Dans quel cirque
Dans quel cirque m’entraînez-vous
Avec vos propos trop honnêtes
Pour ne pas avoir par-dessous
L’œil vitreux né de vieilles fêtes
Qui n’ont laissé que désarroi
Dans vos âmes mal préparées
À ne connaître qu’une loi,
Qu’une obéissance. Fanées
Vos premières fleurs. Ô plaisir
Tu fus cruel pour ces esclaves
Qui crurent un jour te tenir
Pour t’avoir vaincu dans les caves.
Tu me restes, plaisir. Je suis
Tout comme l’âne sa carotte
Ta bonne volonté. Voici
Le seul feu qui me ravigote.
// Georges Perros (1923 – 1978)
Alors c’est comme si
IV
Alors c’est comme si, mémoire,
Tu ne tendais plus à jeter
Sur la piste de mon histoire
Que ton cornet à dés pipés.
Au chat qui me guette à mi-vue,
Au nuage qui fait le sourd
Quand le vent siffle et le remue,
Je donne ma langue. Et la cour
Où le linge danse polka
Aux bras des balcons qui fleurissent
N’entend plus résonner mon pas
Si lourdement. Qu’ils me finissent,
Ces instants d’humble éternité
Sans méphisto ni bénitier.
// Georges Perros (1923 – 1978)
Des vers, vous écrivez des vers,
Des vers, vous écrivez des vers,
Non, mais vous délirez, jeune homme.
Avez-vous compris notre hiver,
En épique époque ne sommes.
Vous avez raison. Je confesse
Que je souffre mal. Mais si Dieu
Refuse d’aller à la messe
Qu’y pouvons-nous ? Je fais aveu
Que les discours des plénipo-
Tentiaires me tournent le cœur.
Qu’on m’en veuille ou non, tout de go.
Je m’en moque un peu. Je n’ai peur
Que d’une ombre, que d’un visage
Sans fond ni forme, mais l’enfer
N’est rien auprès de ce naufrage
Et d’où nous vient ah d’où nous vient l’air
Qu’avec peine nous respirons
Et peu à peu nous empoisonne ?
Nous en mourrons, c’est sûr, mourrons
De n’avoir confiance en personne.
Car je vous demande entre nous
D’aimer est-ce vraiment facile,
Est-ce possible ? Nos genoux
Ne risquent plus de tomber pile
Sur quelque dalle que ce soit.
Nos puretés sont à revendre.
Je me ris de ce destin-là
Et mieux vaudrait aller se pendre
Une bonne fois haut et court.
Mais je te laisse ici, poème.
Le langage est furet. Il court
Sans se retourner. Moi de même.
// Georges Perros (1923 – 1978)
Si vous me dites qu’ici-bas
Si vous me dites qu’ici-bas
Seule l’étude à quelque chance
De nous délivrer du fracas
Que fait notre corps en souffrance
Je dirai : vous avez compris
Vingt sur vingt. Mais je vous salue.
Dénaturez tous vos soucis,
Je vais prendre l’air de la rue.
Je connais vos refrains, merci.
Mais nous vivons trop mal, en somme,
Pour que j’aille y perdre mon si
Avant que le la ne se nomme.
Je veux monter la gamme, moi,
Très lentement, marche après marche,
Et si je galope parfois
C’est pour semer le patriarche
Qui prépare dans mes bas-fonds
Sa caverne méticuleuse
Deux et deux quatre font-font-font
Le sel l’œuf dur et sambre et meuse.
// Georges Perros (1923 – 1978)
Les hommes figures de cire
Les hommes figures de cire
je les embrassai quelquefois
mais à présent je peux le dire
c’était beaucoup moins chaud que froid.
Les femmes seules me donnèrent
ce qui fait reculer la mort
et qui n’en est ni le contraire
ni l’équivalent Triste sort
que le nôtre en toute innocence
nous sommes libres pas assez
pour perdre en route notre enfance
aux dents longues au cœur blessé.
Elle est en nous comme une naine
qui n’en finirait pas d’aimer
un géant que l’amour malmène
au gré d’un désir exténué.
Ô mon cœur prisonnier poitrine
que ne puis-je vous dire aller
et qu’en vous toute ma vermine
perde sa vie à trop grouiller.
// Georges Perros (1923 – 1978)
Emmanuelle Bayamack-Tam et son invité, Frédéric Boyer.
À l'occasion d'une grande journée dominicale qui célèbre à La Criée les 40 ans des éditions P.O.L, Oh les beaux jours ! a convié l'un des grands noms de ce catalogue, Emmanuelle Bayamack-Tam, qui publie aussi des romans noirs sous le nom de Rebecca Lighieri, et dont l'oeuvre, dense et d'une folle liberté, échappe à toute tentative de classification.
Récemment couronnée par le prix Médicis pour La Treizième Heure, l'écrivaine reviendra sur les thèmes récurrents de ses romans : la métamorphose, qui parcourt son oeuvre, mais aussi le rapport au corps – notamment lorsqu'il se transforme à l'adolescence –, la famille et le nécessaire requestionnement du rôle qu'on lui alloue dans nos sociétés, la religion et l'appartenance à une communauté, la question du genre et des identités multiples…
L'entretien explorera également le style Bayamack-Tam, sa capacité à mêler les voix en explorant les genres littéraires (poésie, récit, chanson…) jusqu'à les renouveler, son art singulier et assumé de laisser infuser dans ses romans toutes les lectures qui l'ont «enfantée» en littérature. La conversation portera également sur une pièce de théâtre en cours d'écriture, dont nous sommes allés filmer les répétitions, et sur son goût pour le cinéma, en particulier pour les films de Pedro Almodóvar. Il sera aussi question du roman graphique qu'elle a écrit avec Jean-Marc Pontier, et bien sûr de Marseille, ville de ses origines présente dans nombre de ses romans, avec une interview exclusive d'une patronne de bar bien connue des Marseillais…
À ses côtés, pour évoquer la richesse de son travail et sa double identité littéraire, son éditeur, Frédéric Boyer, apportera un éclairage sur cette oeuvre sans pareille.
À lire (bibliographie sélective)
— Emmanuelle Bayamack-Tam, « La Treizième Heure », P.O.L., 2022 (prix Médicis 2022).
— Emmanuelle Bayamack-Tam, « Arcadie », P.O.L, 2018 (prix du Livre Inter 2019).
— Emmanuelle Bayamack-Tam, « Je viens », P.O.L, 2015.
— Emmanuelle Bayamack-Tam, « Si tout n'a pas péri avec mon innocence », P.O.L, 2013 (Prix Alexandre-Vialatte).
— Emmanuelle Bayamack-Tam, « Une fille du feu », P.O.L, 2008.
— Rebecca Lighieri, « Il est des hommes qui se perdront toujours », P.O.L, 2020.
— Rebecca Lighieri, « Les Garçons de l'été », P.O.L, 2017.
— Rebecca Lighieri, « Husbands », P.O.L, 2013.
— Rebecca Lihieri et Jean-Marc Pontier, « Que dire ? », Les Enfants Rouges, 2019.
Un grand entretien animé par Chloë Cambreling et enregistré en public le 28 mai 2023 au théâtre de la Criée, à Marseille, lors de la 7e édition du festival Oh les beaux jours !
Podcasts & replay sur http://ohlesbeauxjours.fr
#OhLesBeauxJours #OLBJ2023
+ Lire la suite