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EAN : 9782358722247
272 pages
La Fabrique éditions (14/01/2022)
3.86/5   11 notes
Résumé :
Il y a trente ans les augures annonçaient le triomphe mondial de la démocratie et l’avènement d’un âge consensuel où la considération réaliste des problèmes objectifs engendrerait un monde apaisé. Si ces belles espérances ont été cruellement démenties, ce n’est pas seulement par l’agression de forces externes. C’est de l’intérieur que le consensus s’est révélé comme la violence d’un capitalisme absolutisé et comme une machine à fabriquer toujours plus d’inégalité, d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
En règle générale, je n'apprécie pas spécialement les recueils d'articles qui ont commenté l'actualité au moment de leur parution car, même lorsqu'ils ne sont pas invalidés par la suite des événements et qu'ils gardent de la pertinence pour représenter la période à laquelle ils se réfèrent, il est rare qu'une pensée construite et structurée s'en dégage. Dans cet ouvrage, c'est pourtant l'inverse ; cela contribue grandement à mon enthousiasme.
Les « trente inglorieuses » ce sont les trois dernières décennies au cours desquelles le capitalisme « absolutisé » et sans rival était censé créer un consensus autour du réalisme politique dans un monde apaisé. Or ce consensus n'est pas nié par le philosophe, mais sont révélés ses aspects violents, sa construction systématique d'un « monde » fondé sur les inégalités, l'exclusion et la haine, caractérisé par l'autoritarisme d'un État imbriqué à la finance créateur d'une idéologie qui pratique une confusion sémantique délibérée autour des notions de démocratie, de peuple-populisme, d'individualisme et enfin, en France, des « valeurs républicaines ». Les balises des événements traités ne semblent constituer, par la construction dans laquelle ils trouvent leur place dans l'ouvrage, que les exemples d'une théorisation plus vaste, extrêmement cohérente, et singulièrement déroutante par rapport aux lieux communs dans lesquels l'opinion baigne. Ainsi, dans la première partie, il est nié que le racisme soit le nouveau credo des classes populaires défavorisées par la mondialisation. Il est démontré qu'il est au contraire un élément idéologique des classes dominantes, absorbé en grande partie par les intellectuels de gauche eux aussi, opérant dans le même dénigrement une action de déconstruction-reconstruction d'un peuple constitué des dénommés « populistes » et de leurs victimes. La deuxième partie, à travers la politique étrangère états-unienne, infirme la supposée « naïveté » que les Européens ont tendance à lui prêter, afin de mettre en exergue l'usage politique de la construction de la menace et de la prégnance des politiques guerrières et sécuritaires. La troisième partie, en prenant son essor de plusieurs réflexions sur Mai 68 et la relecture actuelle, a son point fort dans la démonstration fort surprenante de la divergence qui existe entre démocratie et représentation. Contre un système politique foncièrement inégalitaire, la démocratie consiste dans la lutte toujours nécessaire et actuelle pour découper, éventuellement par intermittence, des espaces et des temps de création de l'action égalitaire : en somme, il s'agit de la nécessité d'inventer d'autres formes égalitaires d'être-au-monde, d'autres « mondes ». Dans ce cadre, une place importante est réservée aux mouvements d'occupation – une analyse étymologique passionnante de ce mot au double sens est également proposée – dont la Nuit Debout, ainsi que d'autres épisodes contestataires comme celui des Gilets jaunes. Dans ce contexte, je trouve regrettable que Rancière n'ait fait qu'évoquer très marginalement les ZAD. Enfin, l'ouvrage se clôt sur un article très lucide issu de la période du premier confinement Covid, où les théories complotistes sur les dérives du « biopouvoir » sont démenties et l'optimisme sur les métamorphoses à venir dans le « monde d'après » considéré avec incrédulité.



Table [avec rappel du contexte, et appel des cit.]

Avant-propos [cit. 1]

I. le racisme d'en haut :

- L'immigré et la loi du consensus [lois Méhaignerie-Pasqua, 1993]
- Les raisins sont trop verts [mouvements sociaux suite au projet de loi Juppé sur la Sécurité sociale, 1995]
- Sept règles pour aider à la diffusion des idées racistes en France [automne 1996]
- La loi et son fantôme [projet de loi Debré sur l'entrée et le séjour des étrangers, avril 1997]
- L'État et la canicule [été 2003, suivie par l'approbation en catimini, le 21 août, du projet de loi sur le régime des retraites de base]
- À propos du voile islamique : un universel peut en cacher un autre [automne 2003-printemps 2004, loi sur l'interdiction du port des signes religieux à l'école]
- Modeste proposition pour le bien des victimes [interdiction du voile « dissimulant son visage », octobre 2010]
- Racisme, une passion d'en haut [mort d'un jeune Rom abattu par un policier, représailles de sa communauté, expulsions massives de camps de Roms, été 2010. Cit. 2]
- L'introuvable populisme [janvier 2011. Cit. 3]
- À propos de la liberté d'expression [sur l'assassinat de Samuel Paty, novembre 2020]
- La haine de l'égalité [entretien avec Selim Derkaoui sur la théorie de l'égalité des intelligences, avril 2021]

II. La non-démocratie en Amérique :

- La surlégitimation [sur la Première guerre du Golfe, 1990-1991]
- le 11 Septembre et après : une rupture de l'ordre symbolique ? [intervention datant de février 2002]
- de la guerre comme forme suprême du consensus ploutocratique [sur la Seconde guerre du Golfe, octobre 2003. Cit. 4]
- Les fous et les sages : réflexions sur la fin de la présidence Trump [janvier 2021. Cit. 5]

III. Les présents incertains :

- Interpréter l'événement 68 : politique, philosophie, sociologie [janvier 2018]
- Élection et raison démocratique [durant la campagne présidentielle qui aboutirait à l'élection de Sarkozy, 2007]
- Mai 68 revu et corrigé [sur le propos de Sarkozy concernant « la nécessité d'en finir avec l'héritage de 68 », mai 2008]
- Occupation : le sens d'un mot et celui d'une pratique [allocution tenue à Brown University, avril 2015]
- Nuit Debout : désir de communauté ou invention égalitaire ? [entretien avec Joseph Confavreux, avril 2016. Cit. 6]
- Les vertus de l'inexplicable : à propos des Gilets jaunes [janvier 2019]
- Au-delà de la haine de la démocratie [sur les mouvements d'occupation des places et création d'espaces sociaux dans les années 2010, allocution tenue à Turin, mars 2019. Cit. 7]
- Défaire les confusions servant l'ordre dominant [entretien avec Joseph Confavreux, décembre 2019. Cit. 8]
- Intervention devant l'assemblée des cheminots [janvier 2020]
- Une bonne occasion ? Réflexions au temps du confinement [avril 2020]
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critiques presse (2)
Bibliobs
17 janvier 2022
Les thèses d’extrême droite ont contaminé l’ensemble de la classe politique, estime le philosophe. Et la logique du barrage ne parviendrait qu’à les renforcer. Dans « les Trente Inglorieuses », il analyse les causes de cette dérive.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LesInrocks
13 janvier 2022
La sortie d’un livre de Jacques Rancière est toujours une excellente nouvelle, tant l’auteur du Partage du sensible (2000) ou encore de La Haine de la démocratie (2005) contribue, depuis des années, à éclairer l’air du temps.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Je ne sais pas si ceux qui règnent sur nous sont intimement convaincus de leur supériorité intellectuelle et morale. Ce sentiment de supériorité est plutôt quelque chose comme l’idéologie professionnelle des gouvernants et des possédants, celle qui leur permet de faire tourner la machine. Aujourd’hui, en effet, l’idéologie des détenteurs du pouvoir n’est plus liée à l’affirmation d’objectifs lointains et plus ou moins grandioses (révolution, « nouvelle société » ou autres). Elle se ramène à la conviction qu’ils font simplement ce qui est imposé par la nécessité objective (le fameux no alternative de Margaret Thatcher). C’est ça que j’appelle le consensus : non pas l’idée qu’il faut que tout le monde s’entende, mais l’idée qu’on est obligé de consentir parce que les choses sont comme elles sont et qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Cela implique bien sûr que ceux qui refusent la loi du consensus soient regardés comme des êtres immatures qui ne voient pas la réalité globale des situations et suivent la loi de leurs désirs ou bien des idéaux utopiques.
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8. « Le grand coup de génie a été d'interpréter la destruction des formes collectives de travail commandée par le capital financier comme l'expression d'un "individualisme démocratique de masse" issu du cœur même de nos sociétés et porté par ceux-là mêmes dont les formes de travail et de vie étaient détruites. À partir de là, toutes les formes de vie commandées par la domination capitaliste étaient ré-interprétables comme des effets d'un seul et même mal – l'individualisme – auquel on pouvait, selon son humeur, donner deux synonymes : on pouvait l'appeler "démocratie" et partir en guerre contre les ravages de l'égalitarisme ; on pouvait l'appeler "libéralisme" et dénoncer la main du Capital. Mais on pouvait aussi rendre les deux équivalents et identifier le capitalisme au déchaînement des appétits consommateurs des petites gens. C'est l'avantage d'avoir donné le nom de "libéralisme" au capitalisme absolutisé – et, par ailleurs, parfaitement autoritaire – qui nous gouverne : on identifie les effets d'un système de domination avec ceux des formes de vie des individus. On pourra donc, à son gré, s'allier aux forces religieuses les plus réactionnaires pour attribuer l'état de nos sociétés à la liberté des mœurs incarnée par la PMA et le mariage homosexuel ou se réclamer d'un idéal révolutionnaire pur et dur pour faire porter à l'individualisme petit-bourgeois la responsabilité de la destruction des formes d'action collectives et des idéaux ouvriers. » (pp. 214-215)
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Les « républicains » qui seraient censés faire rempart en 2022 contre l’extrême droite raciste sont en fait alignés sur ses positions quand ils ne les dépassent pas, comme on le voit aujourd’hui avec le reproche de mollesse fait à Marine Le Pen par notre ministre de l’Intérieur. L’idéologie élaborée par les intellectuels « républicains » a réussi le coup de génie de mobiliser les vieilles valeurs de gauche (l’instruction du peuple, la laïcité, l’égalité des sexes, la lutte contre l’antisémitisme) pour les retourner complètement et les mettre au service de la passion inégalitaire et du racisme le plus cru. Le « républicanisme » est ainsi devenu une extrême droite d’un type nouveau, une extrême droite « de gauche ». Un front républicain contre Marine Le Pen ? Mais elle est 100 % républicaine au sens que ce mot a pris.
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2. « Ils [les États ayant renoncé à contrôler la circulation des capitaux] se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c'est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d'insécurité. C'est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d'être et le moyen de leur légitimation.
De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentielles : une fonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité ; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l'immigration, cela a d'abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d'immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l'immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des "immigrés" légaux. C'est encore la même logique qui a commandé l'usage récent de la notion de "Français d'origine étrangère". Et c'est cette même logique qui vise aujourd'hui les Roms, en créant contre le principe même de libre circulation d'Européens qui ne sont pas vraiment européens, de même qu'il y a des Français qui ne sont pas vraiment français. » (pp. 59-60)
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Le peuple, c’est une population prise dans sa totalité et c’est une partie de cette population. C’est la classe exploitée dans son ensemble et c’est la partie de cette classe qui revendique le nom de peuple contre la force dominante ou contre le pouvoir. C’est la force qui combat au nom des opprimés et c’est la « majorité silencieuse » qu’on oppose à cette minorité combattante. On fait toujours comme si le peuple, c’était un grand corps collectif. Certains louent ses vertus de franchise et de bon sens. D’autres dénoncent son ignorance et sa brutalité. Mais ce gros corps populaire que les uns louent et que les autres dénoncent est un fantasme. Dans la réalité il y a une multitude de manières d’être « le peuple » et d’agir comme le « peuple ».
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Vidéo de Jacques Rancière
Jacques Rancière professeur émérite au département de philosophie de l'université de Paris VIII, il est l'auteur entre autres de la Nuit des prolétaires (Fayard, 1981), La Mésentente. Politique et philosophie (Galilée, 1995), le Partage du sensible. Esthétique et politique (La Fabrique, 2000), Politique de la littérature (Galilée, 2007), le temps du paysage: Aux origines de la révolution esthétique (La Fabrique, 2020). -- 11/02/2022 Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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