L’autre nuit, en errant autour de la maison de ma mère …
L’autre nuit, en errant autour de la maison de ma mère, j’ai eu cette lueur : nous étions au commencement des batraciens qui barbotaient, heureux, dans le lac Tchad. Naguère, il s’étendait des rivages des Syrtes à ceux du Soudan du Sud jusqu’à la mer Rouge à l’est. Au fil d’un long ajustement, nous sommes devenus des êtres humains, jouant au football dans les clairières et les prés, à mesure que le lac rétrécissait. C’est bien plus tard que l’invention des dieux puis celle de l’Église ont accaparé notre appétence à chanter la gloire, la beauté, l’amour. Les étapes de toutes ces métamorphoses ne se peuvent conter.
EN REMONTANT LE LAC TCHAD
extrait 2
Ainsi se dessine son courant animé par un mouvement pendulaire. Alors, les eaux se répandent, heureusement endigués par le cercle magnétique terrestre qui, à l’image de l’horizon, met à contribution ses vitrines blindées en vue de les empêcher de verser hors du monde, quand les Martiens prennent le frais au crépuscule.
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EN REMONTANT LE LAC TCHAD
extrait 1
Un lac ne se remonte jamais. Il malmène la droite ligne qui va de A à B. Bien des phénomènes obéissent à cette loi, excepté ceux qui gouvernent le lac Tchad. La grande réserve d’eau est formée de panses et bagatelles, on dirait des bourses entre ses jambes de grand mâle. Un esprit mal tourné le comparerait à la démarche des femmes opulentes, qui sont de véritables océans portatifs. Le lac Tchad est une gourde que les filets des marins pêcheurs draguent sans discernement.
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En courant, je suis tout ensemble en gare de Bercy …
En courant, je suis tout ensemble en gare de Bercy (qui s’arrache à mes talons tout en étirant et raccourcissant mes pas), en Auvergne et au Tchad. Ce chevauchement de lieux et de temps me caractérisait depuis bientôt six mois. Car le voyage de Clermont-Ferrand préludait à celui de N’Djamena que j’effectuerais dix jours plus tard. J’en avais une telle conscience que c’était pour ainsi dire chose faite.
En ce qui me concerne, j’eus la sensation…
En ce qui me concerne, j’eus la sensation qu’on me dépeçait vivant et, surtout, qu’on sectionnait chacun de mes nerfs sous l’effet d’un faible anesthésiant, lequel ne m’empêchait ni de ressentir la douleur ni de voir les larmes couler à l’intérieur de moi. J’avais assisté, à mon corps défendant, à une mauvaise guillotine.