Voilà, je suis mort. Il y a un instant à peine, j’ai rendu mon dernier souffle. Je vous évoquerais bien la souffrance, la détresse, l’épouvante, l’agonie de mes dernières minutes, la violence autour de moi, les feux, les cris, les ombres terrifiantes. Mais là, je suis calme, perdu dans la contemplation des profondeurs sereines. Depuis ma mort cérébrale, je glisse sans effort dans un halo de scintillante lumière blanche, emporté par une valse de visages familiers : papa, maman, ma petite sœur Isa, oncle Philip, mon prof de philo de terminale, les moustaches de Friedrich Nietzsche, suivis par Lord Cazalet, l’émir Hamdan bin Arfa, mon ami Ambarish, ce pauvre Larry, le sénateur Turbid, Charles Conoy Sr., Charles Conoy Jr., Alvaro Sanchez, David Mc Dermott, Ernest T. Weir, Lakshmi Mittal, et puis Lucie... Attendez, je me souviens : Lucie était là, avec moi, juste avant ma mort. Avant et après.
Mais... d’où me vient cette béatitude ?
Peut-être suis-je enfin libéré de la peur de mourir. Et puis je perçois cette douceur immense autour de moi, ce flamboiement qui est à la fois matière, brume et beauté.
La Bête de l’Est fut une créature d’acier grondante, avide, insatiable. Pendant près d’un siècle, elle engloutit des millions de tonnes de charbon et de minerai de fer avec la frénésie d’un animal féroce. Le complexe industriel de Weirton fut le théâtre d’une orgie de feu, de froid, de souffle vital, de forces telluriques et de puissance créatrice. La sidérurgie, c’est la guerre, la paix, la religion, les vertèbres et le sang des nations.
Payot - Marque Page - Jean-Noël Odier - Beast of the East