Dans "Babel, Babylone", il y a bien sûr la référence biblique elle-même liée au prénom de l'auteur puisque selon les traditions judéo-chrétiennes, Nimrod, qui régnait sur les descendants de Noé a eu l'idée de construire à Babel -souvent identifiée à Babylone- la fameuse tour.
Babel/Babylone est donc le lieu double du travail sur la langue et de la capitale méconnaissable dans laquelle le poète, d'origine tchadienne, revient après plusieurs années d'exil découvrant un pays qu'il ne reconnaît plus.
Cependant, les mots font (re)naître -à travers des images de beauté, les souvenirs de l'enfance, la rencontre de la mère et de la soeur ainsi que la figure du "père limpide" qui ferme le livre- un espace pacifié et lumineux.
Un recueil à la forme poétique et à la versification multiformes qui conduisent le lecteur tour à tour sur le chemin de la révolte et sur celui de l'apaisement.
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Où est mon pays ? Je n'ai plus de pays
Nos diplomates m'ont vendu aux plus offrants
Et mon malheur est sans bornes
Me voilà condamné à l'exil, noyé dans l'océan des misères
LES MURS
II - 8
Qui me redonnera l'odeur de la maison d'enfance
Ses murs maculés de mes peintures naïves
Cette feinte fraîcheur cette réelle présence
Quand la pénombre devient une amie de haut
lignage
J'inhale une forme d'angoisse sans lendemain
Dieu est mon orgueil je ne manquerai de rien
Toutes les peines du cœur ne valent pas
La douleur d'avoir à composer avec le soleil
L'espérance l'usure la pensée – quelle barbarie faite
Aux murs quel danger gravé sur leur partition
J'inhale une odeur de bonheur sans raison
J'inhale une forme d'angoisse sans lendemain
/…/
J'inhale une forme de bonheur sans raison
BABEL, BABYLONE
6
Au loin le remugle des cochons. Comme ces
derniers,
Nous ne dormons jamais que sur des litières de
paille.
Nous reniflons le pays. Le vendeur d'eau à la criée
Viendra déverser sur nous une douche bienfaisante.
Vendeur d'ondes, vendeur de paille, pourvoyeurs
d'infini,
Tous hommes de peine, tous magiciens du jouir...
Le soir, en des moments verticaux…
Le soir, en des moments verticaux,
la voix de ma mère mêlée à celle de mes sœurs
tisse une parole de laine,
ce charme qui retient sur le fil la sultane
lumière de choir à jamais dans l’abîme.
Elles sont altières soudain les filles. Elles
ne cèdent pas à la gravité.
Elles s’en voudraient de devenir viriles.
Le crépuscule est le refuge de la fin du monde,
mais elles font semblant de n’en rien savoir
« Car l’ombre a toujours un après-midi à brouter »,
qu’elles se disent tout bas. Elles ont résolu
de faire reluire les lampes, ces gardiennes du soir.
Quelques éclats de rire leur donnent raison.