Pourquoi s'intéresser à la traduction automatique ? Parce qu'elle est partout, jusque dans votre poche, lovée dans le silicium de votre téléphone Android, Apple ou autre. Jusqu'aussi dans la notice d'utilisation de certains biens de consommation, qu'ils soient fabriqués en Asie ou ailleurs ; qui ne s'est jamais amusé de ces notices écrites dans un français dont l'incongruité trahit l'usage d'une traduction automatique. Ainsi cette erreur sur l'emballage alimentaire de saucisses polonaises ; l'anglais, polish sausage rendu par polissez la saucisse.
Thierry Poibeau qui dirige des recherches en traduction automatique nous fait avec son livre
Babel 2.0, un état de l'art. Vous y apprendrez que l'idée de traduction automatique est née bien avant l'avènement de l'informatique, en des temps où des philosophes, tels
Leibniz ou
Descartes pouvaient rêver d'une langue universelle. Au vingtième siècle quand l'ordinateur et la puce en silicium n'existaient pas encore, des ingénieurs tentèrent d'élaborer des règles qui permettraient de mécaniser la traduction. On élabora d'abord des systèmes à bases de règles, liées aux propriétés grammaticales et lexicales des langues à traduire. On désespéra très vite des mauvaises performances, même avec la montée en puissance de l'électronique : dans les années 1980, la plupart des recherches sur le sujet étaient en train de perdre leurs financements.
Puis, avec la mise en réseau du monde et la montée en puissance des mémoires électroniques une approche statistique tirant parti les énormes corpus de textes en gisement sur internet se révéla pleine de promesses (L'intelligence artificielle et le Big Data aidant). Mais ne détaillons pas ici l'histoire des différentes approches ; le sujet n'est pas simple et s'il vous intéresse lisez ce livre.
Pour éveiller la curiosité de qui hésiterait encore à lire cet ouvrage passionnant nous mettrons en exergue deux remarques. La première pointe l'idée qu'une machine ne traduit pas. Les opérations qu'elle exécute relèvent plus du décodage que de la traduction. En cela on peut la rapprocher de la cryptographie. Or il n'est pas inintéressant de savoir que les premières recherches en traduction, tout comme celles en cryptographies furent d'abord financées par la recherche militaire ; pendant la guerre froide traduire rapidement du russe vers l'anglais (ou vice versa) était un enjeu de sécurité national. Depuis les années 1990, les enjeux militaires sont toujours là (la langue Arabe a beaucoup gagné en importance stratégique) mais ces technologies sont devenues de puissants outils au services d'intérêt commerciaux : la cryptographie n'est plus un monopole d'État et la traduction automatique est un relais évident de l'économie mondialisée).
La seconde remarque porte sur la traduction littéraire. Les chercheurs en traduction automatique ne se font pas d'illusion ; le fruit de leur travail n'a pas vocation à traduire La Comédie humaine en Guarani ou Leaves of Grass en Japonais. Par contre,
Thierry Poibeau vous montrera avec brio à quel point l'approche statistique de la traduction n'est pas sans rappeler comment les mots prennent un sens dans l'esprit. Car c'est une intuition que chacun d'entre nous peut concevoir ; nous n'avons jamais eu besoin d'un dictionnaire pour accéder au sens de la majorité des mots de notre vocabulaire. La notion que nous pouvons avoir d'un mot n'est pas sans rapport avec la fréquence à laquelle il est utilisé dans notre entourage. Cela ne fait pas d'une machine un esprit en puissance mais cela interroge.