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EAN : 9782358480116
168 pages
Bleu autour (04/11/2009)
3.67/5   6 notes
Résumé :

Rosie Pinhas-Delpuech, née à Istanbul, est l'un des rares écrivains turcs de langue française, sa " langue père ". Car elle n'a pas de " langue mère ", écrit-elle dans Suite byzantine, la première partie de ce livre. Ni le judéo-espagnol, " domestique ", des femmes de sa famille, ni l'allemand de sa mère, " greffe contre nature ", ne sauraient en tenir lieu. Le turc ? C'est pour elle la langue " du dehors ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Après « L'angoisse d'Abraham », son livre sur l'hébreu, j'attaque le premier volet de la trilogie linguistique de Rosie Pinhas Delpuech, sur le turc, langue de la nationalité, l'origine et lieu de naissance de l'écrivaine et l'éminente traductrice.
Je dois dire que le style anonyme de la première partie, l'enfance istanbuliote de l'écrivaine à la troisième personne m'a d'emblée rebutée. L'impersonnalité mettant une distance avec cette appartenance. Mais finalement elle s'avère bien choisie, puisque du fait d'avoir la religion juive remet sur le tapis l'histoire du juif errant, résident provisoire sur une terre qu‘il enrichit. La mère d'origine allemande, parle l'allemand, le père parle le français, à la maison on parle allemand et un espagnol propre aux juifs et avec elle, l'enfant, on ne parle que le français. La langue du pays, le turc est uniquement utilisé avec la bonne et dans la rue. Or par la loi, un enfant de nationalité turque doit obligatoirement aller à l'école primaire turque, donc ce sera par ce biais que Delpuech acquerra cette langue qui est celle de son origine, même si sa religion est juive.
La deuxième partie sont des anecdotes de l'adolescence, racontant l'île des vacances familiales de l'auteur, Burgaz, avec ses habitants en majorité "rum" ( grecs de Turquie ), ses vents, Esma sa folle, Mme Evghenia sa repasseuse, l'inauguration de sa première mosquée,.....suivies d'autres anecdotes sur Istanbul et ses habitants, dont celle très émouvante du jeune éboueur, Ahmet.

Un voyage linguistique difficile mais plein de poésie et de nostalgie raconté dans le contexte d'une Istanbul cosmopolite et de la Turquie des années 50.

"Parfois, quand il écrit le mot "gurbet", sa gorge se noue."Gurbet", c'est le lointain douloureux et étranger, la terre inhospitalière, le déracinement, le mal du pays, l'étrangeté."
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La première partie du livre, Suite byzantine, est le récit, à la fois intime et volontairement distancié, d'une enfance stambouliote. L'enfant qui en est le point focal est une petite fille née dans une famille juive. Nous la suivons dans sa découverte du monde, alors que de ses minuscules antennes elle palpe son environnement, consciente des tensions familiales (la culture allemande de sa mère horripile sa grand-mère paternelle), des efforts des adultes pour préserver un niveau de vie convenable, des peurs qui agitent les minorités grecque, arménienne et juive quand le patriotisme républicain jette dans les rues des hordes de pillards. le secret de l'enfant est sa faculté à se blottir dans les buissons de mots qu'elle butine, tant elle est subjuguée par le maelström linguistique qui tourbillonne autour d'elle. L'allemand de sa mère porte la douceur des berceuses. le ladino de l'entourage séfarade l'isole des disputes et des discussions trop angoissantes pour son jeune âge. le français élégant donne de l'ordre au désordre. le turc sera une passerelle empruntée pour aller au dehors se frotter à la rue, aux camarades d'école, faire bloc avec les attentes de la jeune République. Avec pudeur, Rosie Pinhas-Delpuech nous dépeint la fragilité de l'enfance, ses angoisses, le trouble ressenti devant les attentes contradictoires de cultures qui se superposent sans s'amalgamer. À qui doit aller la loyauté de l'enfant ? Au drapeau dans ces années où se consolide la République au détriment des libertés individuelles ? Aux origines qui donnent à la vie communautaire tout son sens ? À la famille qui protège les siens dans l'adversité ? L'auteur ne tranche pas, montrant qu'une personnalité se construit d'apports multiples qui seront les flotteurs indispensables dans un monde toujours fluctuant, toujours en mouvement. Parfois, la fulgurance du bonheur apparaît dans la lumière de l'été, le cocon douillet de l'appartement en hiver, autant que dans le mystère des mots qui éclot chaque jour.
La deuxième partie du livre, Entre les îles et autres histoires, affirme différemment son caractère autobiographique, par une écriture qui n'hésite plus à utiliser le « je » ou l'anecdote. Des textes courts où brillent des réminiscences graves (Ahmet l'éboueur, Alfred) ou amusées (Esma). La plume de l'auteur appuie à peine sur le papier, comme si la trace de la gaieté ou du chagrin se faisait légère pour se fondre dans le paysage d'une enfance enchantée.
Rosie Pinhas-Delpuech nous évoque avec une grâce particulière un monde qui s'efface en même temps que disparaissent les cultures qui le dessinaient dans sa diversité.
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Ce livre se compose deux parties : un récit autobiographique (à la troisième personne) sur l'enfance et le surgissement des premières langues apprises (le turc, le français), parmi d'autres demeurant flottantes ou potentielles (le judéo-espagnol, l'allemand) ; la seconde, qui rassemble des nouvelles courtes ayant pour cadre principal les Îles des Princes au large d'Istanbul, un des lieux emblématiques du cosmopolitisme stambouliote saisi lors de son crépuscule, sans pourtant qu'apparaisse le thème du déclin.
La nature d'autofiction est perceptible dans l'ensemble, ainsi que la filigrane du climat de la Turquie des années 1950-60 à l'égard des minorités religieuses (recensements, pillages du 5-6 septembre, école turque et lycées étrangers), rendu surtout par un ressenti vague d'une enfant ou d'une jeune fille qui partira bientôt.
L'implication du narrateur et celle de la mémoire de l'auteure sont donc très fortes (notamment par rapport aux mots et aux langues), surtout si on les compare à la littérature minoritaire (par ex. à Mario Levi) qui n'est pas ni ne ressemble à la littérature migrante, dans laquelle s'inscrit au contraire RP-D.
Il est intéressant de noter à son égard, qu'elle est désormais (depuis bientôt 30 ans) principalement traductrice non du turc mais de l'hébreu, langue d'une première migration adulte, vers le français, « langue père » qui possède aussi pour elle un statut plutôt particulier où se mêlent des événements biographiques anciens à d'autres plus récents…
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J'ai découvert Rosie Pinhas-Delpuech avec le Typographe de Whitechapel  et j'ai eu envie de mieux connaître cette auteure, aussi traductrice de l'Hébreu, polyglotte, native d'une Istanbul cosmopolite et multiculturelle. 

Avec les Suites byzantines, je ne pouvais mieux tomber : suite de nouvelles formant un roman d'apprentissage : une petite fille décrit la perception de son environnement familial, la découverte de son quartier stambouliote, et des îles où elle passe ses vacances. Enfin, son parcours scolaire, entre l'école élémentaire turque, "école aimée de Dame Nénuphar" où elle apprend à écrire et lire le Turc qu'elle ne parlait pas, puis son entrée au Lycée français de Jeunes Filles, Notre Dame de Sion conditionnée à un apprentissage du Français écrit, qu'elle parle et lit.  

La future traductrice vit dans un univers polyglotte, elle passe d'une langue à l'autre à la maison tandis que la Turquie d'Atatürk a révolutionné la langue turque, "faisant le ménage des vieux mots arabo-persans" et allant rechercher des sonorités turkmènes et mongoles évoquant la steppe. L'acquisition du turc, chez les minorités juives, grecques ou arméniennes est une question politique, sous la contrainte. 

"Quelle est ta langue mère? demandent entre eux les enfants à l'école. Question embarrassante qui laisse l'enfant sans réponse. Elle n'a pas de langue mère. Sa langue mère est la langue père mais cela ne se dit pas. il n'y a pas de langue paternelle, il n'y a de langue que maternelle[...]Ni le juif espagnol ni l'allemand de la mère ne répondent à ces critères. L'un est domestique, l'autre une greffe contre nature. Les Juifs ont-ils une langue maternelle? [...]par une nostalgie grandissante pour cette impossible langue l'enfant se prend d'amour pour une mythique Asie centrale et le turc qui en émane. Une langue qu'elle apprend à mesure qu'elle l'écrit..."

Juif-espagnol de la mère et de la Grand mère, allemand, français, mais aussi hébreu. La petite fille est fascinée par l'oeil de la radio de ses parents qui diffusent aussi du grec (que les voisins parlent), du bulgare (que les parents comprennent). Très jeune, elle joue avec les sonorités voisines (ou pas) l'étymologie des mots. Richesse aussi des multiples cultures, contes de Grimm ou d'Andersen, fables d'Esope, récits de la Bible ...l'imaginaire de la petite fille est nourri à diverses sources et tellement riche. 


Très jeune, elle prend conscience du statut de minorité dans un environnement très nationaliste, elle détecte le mensonge des parents au recenseur, elle comprend l'importance du drapeau turc qu'il faut suspendre dans la rue. Soumission au buste d'Atatürk à l'école. Manifestations pour la partition de Chypre et émeutes intercommunautaires. 

La première partie : Suite byzantine est centrée autour de la petite fille tandis que la deuxième Entre les îles met en scène différents personnages, Esma la folle, Ahmet l'éboueur, Alfred le clochard. La tonalité est plus grave, plus mélancolique et nostalgique. le charme reste entier. 

Quelle lecture charmante! 
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Un jour, il y a longtemps, les hommes ont voulu être aussi fort que Dieu et construire une tour qui aille jusqu’au ciel, mais Dieu a décidé de les punir de leur orgueil et a mélangé leurs langues. Les gens ne se comprenaient plus, l’un demandait du mortier, on lui apportait de l’eau, l’autre demandait une pierre, on lui apportait un seau, ils ont empilé n’importe quoi et, badaboum, la tour s’est effondrée. On l’a appelée la tour de Babel, dit la grand-mère, parce que Babel veut dire mélange.
p.29
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Le soir....C'était sur la terrasse, la mer était plongée dans le noir, on l'entendait respirer.
p.123
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Parfois, quand il écrit le mot "gurbet", sa gorge se noue. "Gurbet", c'est le lointain douloureux et étranger, la terre inhospitalière, le déracinement, le mal du pays, l'étrangeté. Ça vient de "garip", qui désigne l'étranger, celui qui a quitté son foyer, le sol natal, un être à part, marginal, déraciné. Le mot revient souvent dans les lettres qu'il lit, comme dans celles qu'il écrit. Et il s'étonne parfois que le simple tracé de ces six lettres ravive avec une telle force la douleur des heures, des jours et des années passées au loin : "Comme c'est étrange, dit-il, comme c'est "garip", les mots."
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L'oreille de l'enfant associe par parenté sonore le turc et le français, l'armée, "ordu", et l'"ordre" dont cette même armée se porte garante. Dans son lit, elle croit que l'armée, "ordu", s'est brusquement déchaînée et que, devenue "horde" désordonnée, elle s'est déversée dans la rue.
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"Quelle est ta langue mère? demandent entre eux les enfants à l'école. Question embarrassante qui laisse l'enfant sans réponse. Elle n'a pas de langue mère. Sa langue mère est la langue père mais cela ne se dit pas. il n'y a pas de langue paternelle, il n'y a de langue que maternelle[...]Ni le juif espagnol ni l'allemand de la mère ne répondent à ces critères. L'un est domestique, l'autre une greffe contre nature. Les Juifs ont-ils une langue maternelle? [...]par une nostalgie grandissante pour cette impossible langue l'enfant se prend d'amour pour une mythique Asie centrale et le turc qui en émane. Une langue qu'elle apprend à mesure qu'elle l'écrit..."
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Videos de Rosie Pinhas-Delpuech (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Rosie Pinhas-Delpuech
Samedi 6 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Rosie Pinhas-Delpuech tenait une conférence intitulée : Demain/La Veille, une fonction grammaticale vitale en hebreu.
« Il y a quelques mois, j'ai publie une sorte de roman sur la naissance incertaine et balbutiante de l'hebreu moderne. A travers la traduction et l'ecriture, ma vie est liee au destin de cette langue et de la societe qui la parle depuis cent ans seulement. A travers les deux – une langue, une communaute humaine – je m'interroge tous les matins sur qui je suis, qui nous sommes tous ensemble dans le monde. Ce tout petit pays et sa langue sont pour moi comme un prototype d'humanite, une petite scene ou se jouent nos destins petits et grands. Periodiquement, j'y retourne, j'ecoute, je regarde, de toutes petites choses, des modeles en miniature. de la Bible aux auteurs modernes que je choisis de faire passer en francais, de la traduction a l'ecriture, qu'est-ce qui dans l'hebreu, langue ancienne-nouvelle, m'interroge en permanence sur ce qui fut et ce qui sera, sur une utopie peut-etre encore en cours, bancale, dissonante, precaire ? »
+ Lire la suite
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