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EAN : 9782366298345
500 pages
Editions ActuSF (02/03/2017)
4.14/5   22 notes
Résumé :
Howard Phillips Lovecraft est un auteur culte. Rarement oeuvre aura eu autant d'influence sur des générations d'écrivains et de lecteurs. Rarement également un univers littéraire n'aura autant été repris dans le jeu de rôle, la bande dessinée, l'illustration ou le cinéma.

Pourtant, que savons-nous réellement de lui ? Les préjugés à son endroit ont souvent été tenaces, alors que les dernières recherches nous montrent une réalité plus contrastée.
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Lovecraft par ci... Lovecraft par là... Bandeau "Lovecraft à l'honneur"... Pléthore de financements participatifs estampillés Lovecraft... L'horizon littéraire est empli de Lovecraft. Alors si vous êtes fan ou curieux, vous tomberez peut-être sur cet ouvrage. Attention à ne pas vous faire mal...

L'objet que vous tenez entre vos mains est grand, lourd, épais. Sa couverture est soignée, c'est fumeux, indicible, presque gibbeux, tiens... et si le physique ne vous suffit pas, notez que le livre est agrémenté d'une signet bien utile, d'une flopée d'illustrations, de multiples auteurs, et de sujets divers et variés qui vous permettront de picorer ou de lire le tout d'une traite.
Mais selon moi, le bilan est mitigé... voyons pourquoi.

Les trois parties formées par le livre (à savoir : 1) L'homme, 2) L'oeuvre, 3) L'univers étendu) contiennent des articles intéressants dont certains très riches, proposant des réflexions poussées, des auteurs qui maitrisent leur sujet et ont une caution certaine. Vous ne regarderez plus Lovecraft comme avant, ni sa bibliographie, ni ses émules.

Mais à bien y repenser, sur les presque 30 articles composant cet ouvrage, seuls quelques uns sortent du lot et méritent vraiment le détour :

"H. P. Lovecraft et Robert E. Howard : Amitiés, controverses et influences", par Bertrand Bonnet. Exégèse de la correspondance howardo-lovecraftienne suivie par des morceaux choisis et fort ingénieusement classés par ordre chronologique des lettres échangées par les deux hommes ou dans lesquelles ils s'évoquent. On en apprend sur les hommes, leurs goûts, leurs manières et leur état d'esprit. J'ai été profondément touché par l'homme R. E. Howard, car si je connaissais son tragique destin, je n'en savais pas tant sur sa personnalité.

"Lovecraft en 25 oeuvres essentielles", par Bertrand Bonnet (encore lui !). Liste détaillée - bien que totalement subjective - des oeuvres importantes (pour diverses raisons) qui m'a fait prendre conscience de l'importance de la chronologie des écritures et de l'évolution de l'auteur au fil de sa "carrière". Couplé à l'article (d'une moins bonne facture) sur "L'anti héroïc-fantasy de Lovecraft", il permet au lecteur de bien appréhender le cheminement littéraire de HPL.

"Les traductions françaises de Lovecraft : de l'introduction à la tradition", par Marie Perrier. Très bon article qui retrace l'histoire des traductions, les confronte et permet au lecteur de prendre conscience des biais qu'elles peuvent induire. Un article qui donne envie de relire Lovecraft et de redécouvrir Lovecraft.

"Pour une poignée de tentacules... H. P. Lovecraft au cinéma", par Sam Azulys. Article qui, bien que plein de longueurs, a réussi à me convaincre (moi le non cinéphile) de regarder du côté des films, et d'envisager un intérêt à ce type de production (bon, surtout les petits budgets faits par des fans doués).

Et puis... et puis voilou.
Le reste c'est beaucoup de promo (voire d'auto-promo ?), de reproduction (on vous copie-colle les préfaces de divers autres bouquins comme un cheveu sur la soupe), de répétitions (c'est tellement lourd de lire 10 fois "le public à l'habitude de considérer Lovecraft comme un reclus misanthrope, mais nous allons voir que ce n'est pas tout à fait exact") et de contradictions (ben ouais, car il en reste malgré tout pour faire leur cette misanthropie...), quand ce n'est pas, tout simplement, de remplissage inique (entre les "interview" où tout un chacun raconte adorer Lovecraft et assure au lecteur qu'il faut acheter son dernier bouquin... et les articles d'un vide cosmique -pour le coup ça fait vraiment peur- la palme revenant à "Les lieux et Lovecraft", sujet intéressant mais mal traité, maltraité (voire peut-être même sous-traité) par une plume d'un niveau extrêmement mauvais faisant franchement douter des choix éditoriaux pour cette publication).

Et c'est là que nous touchons aux limites de l'ouvrage et de son élaboration : à trop vouloir en faire, on en arrive à lésiner sur les relectures, les comités de sélection, les choix éditoriaux, et on nous sert un pavé de presque 500 pages dont la moitié des feuilles reste blanche, avec des erreurs grossières de mise en page, des coquilles en veux-tu en voilà, des renvois défaillants, des redites exaspérantes, et, plus grave, des spécialistes qui n'en sont pas. Bref, on remplit avec ce qu'on a sous la main, on se casse pas trop la tête à harmoniser, on file ça à l'imprimeur, et hop, on vend ça 30 balles l'unité.

Certes le fan sera ravi et y trouvera du grain à moudre.
Certes le néophyte pourra approcher l'homme et son oeuvre.
Pour ma part, j'en espérais davantage. Et les articles cités plus haut sauvent le bouquin in extremis.

Actusf s'est donc engouffré dans la brèche Lovecraft avec cet ouvrage parfois fort intéressant mais entaché de coquilles, perclus de redondances, et présentant malheureusement des articles de qualité diverses, voire douteuses...

Vous en apprendrez, mais vous enragerez surement autant.

Merci tout de même à actusf et à Babelio pour ce bouquin qui m'aura malgré tout appris des choses. (Je reste catégorique : ce livre n'avait rien à faire dans la MC graphique^^).
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La publication d'un ouvrage collectif sur Lovecraft est forcément bienvenue dans le paysage de la littérature en français, qui est loin d'être saturée d'études sur le sujet. Et comme le Maître de Providence fait en retour en force depuis plusieurs années, ActuSF a lancé son projet à point nommé.


L'ensemble, composé en trois partie - l'homme, l'oeuvre, l'univers étendu - recouvre de nombreuses thématiques, à la fois essentielles et passionnantes pour toute personne désireuse de mieux connaître l'écrivain, son travail, mais aussi son influence sur d'autres domaines que la littérature, ainsi que la réception de ses écrits en France (sujet ô combien important). Donc, cet ouvrage est une réussite... partielle.


La réussite tient, à mon avis, à quelques points importants : d'une part, ActuSF a fait appel à des auteurs venus de tous horizons : critiques, traducteurs, illustrateurs, éditeurs, universitaires, et j'en passe. À quelques exceptions près, cette pluridisciplinarité des auteurs pris dans leur ensemble fonctionne plutôt pas mal, chacun apportant, selon sa compétence propre, de l'eau au moulin. De plus, les textes et les points de vue se recoupent, se complètent, ou bien divergent carrément. le fait que tout le monde ne parle pas d'une seule voix permet au lecteur de ne pas se retrouver pris dans un discours monolithique, et au contraire lui donne l'occasion d'exploiter plusieurs pistes de réflexion. D'autre part, les thématiques ont été bien choisies (sinon toujours bien traitées), si bien qu'à côté d'articles aux sujets inévitables (comme le racisme de Lovecraft ou le "mythe de Cthulhu"), il est question aussi, par exemple, du cycle dunsanien (le versant fantasy des récits lovecraftiens), du jeu de rôle et du cinéma, ainsi que des traductions en français, sujet qui fait débat depuis tellement d'années et d'autant plus florissant que l'oeuvre de Lovecraft est tombé dans le domaine public en 2008 pour ce qui est de l'Union européenne.


Enfin, la forme elle-même du livre est intelligemment conçue : biographie, essais, extraits de lettres, interviews : c'est suffisamment diversifié pour éviter des bâillements aux lecteurs, et ça permet même de tout lire du début à la fin, sans rien omettre. Mais le livre est également conçu pour qu'on puisse revenir facilement sur un seul article, ou pour qu'on puisse ne s'attacher qu'à un ou deux sujets en particulier, en fonction de ses envies. On notera tout de même que certaines interviews manquent d'intérêt, et relèvent de la pub perso. De même pour les dessin (ne surtout aps s'attendre à un "beau livre" !)


Le meilleur de l'ouvrage, c'est pour moi le texte de Bertrand Bonnet, intitulé "Lovecraft en vingt-cinq œuvres essentielles". Je le cite d'autant plus volontiers que je craignais, au vu du titre, de lire un article à l'effet catalogue, énumérant de façon ennuyeuse une longue liste d’œuvres (on verra que l'auteure du texte sur les lieux est tombée en plein dans le panneau). Or, non seulement Bertrand Bonnet évite de nous ennuyer avec de longs résumés et des révélations mal venues sur la chute des récits, mais il se livre, pour chaque oeuvre, à une véritable travail de critique, analysant chaque texte, expliquant pourquoi il le considère comme essentielle dans le corpus lovecraftien, et le rapportant au contexte de ce même corpus.

J'ajouterai que Christophe Thill a, quant à lui, écrit un texte à la fois original, étant donné son sujet, et intéressant, sur les "révisions" de Lovecraft, c'est-à-dire les textes que celui-ci a commis plus ou moins en collaboration avec d'autres auteurs. D'ailleurs, les interviews du même Christophe Thill ponctuent l'ensemble de l'ouvrage de manière à la fois cohérente et agréable, en donnant toujours un éclairage intéressant sur les articles environnants. Et puis, enfin, les extraits de la correspondance entre Howard et Lovecraft valent vraiment le coup d’œil !


À l'inverse, les articles sur le mythe de Cthulhu et sur Lovecraft et la science m'ont paru un peu faibles, pâtissant probablement du manque d'expérience et de connaissances des deux auteurs : pourquoi ne pas s'être adressé à d'autres personnes ?

Mais passons carrément à ce qui fâche : l'article sur Lovecraft et les lieux n'a rien à faire dans un tel livre. Il est nullissime, l'auteure n'évoquant aucune piste de réflexion et se contentant de donner une liste de lieux où Lovecraft a vécu, accolée à une liste de résumés des nouvelles et romans, qui présente une à une les descriptions des lieux qu'on y trouve. Pas l'ombre d'une amorce d'analyse littéraire, un style ultra-scolaire qui endormirait n'importe qui, et une conclusion à pleurer que je cite :"Les environnements [que Lovecraft] dépeint contribuent à l'ambiance pesante et envahissante que nous pouvons ressentir à la lecture de ses nouvelles. Ces lieux, bien que proches des nôtres, comme nous l'avons vu, lui ont été inspirés soit pas ses rêves lucides, soit par son expérience dans différentes villes." Toute la réflexion de l'auteure du texte tient en ces quelques mots. Merci à elle pour pour ces platitudes... Donc là, je dis non. On en est à se demander si l'auteure de cet affreux article est la fille d'un mécène, ou bien amie avec quelqu'un de bien placé à ActuSF, ou bien on peut encore avancer comme hypothèse que la rédaction du texte avait été confiée à quelqu'un qui s'est désisté au dernier moment et qu'on a pris la première personne qui passait dans la rue pour le remplacer. Bref, je trouve très peu professionnel qu'une maison d'édition ait décidé de publier cet article rédigé par une personne qui n'avait aucune compétence pour l'écrire, alors que les autres contributeurs ont, eux, fait correctement leur part du travail. C'est une belle tache dans un ouvrage qui avait tout pour être une référence sur Lovecraft.

Bref. Tout ça pour dire que, excepté cette grossière erreur de la part des directeurs de publication, "Lovecraft : au coeur du cauchemar" vaut, malgré ses défauts, le détour.



Masse Critique Non-fiction
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Lovecraft, au coeur du coeur du cauchemar, collectif, ActuSF 2017. Un recueil d'études sur Lovecraft, voilà qui est très original, et ce pratiquement 50 ans après la publication du légendaire « Cahier de l'Herne ». L'objet est volumineux (450 pages), de belle facture (format « Planète), joliment illustré et présenté sous couverture rigide. L'édition a été permise grâce à un financement participatif « Ulule » largement souscrit. le recueil est un mélange de présentations pour néophytes et d'études d'une belle érudition, ce qui rend sa lecture parfois déroutante. Mais cela reste au total un très bon travail, indispensable pour tout lovecraftien qui se respecte.

L'ouvrage s'ouvre sur une contribution de Bernard Bonnet, H.P. Lovecraft entre mythe et faits, fort bien écrite. En une première partie, l'auteur développe l'explosion post-mortem de l'oeuvre, en pointant les grandes dates du phénomène, le décès de Derleth en 1971 qui était le gardien de « son » orthodoxie et le démarrage, dans les années 80, des « Études lovecraftiennes » qui permirent de mieux cerner la personnalité de l'écrivain. Il ne cherche pas en revanche à répondre à la question fondamentale, pourquoi cet emballement actuel de la lovecraftomania ? Voir à ce sujet l'excellent ouvrage d'un collectif d'universitaires américains, The Age of Lovecraft (University of Minneapolis Press, 2016).
Dans une seconde partie, B. Bonnet trace une bio-bibliographie de Lovecraft, reprenant les grandes étapes de sa vie auxquelles il intègre sa production littéraire. Rien de bien neuf, mais l'ensemble est agréable à lire.

Puis Christophe Thill, sous forme d'interview, nous parle de Lovecraft et les préjugés. C'est un peu du « Lovecraft pour les nuls » qui reprend et critique les habituels poncifs (racisme, solitude, misogynie…).

Bien que très court, l'interview de S.T. Joshi Je n'avais jamais rencontré des écrits aussi poignants et puissants que ceux de Lovecraft apporte d'intéressants lumières sur le « Pape de la lovecraftologie ». D'abord par son parcours personnel où il nous explique se sentir sur bien des points proche de la personnalité de l'écrivain. Ensuite sur ses travaux, expliquant que sa nouvelle grande oeuvre est en cours, à savoir l'édition de l'intégralité de la correspondance de Lovecraft (25 tomes dont 9 sont déjà sortis chez Hippocampus Press).

Mathilde Manchon nous parle ensuite des Lieux et Lovecraft. Une compilation assez classique des éléments du « Massachusetts Imaginaire » et des « Contrées du Rêve ». La contributrice insiste, à juste titre, sur le rôle du rêve dans les créations géographiques. Elle n'hésite pas, de surcroît, à se demander, reprenant les thèses de l'occultiste Kenneth Grant et de l'ésotériste Donald Tyson, si Lovecraft ne maîtrisait pas le voyage astral ! Elle date de 1918 (Polaris) ses premières incursions dans l'Ailleurs (cf The Dream World of H.P. Lovecraft, Donald Tyson 1954, second printing 2011, Llewellyn Publications).

L'interview de François Bon, Sur les traces de Lovecraft à Providence apporte la fraîcheur de l'homme de terrain. Celui qui va fouiner à la bibliothèque John Hay pour dénicher le matériel nécessaire à ses traductions ; celui qui arpente les ruelles de la ville à la recherche de l'ombre du Maître.

Bertrand Bonnet reprend la plume et nous livre une très solide étude sur H.P. Lovecraft et R.E. Howard (en partie déjà publiée dans le no 84 de Bifrost). Une étonnante aventure épistolaire entre deux personnes qui ne se rencontrèrent jamais mais firent connaissance par Weird Tales interposé. Les deux écrivains s'appréciaient mutuellement, et le jeune Howard, cadet de 16 ans de Lovecraft, sera fortement marqué dans sa propre écriture par la fiction de son aîné. La Pierre Noire (WT 1931) en est un des plus beaux exemples. le plus étonnant sera cependant la correspondance qu'ils entretinrent de 1930 à 1936, totalement monstrueuse en volume. Et si comme le fait remarquer B. Bonnet la recension n'est que partielle, les deux tomes publiés par Joshi, Schultz & Burke, A Means to Freedom, The Letters of H.P. Lovecraft & Robert E. Howard (Hippocampus Press, deux volumes, 2017) n'en font pas moins plus de 1500 pages. Patrice Louinet en donnera quelques exemples à la suite de l'étude. Ces lettres sont à proprement parler des oeuvres à part entière dans les oeuvres respectives des deux auteurs. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces échanges ne portent que marginalement sur leurs fictions, mais prennent rapidement la dimension de dissertations philosophiques, historiques et politiques dont certaines pourraient véritablement faire penser à des travaux de « master » ! Les discussions tournent autour du celtisme (histoire, linguistique, anthropologie) avec chez Howard la lancinante question de l'origine du peuplement de la Grande-Bretagne. Elles accordent aussi une place importante au régionalisme : Lovecraft, pour qui la Nouvelle-Angleterre est le réceptacle de l'indicible, incite pourtant son correspondant à creuser le légendaire du Sud, ce qui donnera lieu à l'écriture d'une excellente fiction, Les Pigeons de l'Enfer (1934). L'horreur se terre ici dans le manoir abandonné d'une famille de planteurs mystérieusement disparus.
Mais sous prétexte d'anthropologie, le débat va devenir de plus en plus musclé, Lovecraft mettant au sommet de la civilisation l'Empire Romain alors que Howard défend farouchement le camp des barbares. Tout cela débouche sur des débats philosophiques infinis sur barbarie/progrès – barbarie/intelligence, et si les deux auteurs s'accordent sur l'absurdité de notre monde, Howard est partisan d'une lutte farouche pour le progrès qu'il n'estime pas contradictoire avec la barbarie alors que l'écrivain de Providence s'accroche à l'insignifiance de l'homme et à son impuissance corollaire à modifier le cours des choses. Les plus belles pages de Howard sont celles sur la liberté dans lesquelles il brocarde violemment Lovecraft qui s'était fait le chantre du fascisme italien. Les noms d'oiseaux ne sont pas rares sous la plume de Howard, souvent excédé par le ton professoral de Lovecraft et sur son art perfide de lui faire dire le contraire de ce qu'il a écrit. Il n'empêche que les deux hommes s'estimaient profondément et que Lovecraft sera bouleversé par le suicide de son ami texan.
Le dossier de Patrice Louinet donne un bel échantillon de ces échanges avec quelques curiosités d'ordre gastronomique ! Lovecraft liste ce qu'il aime, et surtout ce qu'il n'aime pas (et la liste est longue !). Howard défend à l'opposé son régime de cow boy carnassier buveur de grandes chopes de bière !!

Regret personnel : dommage que ce gros bouquin n'ait pas consacré une étude parallèle et de même qualité à la correspondance avec C.A. Smith.

Todd Spaulding analyse ensuite Lovecraft et les révisions. Une analyse succincte pour nous dire que cette partie « révisions » de l'oeuvre est importante (certes), sans pour autant citer ce véritable chef-d'oeuvre qu'est le Tertre .

Christophe Thill reprend la plume pour étudier Lovecraft sous presse, brève histoire (et préhistoire) éditoriale des écrits de Lovecraft. Une bonne synthèse d'éléments connus.

Originale en revanche est l'étude d'Emmanuel Mamosa, Cthulhu, l'envergure d'un Mythe. Il montre bien que la création de Lovecraft était tout sauf structurée et que c'est August Derleth qui lui a donné une structure se voulant cohérente, au risque de déformer la démarche de l'auteur. Il n'y a rien, dans la philosophie de Lovecraft, qui puisse faire penser à un combat entre le bien et le mal dans le cadre d'une théologie qui se voudrait chrétienne. Il faut, pour bien comprendre le soi-disant Mythe, revenir à l'approche fondamentale de l'auteur : l'homme n'est qu'une poussière cosmique, une sorte de jouet des Grands Anciens, un parasite dans un monde qu'il croyait sien. Et c'est la prise de conscience de cette situation qui suscite « la terreur cosmique ». Dès lors, la religion moderne n'est-elle qu'une tentative pathétique de la part des humains de se voiler la face et de ne pas se retrouver confrontés à l'atroce vérité de leur propre insignifiance. A l'instar de Burleson, Price, Joshi, Murray et Schultz, Marmosa insiste sur le fait que le Mythe n'est dès lors rien d'autre que l'expression de la vision du monde de Lovecraft, habillée aux couleurs de la fiction.
L'étude se poursuit par un examen de l'actualité du Mythe qui résonne étrangement à nos oreilles : l'astronomie nous montre le gigantisme de l'univers au sein duquel nous ne sommes qu'une infime forme de vie ; le capitalisme a développé d'énormes structures dans lesquelles nous ne sommes plus qu'un jouet ; l'histoire des Anciens est cyclique et nous annonce une fin proche, alors que nous sommes dans un contexte de dérèglement de l'environnement, de réchauffement climatique et de barbarie terroriste ; quant à l'Intelligence Artificielle, n'est-elle pas prête à se substituer à nos faibles capacités ? Il ressort de cette analyse un malaise social évident, semblable à celui éprouvé par Lovecraft face au progrès mettant à mal sa culture traditionnelle.
L'article se termine par un survol rapide de la façon dont le « Mythe » a infiltré « la pop culture » (BD, cinéma, jeu de rôle, musique) sans pourtant évoquer son incursion étonnante dans certains milieux occultistes. On se référera sur ce sujet à l'étude fort bien faite de John Steadman, H. P. Lovecraft & The Black Magickal Tradition : The Master of Horror's Influence on Modern Occultism (Weel/Weiser, 2015).

Petite pause avec l'interview de Raphaël Granier de Cassagac, jeune auteur de fiction, qui nous explique comment il a découvert Lovecraft. Par le jeu de rôle, bien sûr ! Cet auteur a collaboré à l'album Kadath chez Mnémos.

Bertrand Bonnet poursuit avec un gros dossier, Lovecraft en 25 oeuvres essentielles. Tout choix est évidemment subjectif, mais l'approche est intéressante, car les textes sont présentés par ordre chronologique, illustrant de façon pertinente la formation de l'imaginaire de l'auteur. Je travaille personnellement de la sorte, classant dans mon « scrap book d'étude » tous les textes, y compris les poésies et les autres contributions marquantes (lettres, articles..). le résultat en vaut vraiment la peine ! Quant au fond, les notes de Bonnet sont très Nébalia (du nom de son blog) à savoir longues et pleins d'allers-retours (oui, mais non, encore que, alors peut-être). Mais l'ensemble est agréable à lire.

C'est au tour de Christophe Thill de passer au grill de l'interview sur le thème de L'oeuvre de Lovecraft. Un papier comme sait bien le faire notre ami, essentiellement destiné à un public de néophyte.

L'universitaire Florent Montaclair, avec Lovecraft et le Génération Perdue, nous donne un cours de littérature comparée, nous montrant que Lovecraft est un parfait représentant de la jeune génération américaine qui s'exprime dans les années 20. Son analyse s'appuie sur une comparaison entre plusieurs oeuvres de Lovecraft et Manhattan Transfer de John Dos Passos.

Elisa Gorusuk livre, avec Lovecraft et la science, une contribution très solide. Elle passe rapidement sur le chimiste et l'astronome en herbe pour nous montrer comment Lovecraft était à la fois passionné et terrifié par le progrès scientifique. Un progrès qu'il suivait de près et qui lui donnera l'occasion de créer d'invraisemblables machines.
On trouvera le capteur psychique pour prendre connaissance des visions du patient (Par-delà le mur du sommeil, 1919), la technique pour élargir ses capacités sensorielles (De l'Au-Delà, 1920), la « potion » pour ressusciter les cadavres « relativement frais (Herbert West, réanimateur, 1921), l'appareil de réfrigération pour maintenir les morts « en vie » (Cool Air, 1926), le traitement de la fièvre noire ou fièvre récurrente (Le Dernier Examen, 1927 et La Mort Ailée, 1932), la refonte de la technique de la chaise électrique (L'Exécuteur des Hautes Oeuvres, 1929), la technologie pour conserver « en vie » les cerveaux issus du corps (Celui qui chuchotait dans les ténèbres, 1930), ou encore la découverte de la fibrodysplasie ou maladie de la pierre (L'Homme de Pierre, 1932) etc….Dans le Défi d'Outre-Espace et Dans l'Abîme du temps (1935) Lovecraft ira jusqu'à imaginer » l'échange d'esprit entre un humain et un représentant de la Grande Race, l'un prenant le corps de l'autre et vice-versa.
Mais ce progrès a quelque chose de terrifiant, et surtout parce qu'à la suite des travaux d'Einstein et de Planck, il ouvre de nouvelles perspectives métaphysiques qui confirment sa propre approche cosmique. L'homme n'est que poussière insignifiante dans l'univers, balloté par des forces obscures qui l'ignorent. L'anthropocentrisme est mort et le mystère des origines prend une dimension nouvelle, celle de la pré humanité avec ses géométries impossibles et ses créatures innommables. le Pr Upham goûta particulièrement sa démonstration de la parenté des mathématiques supérieures avec certains moments du savoir magique transmis à travers les âges depuis une indicible antiquité humaine ou préhumaine où la connaissance du cosmos et de ses lois était plus vaste que la nôtre. (La Maison de la Sorcière).
Cette contribution se termine par une petite note amusante relatant la découverte par une équipe de biologistes canadiens d'un microbe qu'ils ont baptisés Cthulhu en raison de son comportement similaire à celui d'une pieuvre !

Christophe Thill continue de remplir le bouquin, cette fois avec une étude sur L'anti heroic fantasy de H.P. Lovecraft. Une synthèse sympathique, mais qui appelle un certain nombre de remarques :
° Pourquoi anti HF ? Parce ce que selon le contributeur, la vraie HF, c'est celle de Howard, avec des héros musclés qui se battent férocement pour le bien. Chez Lovecraft, ce sont des anti-héros qui courent à leur perte ou, comme Randolph Carter, qui aspirent au retour à leur pays d'origine. Bon, c'est un point de vue !
° le cycle du rêve, pour Christophe Thill, n'est pas très onirique. Ah bon !
° Il est convenu de faire dater le début de ce cycle par la nouvelle Polaris (1918), de veine typiquement dunsanienne alors que Lovecraft n'avait pas encore découvert l'oeuvre du baron anglais. Mais cela s'explique très bien : c'est tout simplement un type de visions similaires face à l'inconnu avec des stocks similaires de connaissances en matière de folklore et d'histoire. On flirte ici avec les théories jungiennes de l'inconscient collectif et des archétypes. Pourquoi pas ! Lovecraft lui-même dans Par-delà le mur du sommeil (1919) écrivait : Je me
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Le corpus des études lovecraftiennes en langue française est particulièrement riche, et ce bel ouvrage apporte à l'édifice une pierre digne de lui.

Il est possible de classer les ouvrages consacrés à Lovecraft selon trois catégories.
Les monographies, d'abord. Les deux plus connues sont celle de Maurice Lévy, qui fit oeuvre de pionnier en 1972, et celle de Michel Houellebecq, publiée près de 20 ans plus tard.
Les Cahiers d'études lovecraftiennes, ensuite. Beaux volumes reliés que les éditions Encrage ont fait paraître durant les années 90.
Les ouvrages collectifs, enfin. le premier, qui fit date, est bien entendu le Cahier de L'Herne, publié en 1969 sous la direction de François Truchaud. D'autres suivirent, citons parmi eux "Le Maître de Providence – H.P. Lovecraft" intéressante publication des éphémères éditions Naturellement, généreux volume de 474 pages, qui rassemble des articles signés par Jacques van Herp, Denis Labbé, Bruno Peeters, et d'autres spécialistes.

"Lovecraft, au coeur du cauchemar" s'inscrit dans la lignée de ces ouvrages collectifs. Et il est à bien des égards digne de figurer dans la bibliothèque idéale de tout lecteur lovecraftien.

Par la qualité de l'objet, d'abord. Beau volume de 460 pages, relié tissus, imprimé sur beau papier, entièrement illustré, en couleur. A tous égards, il s'agit d'un travail d'édition soigné, fait assez rare pour être relevé.

Le fond n'est pas moins intéressant que l'objet puisque tous les aspects de l'oeuvre de H.P.L. sont ici envisagés et commentés. Trois grandes parties divisent l'ouvrage, chacune compte une dizaine d'articles.
La première partie se penche sur la vie de Lovecraft et explore aussi bien des pistes connues et attendues – les liens entre l'auteur et sa ville natale, les données biographiques ici développées dans une interview de son biographe S.T. Joshi – que des aspects parfois peu évoqués et ici largement approfondis : les liens entre H.P.L. et Robert E. Howard ; ou les mythes et préjugés que Lovecraft a pu susciter autour de sa personne.
La deuxième partie est consacrée à l'oeuvre à proprement parler, et rares sont les aspects qui ne sont pas ici étudiés. Présentation de 25 titres essentiels, étude des textes poétiques, considérations précises et documentées sur les problèmes de la traduction, liens entre l'oeuvre et la science, le voyage, le mythe...
La troisième partie brosse un tableau assez complet de l'univers étendu de Lovecraft, autrement dit des influences de son oeuvre dans divers domaines: bande-dessinée, illustration, jeux vidéos, jeux de rôles, cinéma.

L'ensemble est passionnant à lire, pour le connaisseur comme pour le néophyte, et constitue à ce jour l'ouvrage idéal pour entrer dans l'oeuvre et l'imaginaire de Lovecraft.
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Les écrits de Howard Phillips Lovecraft, même s'ils tiennent avant tout à des nouvelles et à de longs échanges épistolaires avec d'autres auteurs connus de son époque, ont une histoire un peu particulière au point de fausser notre rapport à l'imaginaire, aux écrits d'horreur en particulier.

Au coeur du cauchemar est une somme considérable sur cet écrivain que fut H.P. Lovecraft : sa vie, son oeuvre, sa postérité. Ainsi est divisé cet ouvrage et il fallait bien le découper de cette façon tant sa vie, son oeuvre et sa postérité ont des destinées bien à part les unes des autres. Autant l'une est très particulière, plutôt solitaire, assez décevante au fond, autant son oeuvre semble monumentale au premier abord et est en fait une multitude de lettres et de nouvelles particulièrement éparse. À côté, sa postérité est phénoménale, au point de se demander comment on passe de l'un à l'autre. Cette somme répond à cette interrogation, en prodiguant un certain nombre de connaissances très utiles.
Interviennent dans ce volume : le philosophe Sam Azulys, l'illustrateur François Baranger, le traducteur François Bon, l'essayiste Bertrand Bonnet, l'écrivain David Camus, l'illustrateur Philippe Caza, l'éditeur Michel Chevalier, l'écrivain Cédric Ferrand, la professeure d'anglais Elisa Gorusuk, le physicien Raphaël Granier de Cassagnac, l'éditeur de jeux vidéo Jean-Marc Gueney, l'essayiste Sunand Tryambak Joshi, l'infographe François Launet, l'essayiste Patrice Louinet, le rôliste Emmanuel Mamosa, la médiatrice culturelle Mathilde manchon, le traducteur Patrick Marcel, le professeure de littérature Florent Montaclair, le traducteur Alex Nikolavitch, la professeure d'anglais Marie Perrier, l'écrivain Todd Spaulding et l'essayiste Christophe Thill. Autant dire qu'il y en a du monde : il y en a des gens qui sont passionnés par l'univers esquissé par H.P. Lovecraft ou touchés de près ou de loin par Cthulhu, les Grands Anciens et les Contrées du rêve ! Au-delà des noms cités, il est important de saisir par ce recueil d'interventions l'importance qu'a pris le mythe d'une littérature lovecraftienne dans l'imaginaire actuel. Là où on peut parfois voir en cette littérature quelque chose de compact, certes d'étendu, mais de très organisé, il en est en fait tout autrement, à l'image des littératures de l'imaginaire d'aujourd'hui finalement.

Il est difficile de conseiller cette somme pour un public en particulier. Il faut bien avoir en tête que ceci est un gros essai biographique et qu'il permet de voir l'oeuvre de H.P. Lovecraft dans toutes ses dimensions, notamment celle qui prend le plus d'importance aujourd'hui : la réutilisation d'un univers qui devient foisonnant à partir du moment où d'autres auteurs le prennent en main, se l'approprient pour en faire bien d'autres choses.

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critiques presse (1)
Elbakin.net
20 avril 2017
Dense, richement illustré et d’une très belle facture, cet ouvrage devrait faire date et rester la référence française sur Lovecraft pendant quelques temps, voir quelques âges…
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Quant à mes goûts, que vous avez attaqués de manière si violente tout au long de notre correspondance, je ne vois pas en quoi ils nécessiteraient défense ou excuse. L'expression de mes préférences se résume à des simples déclarations de faits , qui ne peuvent pas être plus réfutées que battues en brèche. Vous ne pouvez assurément pas vous attendre à ce que que j'y renonce pour la simple raison qu'elles ne correspondent pas à vos préférences. Mes goûts et mes centres d'intérêt ne coïncident peut-être pas avec votre conception de ce à quoi un individu intelligent devrait aspirer, mais je ne vois pas vraiment ce que vous et moi pouvons y faire. Si nous vivions dans votre gouvernement idéal régi par l'intellect, vous pourriez sans doute me faire condamner au bûcher en tant qu'hérétique, mais puisque nous n'avons pas atteint ce stade enviable de civilisation, il semble que vous allez devoir vous contenter de me classer comme une autre de ces imperfections et choses mal dégrossies qu'on laisse exister quand on vit en démocratie, et devoir en rester là.

"Robert Howard et H.P.L", extrait d'une lettre de Howard à Lovecraft vers juillet 1934
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En général, le lecteur de littérature étrangère intégrera la première traduction lue dans son canon personnel. Par un étrange paradoxe, l'original, éventuellement lu par la suite, ne sera qu'une version de cette première lecture. Mais si ce dernier lui est inaccessible, ou qu'il n'en maîtrise pas la langue, le mythe littéraire ne pourra donc avoir son impact maximal que par le truchement de la retraduction. En effet, plus les variations s'accumulent, plus elles deviennent visibles. L’œuvre augmente alors ses chances de plaire à des lecteurs ayant des attentes différentes, ce qui est une richesse. La multiplicité n'est pas nécessairement une trahison, dès lors que les lecteurs ont pris l'habitude de s'y ouvrir. Ainsi, malgré l’œil critique des fans, traduire Lovecraft et son univers fictionnel largement partagé offrirait un maximum de liberté au traducteur. Les inconditionnels pourront recevoir toute nouvelle traduction comme on accueillerait une nouvelle mise en scène, et pourront s'émerveiller de découvrir un aspect de l’œuvre mis en valeur qui passait inaperçu jusque-là.

"Les traductions françaises de Lovecraft : de l'introduction à la tradition" par Marie Perrier
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Le cosmos de Lovecraft bannit l'anthropocentrisme et témoigne du danger des forces cosmiques qui le dépassent.
Avec les découvertes scientifiques et les innombrables questionnements qui l'accompagnent, Lovecraft parvient à tisser tout un mythe consacré à l'horreur qui résulte de la connaissance de l'espèce humaine et de l'Univers dans lequel il réside.
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Vidéo de Howard Phillips Lovecraft
Jusqu'au 4 mai 2023, sur Ulule, découvrez notre nouveau projet hors-norme et complètement fou : l'édition de la correspondance de Robert E. Howard et Howard P. Lovecraft dans une traduction de David Camus et Patrice Louinet.
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