Les religions du monde se rencontrent, bien sûr ; paisiblement parfois, mais le plus souvent à travers la confrontation et le conflit. Ces rencontres sont généralement suscitées par les activités politiques et économiques. Les guerres, les migrations, le commerce aussi bien que les rencontres individuelles de voyageurs, d'esclaves, de marchands et de missionnaires ont tous contribué aux influences réciproques des religions. La rencontre entre religions est si fondamentale qu'on peut dire, en fait, que la plupart des grandes religions actuelles en sont les fruits. Que serait le christianisme d'aujourd'hui sans le profond syncrétisme issu de ses racines religieuses juives, grecques, romaines et germaniques ? Que serait ce que nous appelons l'hindouisme sans les contributions des nombreuses religions du sous-continent indien ?
Néanmoins, ce qui s'est passé jadis grâce à une lente assimilation, une osmose, des réactions à des rencontres spontanées ou sciemment recherchées, s'est accéléré de façon radicale. Aujourd'hui, le dialogue n'est pas un luxe ou une question secondaire. L'omniprésence de la science et de la technologie modernes, des marchés mondiaux, des organisations internationales et des sociétés multinationales tout autant que les innombrables migrations de travailleurs et la fuite de millions de réfugiés - sans parler du tourisme - rendent la rencontre des cultures et des religions à la fois inévitable et indispensable. Nos problèmes actuels de justice, d'écologie et de paix exigent des peuples du monde entier une compréhension mutuelle qui est impossible sans dialogue. Cette nécessité vitale apparaît à différents niveaux.
L'individualisme moderne qui, surtout dans les pays occidentaux, s'est infiltré lentement et discrètement dans la conscience humaine jusqu'à devenir un ingrédient essentiel du mythe moderne cède peu à peu la place - en Occident même - à ce qu'on a appelé la philosophie dialogique. «Esse est co-esse», «Sein ist Dasein», «Moi et Toi sommes par essence étroitement liés», «Welt ist Umvelt», «Yo soy yo y mi circunstancia», «L'écologie, c'est l'écosophie», «Penser, c'est penser dialogiquement», «L'Homme est androgyne», «La liberté grandit avec la reconnaissance de la nécessité», «Il n'y a pas de langage privé» : ces quelques brèves formules montrent la redécouverte d'une conscience ancienne, mais à un autre niveau.
Peut-être pourrait-on résumer cette problématique en une phrase : l'homme n'est pas un individu, une monade, mais plutôt une personne, un faisceau de relations. Et les relations humaines exigent le dialogue.
Sans dialogue, sans une vie dialogique, l'homme ne peut accéder à sa pleine humanité. L'homme est un animal loquens. Mais le passage par le langage n'est pas seulement une communication extérieure ; il est, plus que tout, communion intérieure.
Hommage à Raimon Pannikar par sa fondation catalane