Romans : 1953 - 1959

(p.338.)

Mon Dieu, c’est déjà une chance d’avoir trouvé Vénus. Une planète de densité comparable, de gravité voisine relativement tempérée et humide. Bien sûr, ce serait littéralement l’enfer pour vous et moi. Mais de l’enfer au paradis, il n’y a qu’un pas : une élévation de dix degrés de la température moyenne, une hygrométrie supérieure de quelques points. » Cueillant un lichen bleu-noir qui rampait le long d’une roche plate, Rafferty poursuivit : « Nous aurions pu attendre mille ans, emprunter le chemin le plus long, envoyer de colons humains un équipage après l’autre, expédier des vaisseaux innombrables. Les gens auraient péri comme des mouches, ils auraient mené des existences misérables. La nature peut se permettre ce genre de luxe, pas nous. Les gens n’auraient pas compris.

- Oui, convint Cussick. Nous en avons déjà eu la preuve.

- À long terme, les résultats auraient été les mêmes, mais aurions-nous accepté les pertes que cela impliquerait ? Je pense que nous aurions renoncé. Nous n’avons pas des milliers d’années devant nous, des millions de vies à sacrifier. La colonisation aurait fini par être abandonnée. Parce qu’en dernière analyse, nous ne voulons pas nous adapter aux autres planètes : nous voulons qu’elles se conforment à nous. Même si nous trouvions une deuxième Terre, ça ne suffirait pas.

(p.560.)

-Vous savez quoi ? dit Allen. Si vous avez le courage de vous faire connaître, je suis tout disposé à vous casser la gueule. J’en ai assez de ces accusations anonymes. Des esprits sadiques et pervers profitent de ces réunions pour arracher aux gens des détails sordides, pour souiller de leurs pattes répugnantes les actes les plus purs et les plus innocents, pour voir les pires abjections et les fautes les plus impardonnables derrière les rapports humains les plus naturels. Avant de descendre de cette estrade je veux faire une déclaration d’ordre général. Le monde serait bien meilleur sans cette inquisition sordide. Une seule de ces séances d’accusation publique fait plus de mal que toutes les copulations entre hommes et femmes depuis que le monde est monde. »

(p.778.)

« Mon garçon, j’ai une chose et une seule à vous dire. Vous pouvez faire ce que vous voulez de votre vie. Je ne suis pas là pour vous dire ce qu’il faut faire ou penser. Votre vie spirituelle est une affaire strictement privée entre vous et le Seul Vrai Dieu. Mais si vous voulez consulter des charlatans et…

- Des charlatans ? répéta Hamilton sans grande conviction.

- Des escrocs en rupture de ban. Tous justes bons pour le profane. Les gens incultes, je le sais, font volontiers appel aux psychiatres. J’ai étudié les statistiques ; c’est un spectacle désolant qui témoigne de l’ignorance générale.

(p.869.)

- Je vais vous, dit Laws, d’une voix basse, mal assurée. Essayez juste un moment d’être un homme de couleur. Essayez de courber le dos et de dire « Oui, monsieur » à tous les connards blancs qui croisent votre route, au premier cul-terreux de Géorgie venu, tellement idiot qu’il est incapable de trouver les toilettes si personne ne l’y conduit. Si je ne l’y conduit pas. Je suis pratiquement obligé de lui montrer comment baisser son froc. Essayez ça un moment. Essayez de survivre à six ans de fac en lavant la vaisselle d’hommes blancs dans un restaurant de pacotille.

(p.339.)

S’ils avaient su que nous les avons délibérément modifiés, rendus incapables de vivre sur Terre, ils ne nous auraient jamais pardonnés. Depuis plus de vingt ans que ce Refuge existe, ces victimes de la science ont toujours cru être des mutants naturels, des produits de la guerre comme les autres. On les a choisis sans leur permission. Des cobayes involontaires, dont beaucoup ont péri. Comment voudriez-vous qu’ils nous pardonnent s’ils savaient que nous leur avons fait ça ?