Au siècle dernier, alors que je concluais un commentaire sur «
Un coeur simple », j'affirmai avec véhémence que cette nouvelle dénuée de toute ironie aurait pu s'appeler l'Evangile selon
Flaubert. Et je me souviens encore de l'annotation dubitative de mon professeur : « Si vous voulez ».
Autant dire que quand Masse critique a proposé cette somme de
Steve Murphy, catalogue interprétatif quasi exhaustif d' «
Un coeur simple », j'ai sauté sur l'occasion. Alors avais-je raison ?
Quand on vous dit que c'est complexe...
Première impression : pas loin de 400 pages pour un texte qui doit en faire 50 à tout casser. le ratio est excellent et même si parfois je me suis sentie comme le béotien à qui un gourou démontre que la hauteur du Titanic divisée par l'âge du capitaine annonçait l'iceberg, je dois dire que j'ai le plus souvent oscillé entre joie de la révélation et auto-flagellation (Mais bon sang c'est bien sûr ! Comment ai-je pu ne pas m'en apercevoir ?). Toute critique littéraire de bonne facture se lit comme un polar d'
Agatha Christie et nous met au défi de trouver les indices avant Hercule Poirot (qui dispose, outre de ses célèbres petites cellules grises, des brouillons de
Flaubert, ce qui lui donne quand même une longueur d'avance).
Ce qui est excitant, déjà , c'est la brièveté de l'oeuvre analysée et le sentiment qu'on va peut-être pouvoir en faire le tour. En tout cas, la table des matières semble ne rien laisser de côté et la bibliographie est dense.
Premier rappel: l'histoire de Félicité s'inscrit dans son époque et si l'on superpose les dates de sa biographie et celles des événements politiques, c'est la première moitié du XIX° siècle qui s'incarne avec Mme Aubain, de la fin de l'Empire à l'avènement du
Louis-Philippe. Et Loulou le perroquet-Saint-Esprit a bien des choses à nous dire sur la désacralisation de la royauté.
Deuxième rappel: l'écrivain choisit avec soin le nom de ses personnages, et analyser « Au bain » ou « Colle vil(le) » ou encore « Bour(r)ais » est un plaisir quasi holmesien.
Troisième rappel: l'écriture littéraire est toujours métaphorique et le lecteur n'oubliera pas de s'interroger sur l' « inégalité » des planchers dans la maison de Mme Aubain ou sur son baromètre, propre à déterminer des tempéraments tout autant que des températures.
Quatrième rappel: une oeuvre est comme une scène de crime, purement factuelle si l'on se contente de regarder sans voir, mais ouverte aux déductions pour qui observe et met en relation. Alors, on pourra reconstituer le viol tenté par Théodore sur Félicité ou la mort de Victor saigné aux quatre veines.
Cinquième rappel : on se souviendra que
Flaubert est un grand ricaneur devant l'Eternel et on vérifiera, par exemple, que la vierge Félicité manque de se faire dépuceler pour la fête de l'Assomption ( alors même qu'elle n'a pas encore fait la connaissance du Saint-Esprit, la bougresse). Et on rougira de ce qu'elle envoie des « mottes » au nez d'un très viril taureau.
Bref, Gustave est un grand homme, dont les sarcasmes visent son époque en épargnant Félicité et
Steve Murphy est son prophète. Mais si j'ai adoré ce livre, je me dois de préciser qu'il s'adresse à un public averti, j'entends par là un public familier a minima des subtilités de l'analyse littéraire et pour qui la sodomie de diptères constitue un passe-temps délectable.