présentent d'indéniables qualités, à commencer par le rythme, le caractère de récits d'aventures épiques, et une écriture de bonne facture, simple, directe, sans emphase. Surtout, elles plongent le lecteur dans la fascinante période du shogunat, avec ses règles particulières, sa structure sociale, et des personnages ayant le sens de l'honneur, qui n'hésitent pas à mourir pour une cause et pour leur seigneur. Au finale, une lecture plaisante, d'un des écrivains témoins de la fin de l'ère Meiji, marquée par l'ouverture du pays à l'occident.