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EAN : 9791037107947
336 pages
La Table ronde (11/03/2021)
5/5   1 notes
Résumé :
Dans la vraie vie, Thierry Radière est professeur d'anglais, comme Mallarmé avant lui. Ce métier offrirait-il une porte dérobée vers la poésie de ce monde ? Il faut le croire, tant Entre midi et minuit est habité par un ailleurs, si proche et si loin, qu'il s'agit d'attraper avant qu'il ne se sauve.
Le recueil compte trois parties : « Poèmes totémiques », « Je n'aurais pas pu voir » et « J'avais déjà dit un jour ». Les aubes n'y sont pas navrantes. Souvent l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Thierry Radière, auteur d'une oeuvre importante en poésie, romans, nouvelles, récits et essais, publie un livre somme en trois parties, un triptyque plutôt tant tout est lié, relié sur un même fil de vie. le poète dans ce recueil trois-en-un entreprend d'élucider, avec précision et ténacité, ce qui constitue la trame intime de sa vie : lire, écrire, vivre, une tresse aussi indissociable que l'air, son souffle et ses poumons.

Le premier ensemble, riche de quelque 115 pages, intitulé Poèmes totémiques, fait écho à tous les poètes, hommes et femmes, lus, aimés qui ont laissé une trace durable sur sa plaque sensible de lecteur. Chacun d'eux, accompagné de son dédicataire, se dresse sur le seuil, compagnon bienveillant, ouvreur de piste, propagateur d'ondes ou magicien des visions. Tous unis sur « le petit cahier intérieur » dans une conversation qui se prolonge par-delà le temps et l'espace, étrange « proximité » comme si leur chair, leur âme étaient passées d'un bloc dans celles du lecteur. Car, pour Thierry Radière, la poésie est une énergie qui circule, qui donne sens et vie à ce qui est perçu. Lire, c'est entrer dans la tête de l'autre, dans tout son être, coins et recoins, dans son aura aussi, unique. C'est le ressentir de l'intérieur, être changé par lui de façon intime, profonde. Priorité à l'émotion − ce mouvement au fond de soi − les mots lus vivent en lui comme des êtres à part entière, leurs cellules imprégnant son sang, sa chair, jusqu'à le constituer au même titre que tout le reste. « Où sont les heures intermédiaires / celles où on est à la fois / homme femme enfant animal / tout naturellement / entre les minutes diluées / et les repas à venir ? » le poète est un être éminemment poreux, diffracté, éparpillé en un «gigantesque puzzle » où cohabitent tous les événements, tous les êtres du jour ou de la nuit comme autant de « bribes d'existence » qui remontent à la surface sans ordre particulier que la vie qui les capte. Car le temps de l'écriture est autre : il chamboule les frontières communes, les abolit. Ainsi, dans ce premier ensemble, se côtoient sans souci de dates des poètes d'hier et d'aujourd'hui, connus, moins connus, peu importe puisque, nourris de la même énergie vitale, ils forment la même tresse. Lire, aimer, est-ce autre chose que créer ? Qu'« aller de totem en totem / et de les faire tenir debout / du mieux possible» ?

Le poète, « secrétaire » de lui-même, parle avec beaucoup de lucidité de cette alchimie secrète qu'est l'écriture. Et s'ouvre le second ensemble « Je n'aurais pas pu voir », pages 127 à 240. Les mots, les siens, ceux des autres, donnent à voir, à vivre, permettent de ne pas, de ne plus mourir. Les mots savent de nous davantage que nous ne savons, on peut leur faire confiance. Ils flottent au bord de la conscience puis remuent, petits poissons entre deux eaux, avant de nager sur la page. Tous participent de « cette fascination pour la magie / dont j'essaie de comprendre les tours / assis à mon bureau / ligne après ligne / texte après texte / aussi déterminé / et nonchalant/ qu'un lapin blanc / échappé du haut chapeau / d'un prestidigitateur étranger. » Car le poète, aveugle-né qui a appris à « s'adapter le plus poétiquement / qui soit » se reconnaît dans chacun d'eux, tous l'aident « à voir plus clair », menus grains de lumière dont il peut à sa guise extraire un plein seau.

L'écriture possède son rituel, son lieu, son heure, son attitude. Son temps est à l'image du sentiment : « élastique » : « Il sera bientôt minuit / avant même d'avoir été midi / parce qu'écrire / c'est se perdre dans le temps / c'est en trouver un autre / jamais visible au bas de l'écran. »
Le titre dit assez ce qu'est le geste : un rite initiatique naturel, devenu solaire au mitan de la vie, mots de « plein jour », de « midi », heure où la lumière est à son zénith, heure de la pleine conscience, de l'ouverture grand champ après le long apprentissage des années, l'endurance acquise, moment le plus propice à la rencontre des antennes sensorielles et du savoir-faire.
Le poète, tel un éternel maçon aux « joues heureuses », le sait, ne s'inquiète pas, l'oeuvre est en cours et se prolongera jusqu'à « minuit », terme du compagnonnage, âge de la sagesse conquise. Point de métaphysique ou de dogme ésotérique dans cette appréhension du monde mais le temps travaillé, juste lui, qui humblement fait son oeuvre de la « première heure » à « la tombée de la nuit ». L'imaginaire peut voguer entre souvenirs et réalités, présences et absences, le tout est de « rester maître » dans son laboratoire de rêves. le but : « absolument comprendre » ce qui pousse à créer, être en somme « mieux vivant ». Ou la poésie-la vie, comme une construction de soi-même, le meilleur moyen de faire advenir le monde en soi, qui n'existerait pas autrement. Une oeuvre oeuvrée doublement. Une durée.

Dans « J'avais déjà dit un jour », troisième ensemble, le poète peut tout redire car tout est toujours nouveau. Il peut emprunter les mêmes trains, péniches, voitures ou avions, enjamber les mêmes ponts, parcourir les mêmes routes, revoir le même film, tout a changé car lui-même a changé. Et le voyage ne peut finir pour l'aventurier de soi pris dans ses rêveries. Il ne va nulle part ailleurs qu'au fond de lui-même, point de fuite illusoire, inatteignable mais qui le guide sur la pellicule en cours. Depuis sa « cabane d'enfant sauvage » jusqu'à son bureau-vigie qui fait acte de résistance, « le cinéma intérieur » peut continuer de dérouler en douceur ses fantasmagories « Entre midi et minuit ».

Aucune effusion de style chez Thierry Radière qui écrit « sans prétention », « sans paillettes », aucune envolée lyrique mais des mots simples, justes, sans masques ni « mascarade », qui résonnent au plus près des sensations. Des mots pourtant que l'on reconnaît. Nul vocable savant ou alors en clin d'oeil amusé comme ce « postprandial » qui clôt gaillardement un déjeuner dominical. «Tout est là sans discours / ni cravate ni robe de soirée / avec des contours et un relief / si parlants / qu'on en oublierait/ sa langue maternelle.»

Aussi, yeux fermés après la lecture du livre de Thierry Radière, ai-je oublié ma propre langue pour entrer dans la sienne et ajouter un dédicataire aux « poèmes totémiques » d'ouverture. Que l'auteur voie dans ce sillage impromptu l'une des innombrables traces que laisseront ses poèmes sur leurs lecteurs.

À Thierry Radière

De la page qu'il lit à celle qu'il écrit
tout se multiplie démultiplie
c'est une cellule pas comme les autres
une du coeur (du coeur du coeur)
reliée à tout le reste
un organisme vivant à longs cils
qui vibre fusionne ramifie
il n'y peut rien il est né comme ça
− et même avant −
pour dire ce qui importe
les voyages improbables à dos d'étoile
ou de pince à linge les bribes de rien
choses menues ou grands soleils
qui tournent dans le ventre
à la vitesse de comètes
ou de tortues oubliées
tout cet indicible qu'il aime
soudain transvasé
renouvelé − intact.

Marilyse Leroux
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Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Méfions-nous
des beaux couchers de soleil
que nos mémoires
ne retiennent que forcées
par nos habitudes
d'être à cours d'imagination.
Il y a tellement de choses
plus extraordinaires
dont on ne parle jamais
et qu'on trouve souvent
dans les poèmes
l'air de rien
écrits sans aucun prétention
et surtout pas celle de briller
au-dessus d'une mer d'huile
je pense à ce que les mots cachent
que les poètes ne maîtrisent pas
que nos sens de lecteurs détectent
sans penser à une carte postale.
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En Amérique du Sud
Les oiseaux parlent
Aux coeurs des fillettes
Et comme elles ne dorment pas la nuit
Elles chantent avec eux
Des chansons in compréhensibles
Mais belles à la fois.
Dès que le jour se lève
Elles finissent par s'endormir
En rêvant de paysages
Que de timides mains
Leur dessinent
Au fond des yeux
Pour qu'au crépuscule
Les oiseaux reviennent
Et continuent sans elles
A communiquer sans tabou
Sur l'origine du bonheur
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En jardinant
Les gestes réguliers
'habitude de semer
L'homme au chapeau de paille
Finit par se faire
Beaucoup d'amis
Parmi les insectes
Sans visage et sans langue
Et c'est en fait ce qu'il recherche
Plus que tout dans son potager:
La proximité des ombres
Munies de pattes crochues
Que personne ne voit
A part lui-même
Et qu'il aime plus que tout
Retrouver dans la terre
Sur les feuilles
Au fond des veines.
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Ce n'est pas faute
de vouloir comprendre
mais à chaque fois
un bout de laine
un grain de sable
une particule de bois
s'immisce quelque part
et c'est foutu
il faut tout reprendre
à zéro
ou s'en contenter
si rien ne disparaît
et alors une fiction se prépare
mais elle est peut-être là
l'origine du malaise :
trouver une suite
jour après jour
à l'invention de son existence
qu'elle paraisse plus vraisemblable.

(Je n'aurais pas pu voir)
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C'était il y a longtemps
à l'époque où les poires
étaient cueillies à même
l'arbre dans le poulailler
au milieu du caquètement
des poules un peu vieilles
mais tellement attachantes
avec leur air de sainte-nitouche
leur tête de travers
leur patte relevée
que la vie paraissait simple
après tout au centre
d'une préhistoire fermière.
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