Je vais toujours avec prudence vers nos auteurs français contemporains de polars, car souvent je trouve la mécanique de leur narration surfaite et artificielle, en clair ils en font selon moi des tonnes, jouant davantage sur le registre du sensationnel que sur celui des émotions, et ce, au détriment de l'écriture. La subtilité de l'écriture a disparu derrière le vacarme des mots. Et encore, s'il y avait des mots on pourrait au moins s'en réjouir..
Mais appréciant déjà
Olivier Norek grâce à de précédentes lectures, telles que
Code 93 et le magnifique
Entre deux mondes, je suis venu ici en étant rassuré.
Surface, quel nom ! Quel titre ! Quelle histoire !
Dès les premières pages, j'ai été emporté au plus près de la réalité du terrain, celle à laquelle les personnages du roman sont confrontés. Ce roman est intelligent, intense et furieusement addictif.
Elle s'appelle Noémie Chastain, elle est capitaine à la brigade des stups au prestigieux 36, nouvellement réinstallé. Un matin, lors d'une interpellation musclée auprès d'un dealer, intervention qui se passe mal, elle se prend le tir d'un fusil de chasse en plein visage. Elle survivra mais aura cette cicatrice qui marquera à jamais son beau visage. Mais surtout ce visage déchiré renvoie à quelque chose d'insupportable aux yeux de sa hiérarchie, qui va modifier son destin professionnel...
Voilà, le constat est cruel, impitoyable, cynique. Avec une telle blessure, ce visage mutilé comme à la guerre renvoie comme une claque sur l'honneur de la police, la honte, l'échec qui rappelle qu'elle n'a pas su être protégée par son équipe, la culpabilité donc, la peur aussi... Saura-t-elle de nouveau dégainer son arme sans trembler ?
Est-ce que tout doit s'arrêter à la
surface d'un visage désormais abîmé ?
Les premières pages sont une immersion dans l'intimité de ce que ressent Noémie Chastain. Son retour à la vie. Sa prise en charge psychiatrique auprès de ce médecin le docteur Melchior, magnifique personnage fin et empathique.
Le regard des autres sur un visage qui n'est plus le même et ne le sera plus jamais, à commencer par la lâcheté de son amant Adriel et policier de son équipe qui ne peut plus supporter la vision de ce visage qu'il a aimé. La métamorphose lorsque Noémie devient No. Tout est écrit avec une sensibilité juste. Une révolte sourde remonte à la
surface de l'âme de cette femme écorchée dans sa chair, en elle aussi.
On lui propose de se mettre au vert. La voilà mutée contre son gré au commissariat de police de Decazeville, l'un des plus petits de France. Officiellement, elle vient renforcer les effectifs d'une équipe qui s'ennuie déjà, c'est dire l'ironie. En off, elle est chargée d'évaluer la fermeture possible de ce commissariat de police sur un territoire où il ne se passe pas grand-chose sur l'angle de la criminalité...
Ici les délits les plus courants sont des vandalismes contre des moissonneuses-batteuses. le dernier vrai homicide remonte à cinq ans. Plus personne ne s'en souvient d'ailleurs.
C'est dans le village d'Avalone qu'elle pose ses bagages. Avalone, le nom évoque le timbre grave et mélancolique du chanteur Bryan Ferry... Pourtant, ici c'est « un trou avec un code postal », pour reprendre le propos d'un des personnages.
Avalone, ce sont les eaux merveilleuses d'un lac, oui mais un lac artificiel. En son fond gît un village englouti, celui d'un autre Avalone, avant la construction du barrage hydraulique. En sa
surface, l'onde paraît immobile, silencieuse, d'apparence paisible comme ce territoire rural tout autour depuis la nuit des temps.
Ce séjour en ce commissariat rural se révèle plus compliqué et moins calme que prévu.
Tout paraît calme à Avalone. Pourtant un jour, remontant des eaux du lac, un fût contenant un squelette refait
surface. C'est le squelette d'un enfant disparu il y a vingt-cinq ans au moment où le village fut déplacé. L'émoi est à son comble lorsqu'on se rappelle que deux autres enfants avaient alors disparu...
C'est une histoire hantée par des fantômes, ceux de ces enfants disparus, ceux des familles meurtries. de ces eaux remontent de vieilles histoires.
C'est une descente en apnée dans les eaux profondes de ce roman addictif.
J'ai aimé ici l'écriture d'
Olivier Norek, sa manière de dessiner des personnages complexes avec justesse. En particulier, le personnage de Noémie Chastain qui n'était pas facile à mettre en scène.
L'intrigue est construite au cordeau.
C'est dans les choses à peine perceptibles que s'inscrit l'univers atypique et attachant de ce roman. Il y a une voix emplie d'humanité qui se glisse dans les mots de ce thriller, elle remonte de temps en temps à la
surface des pages.
Bon, Decazeville n'est pas "qu'un trou avec un code postal" comme il est dit dans ce roman. J'y suis passé lors de mon périple il y a quelques années sur le chemin de Compostelle. Je me souviens que le chemin serpentait au-dessus d'un coin de la ville presque désert et métallique, le long d'un terrain vague où je m'étais perdu. J'y ai gardé un souvenir merveilleux lors de cette halte. Et puis ce lieu fut aussi le théâtre d'une révolte réprimée dans les mines de Decazeville et qui a inspiré à Émile
Zola un des épisodes de Germinal. Quand même !