Cette anthologie au format de poche est vraiment intéressante par sa diversité. Elle propose, dans mon édition de 2020, onze nouvelles japonaises écrites durant l'ère Taishô (1912-1926).
Jean-Jacques Tschudin décrit dans l'introduction très éclairante une "société effervescente et tiraillée " entre des enseignements séculaires et les exigences pragmatiques de la modernisation. Les écrivains interrogent cette société, se demandent quelle est leur place, forment des courants ou font bande à part. le courant dominant c'est le naturalisme mais il n'a pas le même sens que chez nous. Il s'agit surtout de décrire sa propre vie en « arrachant les masques ».
J'ai beaucoup aimé la plupart des nouvelles, extrêmement diverses, avec quelques préférences :
1) Les Noix glacées de
Izumi Kyôka (1924) *****
Un voyageur exalte la féminité gracieuse d'une jeune pâtissière mariée qui lui sert des friandises aux noix. Cet instant magique extrêmement poétique se transforme subitement en vision fantastique. La belle a fait tomber deux noix...
2) Feu d'artifice de
Nagai Kafû (1919) ****
Dans cette nouvelle, Kafû se présente comme un individu indépendant, en marge, tapissant son cabinet d'écrivain de collages pendant qu'à l'extérieur, on célèbre avec un feu d'artifice le traité de Versailles. Il se remémore toutes les fêtes organisées par le gouvernement depuis la promulgation de l'ère Meiji. Il critique l'occidentalisation autoritaire et superficielle imposée par le gouvernement japonais. Images saisissantes des geishas obligées de défiler en criant banzai et qui sont piétinées par les gens. Silence assourdissant des hommes de lettres quand l'écrivain anarchiste Kotoku et ses compagnons sont exécutés . Kafu n'a rien dit lui non plus et éprouve une telle honte qu'il décide d'abaisser son art au niveau de celui des "divertisseurs d'Edo". Il n'a d'autre recours que l'exil intérieur. Mais cette attitude radicale est bien celle d'un combattant.
3) L'Enfer des miroirs de
Edogawa Ranpo (1926) ***
j'ai trouvé que la nouvelle mettait un temps fou à démarrer. Pas la meilleure que j'aie lu d'
Edogawa Ranpo mais elle est quand même extraordinaire, insolite et complètement frapadingue. Elle raconte l'histoire d'un ami du narrateur obsédé depuis l'enfance par les miroirs. Il en devient fou au point de...
4) La Serviette de cuir de Tokuda Shûsei (1926) ****
Une nouvelle naturaliste délicate et tendre mettant en scène un couple dont la femme est malade. Elle décrit les sentiments et les émotions du mari un peu puéril au début (il veut s'acheter une serviette de cuir pour parader) puis sa prise de conscience ainsi que la pudeur et le fatalisme de la femme.
5) La Mouche de
Yokomitsu Riichi (1923) *****
Une nouvelle avant-gardiste à chute . Elle adopte différents points de vue dont celui d'une mouche qui s'est posée sur le dos d'un cheval de relais. Tout le monde attend que le cocher maniaque ait mangé sa brioche...
6) La Prostituée de Hayama Yoshiki (1925 ) *****
Nouvelle naturaliste prolétarienne (voir billet dédié)
7) La Foi de Wei Cheng de
Akutagawa Ryûnosuke (1919) *****
Une belle nouvelle mélancolique aux allures de vieille chanson chinoise. Wei Cheng attend sans fin sur un pont où tombe la nuit une amante qui jamais ne vint. L'eau monte. La clé de l'histoire, très symbolique, est révélée à la fin.
8) le Testament d'Okitsu Yagoemon de Mori Ôgai (1912) *
Mori Ogai a été marqué par le suicide de fidélité de son ami, le général Nogi à la mort de l'Empereur Meiji en 1912. Il écrit alors cette nouvelle qui inaugure une longue série de chroniques historiques. Ce Testament m'a bien barbée. Il est écrit dans un style archaïsant et truffé de références généalogiques bien casse-pieds. Au milieu de tout ça, il est question de loyauté, de sacrifice et de suicide. Rendez-moi
L'Oie sauvage !
9) Voie ferrée de
Tayama Katai (1912) ****
Une petite nouvelle naturaliste de l'auteur de
Futon, qui était d'origine modeste. Un drame a eu lieu sur la voie ferrée. le train s'est arrêté. Réactions diverses des voyageurs. le train repart. On passe à autre chose.
10)
le Citron de
Motojirô Kajii (1924) *****
Une nouvelle poétique magnifique, sensorielle, subtile et ludique d'un homme qui se sait condamné. Je conseille la lecture du recueil éponyme qui contient huit nouvelles.
11) le Ki-lin de
Tanizaki Junichirô (1910)***
Une nouvelle pseudo historique, très exotique et anti-naturaliste du jeune Tanizaki qui contribua à le faire connaître.
Confucius arrive au pays de Wei précédé de sa réputation de sage. le roi ling lui demande de bons conseils. "si vous aspirez sincèrement à la vertu propre au souverain, surmontez d'abord vos propres désirs. " le souverain met en pratique les recommandations du sage mais ce n'est pas du tout du goût de sa voluptueuse et ensorcelante épouse...