Ayant des racines familiales dans les Deux-Sèvres, j'ai toujours été familière du nom d'
Ernest Pérochon avec son côté rigolo et son destin tragique. Il fait partie des écrivains désuets que les boîtes à livres de nos contrées font ressurgir opportunément. C'est grâce à l'une d'entre elles que je me suis lancée dans la lecture de ce prix Goncourt 1920 qui apporta la consécration à son auteur, jusqu'alors instituteur dans son département natal.
Le roman est néanmoins plus ancien, publié en 1914, et nous peint la campagne d'avant la Grande Guerre et ses bouleversements. Sujet que l'auteur traitera dans le roman
Les gardiennes, adapté au cinéma en 2017 par
Xavier Beauvois et réédité à cette occasion.
Avec
Nêne,
Pérochon s'attache à décrire les communautés rurales de son bocage, les déterminismes qui pèsent sur les destins des personnages.
Aux relations marquées par lees travaux des champs et des accidents de la vie s'ajoute un contexte religieux très particulier à cette zone rurale enclavée: la persistance, jusqu'à nos jours, de la Petite Église, dissidents du catholicisme ayant refusé le régime concordataire.
Les préjugés et les conflits entre dissidents, catholiques et protestants attisent les rancoeurs entre les personnages qui vivent dans le vase clos du bocage.
Le drame de
Nêne aurait ou être l'objet d'une nouvelle normande
De Maupassant. La plume de
Pérochon s'attache aux personnages, rendant compte de leurs préoccupations, leurs ambivalences, leurs petits calculs, leurs passions et leurs émotions. L'écriture n'exclut pas un certain lyrisme, qui semble vouloir compenser l'âpreté du récit.
Le portrait de Madeleine, qui reporte sa frustration existentielle dans le lien maternant exacerbé avec les enfants de Corbier, m'a rappelé l'héroïne de
Mont-Oriol abandonnée par son amant et étrangère à son mari.
Les pages qui portent sur les moments partagés avec les petits, sur la jouissance de ce lien avec ces êtres prêts à s'attacher et aimer de grand coeur, sont magnifiques et révèlent la finesse psychologique et humaine de
Pérochon, qui excelle à partager ces morceaux de vie féminine sans mièvrerie ni dédain.
Malheureusement l'issue de ce drame familial et social sera tragique pour la jeune femme, victime de son statut, de sa pauvreté, de la malveillance et de la calomnie, et enfin de son ardent désir d'aimer.
Nêne est un roman triste et beau à ajouter à la liste de ceux qui parlent de la vérité des vies des femmes.