Lucien Becker
Quelque part....
Quelque part dans une maison calme
Le soleil passe à travers les volets
et la poussière se croyant seule se met à danser
sans autre bruit que celui que fait un insecte.
Il y a bien au loin le cri d'un enfant
ou celui d'un chien oppressé de solitude.
Il y a bien, dans l'herbre, le pas d'une source
où la mer vient, en se cachant, prendre pied.
Il n'y a plus soudain dans le jour immense
qu'on bourdon désorienté qui se cogne aux carreaux
qu'un oiseau brûlé de soleil
qui retombe comme une feuille au milieu des blés.
Et la chambre plus profonde que le monde
se tient dans l'ombre auprès de la porte
avec un cœur qui a cessé de battre
parce qu'il n'y a plus de soleil dans les volets.
ALLIETTE AUDRA
.......................... N'ENVOYEZ PLUS DE LETTRES ....
N' envoyez plus de lettres , seulement des feuilles
d'arbres, que le soleil détache ou le vent cueille
ou l'automne abat et dépose entre vos mains .
Je ne les recevrai jamais le lendemain .
mais j'ai depuis toujours l'habitude d'attendre
et mon cœur , de veiller , n'en sera pas moins tendre .
Vous ne pourrez , c'est vrai , rien écrire dessus ,
cependant je lirai comme si j'avais su
les paroles que vous formulez dans votre âme
tant vos rêves ont pour moi l'éclat de la flamme .
choisissez les couleurs suivant le ton des jours :
que la feuille soit fraîche si le ciel est lourd ,
et d'un vert bien profond si l'azur est trop pâle .
Qu'elle soit de chêne et blonde comme le hâle
au front d'un bel enfant , quand s'achève l'été ,
et lorsque vient Novembre , afin de refléter
ce qu'il ensevelit et ce qu'il remémore
veuillez me cueillir une feuille au sycomore .
( Mais qu'elle soit de hêtre , d'aulne ou d'olivier ,
que m'importe après tout pourvu que vous viviez ! )
Et si dans le futur , un jour Dieu vous propose
par hasard le bonheur , pour me dire la chose
envoyez simplement une feuille de rose .
ROGER BODART
L'HERBE DE NAGASAKI
A Princeton , dans un antre célèbre ,
J'ai rencontré le prince des ténèbres .
Il rêvait d'un champignon vénéneux
qui mangerait le Grand-Œuvre de Dieu .
Le prince avait un visage d'ascète
et l’œil serein du guetteur de planètes .
Sur le tableau noir une équation
dans le néant enfonçait un sillon .
Par la croisée , on devinait la plaine
sans un seul arbre , sans présence humaine .
Je respirais pendant qu'il me parlait
la bonne odeur de son tabac anglais .
Il faisait nu dans ce laboratoire .
C'était l'impasse où se cognait l'histoire .
On y sentait la vie au cran d'arrêt .
L'homme portait la mort sous son béret .
Non la mort à la petite semaine :
la fin , d'un coup , de l'existence humaine .
L'homme pourtant ne voulait que cela .
Il avait lu la Bhagavad-Gîta .
Il écrivait des ballades françaises .
Vif , il nageait dans l'eau de l'hypothèse .
Il avait des enfants . Il était bon .
Il aimait bien jouer du violon .
Pendant ce temps , près de là , son vieux maître
voyait la mort entrouvrir sa fenêtre .
Ce matin-là , l'herbe avait resurgi
Dans la poussière où fut Nagasaki .
LE DERNIER POÈME
J'ai rêvé tellement fort de toi ,
J'ai tellement marché , tellement parlé ,
Tellement aimé ton ombre ,
Qu'il ne me reste plus rien de toi .
Il ne me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée .
Ce " dernier poème " est une adaptation d'Adolf Kroupa , d'après des papiers retrouvés sur Desnos , le lendemain de sa mort au camp de Terezin . Kroupa , poète et critique d'art tchécoslovaque , fut l'un des premiers à reconnaître Desnos , dont il avait été l'ami .
JACQUES BARON
PETITE HISTOIRE DE LA JUNGLE
Éléphant Éléphant allant en promenade
pourquoi emportes-tu cet oiseaux sur ton dos
Mais c'est un oiseaux-lyre Il va voir un malade
un souffrant qui n'a plus que la peau sur les os
un de mes vieux amis un éléphant sauvage
qui ne vient plus s'asseoir au cercle de famille
Lorsque l'enfant paraît il n'est pas d'autre sage
pour savoir désigner le garçon ou la fille
Éléphant de minuit allant à l'eau dormante
Éléphant de la lune cet oiseau sur ton dos
n'est pas un oiseau-lyre à la plume charmante
Mais un vieux crocodile un vieux sac en croco
Éléphant de minuit éléphant de la lune
j'irai jusqu'au bout portant l'oiseau on se tutoie
et votre voix de tête un peu trop m'importune
De l'oiseau en croco j'ai décidé le choix
Oui j'irai jusqu'au bout sur mes jambes de soie .
Avec Pascal Ory, Albert Dichy, Antoine Caro & Virginie Seghers
Lecture par Frédéric Almaviva, Emmanuel Dechartre & Paule d'Héria
Éditeur des poètes, Pierre Seghers (1906-1987) est le fondateur de la Maison de la Poésie, dont il fut le premier directeur, de 1983 à sa mort en 1987. Il créa en 1944 la célèbre collection « Poètes d'aujourd'hui » qui rendit la poésie accessible au plus grand nombre. Résistant de la première heure, il eut un rôle actif dans le combat que menèrent poètes et gens de plumes contre l'occupant, avec sa célèbre revue Poètes casqués (P.C.) puis Poésie (40, 41, 42, 43). A l'occasion de la réédition de la Résistance et ses poètes par les éditions Seghers, une soirée-lecture est organisée en présence de Pascal Ory, historien, membre de l'Académie Française et auteur de la préface et nous accueillerons également Albert Dichy, directeur littéraire de L'IMEC qui détient un riche fonds d'archives sur les poètes de la Résistance, Antoine Caro, Directeur des éditions Seghers et Virginie Seghers, fille de l'éditeur.
Une adaptation pour la scène de la Résistance et ses poètes sera proposée par Frédéric Almaviva, en lecture.
« Contre l'occupant, l'avilissement, la mort, la poésie n'est ni refuge, ni résignations, ni sauvegarde : elle crie. »
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes.
À lire – Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, éd. Seghers, 2022.
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