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EAN : 978B00BM9NHTY
Le Livre de Poche (30/11/-1)
5/5   3 notes
Résumé :
La première série des A la manière de... paraît en 1907. Devant le succès de ces pastiches pétillant d'ironie, leurs auteurs reprennent la plume, mais la guerre interrompt leur collaboration. Né à Elbeuf en 1877, Charles Muller, grand ami de Paul Reboux avec qui il travaille au Journal, sera tué sur la Marne au début de septembre 1914. Paul Reboux fera seul la dernière série, qui paraît en 1925.
Fils de la célèbre modiste Caroline Reboux, à qui il emprunte so... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Pastiche. nom masculin ((italien pasticcio, pâté, du latin populaire pasticius, du bas latin pasta, pâte) : Oeuvre littéraire ou artistique dans laquelle on imite le style, la manière d'un écrivain, d'un artiste soit dans l'intention de tromper, soit dans une intention satirique.
Contrairement à une tradition fortement établie, le pastiche n'est pas originaire du midi de la France, et si les Marseillais mettent en avant " l'authentique pastiche de Marseille", il faut bien reconnaître que ses origines sont bien plus anciennes... et bien plus floues.
Il reste que ce genre particulier à ses maîtres. Depuis La Fontaine pastichant Esope jusqu'à Marcel Proust pastichant le Journal des Goncourt, beaucoup d'écrivains célèbres se sont essayés au genre. de nos jours, des auteurs reconnus comme Patrick Rambaud ou Eric-Emmanuel Schmitt ont, avec le talent qu'on leur connaît pastiché les grands écrivains de leur temps. Certains auteurs s'en sont fait même une spécialité :
Dumanoir et Clairville sont les auteurs d'un inénarrable drame antique intitulé "Caracalla" dont voici un court extrait:
Livia, seule
Hier, Caracalla traversait le Forum,
Et, les yeux à demi cachés sous son péplum
Il m'a, de ses regards, bien longtemps poursuivie.
Ah ! C'est que ma tendresse est son unique envie ;
Et, pour mieux me ravir à mon amant absent,
Il plonge dans les fers un vieillard innocent !
Il poursuit, dans Macrin, le chef de ma famille :
En immolant le père, il ose aimer la fille !
Horreur !...
(Bruit de pas au dehors.)
Qu'entends-je !...
(Allant au fond)
O ciel ! C'est lui, c'est mon Géta
Cet amant que le ciel sur mon chemin jeta !
Geta, qui m'a jetée aux lieux que je végète !...
Courons sur la jetée où mon Geta se jette !
(pour l'intégralité, rendez-vous sur votre moteur de recherche favori en tapant simplement "Dumanoir et Clairville")
Les maîtres incontestés du pastiche sont Paul Reboux (1877-1963) et Charles Muller (1877-1914), auteurs de plusieurs séries de "A la manière de..." aussi désopilants que finement écrits, dans un respect parfait de l'écrivain pastiché. Vous trouverez en citation trois exemples : La Fontaine (L'Anglois et les rieurs), Tolstoï et les romanciers russes (Rédemption) et le docteur Mardrus, traducteur des Mille et une nuits (Le sycomore de l'oubli).
Le manque de place ne me permet pas de vous régaler illico, subito et même presto, des pastiches de Victor Hugo (Colos le Nain, variation de Notre-Dame de Paris) ou de Racine (Cléopastre, tragédie présentée et expliquée par M. Séraphin Libellule, Professeur de Rhétorique au lycée Papillon de Romorantin) ou encore La Parure de Maupassant (à la façon de Dickens, Goncort Zola et Daudet)
Vous ne trouverez sans doute pas ce livre de poche en librairie, sauf chez un bouquiniste ou dans une brocante. Je n'ai pas à vous conseiller de vous jeter dessus, il est probable que c'est lui qui se jettera sur vous. A défaut, vous trouverez quelques uns de ces textes sur Wikisource (entrée Paul Reboux)
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
LE SYCOMORE DE L’OUBLI

À la manière des «Mille et une Nuits» du Docteur Mardrus

à Lucien Graus
Il est raconté — mais Allah est plus savant ! — qu’il y avait dans la ville de Mossoul un marchand nommé Harascha-Lapatal-Omar. Pour compter les dinars d’or dont débordaient ses coffres, il aurait fallu vivre dix fois plus que n’a vécu le soleil. Mais sa plus rayonnante richesse était sa fille, créature d’entre les créatures, trésor d’entre les trésors, l’incomparable Zémmoreïd.
Cette adolescente avait des yeux magiciens, bleus entre des cils sombres et recourbés comme des pétales d’iris. Sa bouche était une fleur de camomille. Ses dents étaient blanches comme le gland dans son écorce. Sa poitrine était une pâte faite de perles, de roses et de jasmins. Elle avait le dessous des pieds comme une plante, la croupe comme la lune, et le bas du ventre comme un chat. On titubait d’admiration rien qu’en approchant du mur qui la dissimulait. Le Cheikh-al-Islam lui-même, s’il l’avait vue, eût fait rentrer sa longueur dans sa propre largeur.
Mais au-dessus de la douce Zémmoreïd planait une perpétuelle mélancolie. Rien ne parvenait à lui être agréable. Pour elle, l’éventail de plumes ne remuait que de l’air brûlant, la musique était silencieuse, et la confiture était salée.
C’est qu’un jour, entre les colonnettes du Moucharabi, elle avait vu passer le bel Hassan-Lassardine. Depuis lors, le glaive du souvenir était resté planté dans son cœur, qui s’y coupait un peu plus à chaque battement.
Jamais Zémmoreïd n’avait entré dans l’oreille de son père le secret amour dont elle se sentait obsédée. C’est qu’Hassan-Lassardine était un jeune homme fidèle aux traditions des ancêtres. Au contraire, le père de Zémmoreïd nourrissait l’ambition de donner sa fille en mariage à l’un de ces musulmans aventureux qui sont allés chez les Roumis, qui se sont embarqués sur des bateaux crachant des étincelles et blanchissant la mer, et qui rapportent de l’Occident toutes sortes de secrets merveilleux pour faire marcher les voitures à ânes sans ânes et enfermer dans des boites à ressorts la voix humaine.
Cependant, l’esclave noire de Zémmoreïd lui dit un jour : « Puisque le Maître exige, ô source pure, que tu reflètes dans le miroir de ta félicité un homme à l’image des barbares du Nord, pourquoi ne fais-tu pas connaître ce vœu au bel Hassan ? » L’adolescente lui masqua la bouche de sa paume parfumée : « Qu’Allah m’en préserve ! » Mais elle avait dit : « Non » comme une amoureuse. Et l’esclave alla trouver en cachette Hassan-Lassardine.
Quand celui-ci connut que la resplendissante Zémmoreïd l’avait distingué, il fit plusieurs tours sur lui-même, et se convulsa tellement que l’on eut grand’peine à démêler les nœuds qu’avaient formés ses membres sous l’effet de la joie et de la surprise.
À partir de ce jour, Hassan ne songea plus qu’aux moyens qu’il pourrait employer pour gagner la faveur d’Harascha-Lapatal-Omar. Il se mit à porter des chapeaux de paille et serra ses fez ; il se priva du Raha-Loukoum dont il se farcissait pour en employer l’amidon à durcir les poignets et le col de ses chemises, et il glissa ses mains dans ces étuis de peau fine que les barbares du Nord appellent des Ghâns.
Ainsi paré, il se rendit chez le père de la jeune fille.
Mais dès que le vieillard et l’adolescent s’aperçurent, dès que l’œil fut tombé sur l’œil, Harascha sentit éclater sa poche à fiel congestionnée. Il se mit à crier : « Fils des bâtards et des chiffons ! Produit de tous les œufs pourris des scélérats ! Quoi ! C’est ton visage de poix que tu crois digne d’effleurer celui de mon insigne enfant ? Que ma langue devienne velue et me pende jusqu’au nombril si elle ne te maudit pas ! Je piétine sur ta face, oiseau de pendaison, crottin d’araignée ! Toi, épouser ma fille ? Tu es tout juste digne de te marier avec le vent, comme un singe en amour ! »
Derrière une draperie, la tremblante Zémmoreïd entendit ces paroles, si redoutables qu’elles auraient pu faire blanchir en un moment les cheveux d’un nouveau-né. Elle sentit son foie se gonfler d’inquiétude et sa poitrine se rétrécir. Mais, courageuse, elle écarta l’étoffe et parut.
« Mon père, dit-elle, considérez que déjà ce jouvenceau, pour vous plaire et pour m’obtenir, a fait bien des sacrifices. Qu’exigez-vous encore de lui ? »
En disant ces mots, elle mit ses deux bras au cou de Harascha, et celui-ci frissonna comme si deux fleuves de lait et de miel lui eussent coulé sur les épaules. Il répondit avec plus de douceur :
« Qu’il prouve d’abord qu’il est homme de demain, et non d’hier. Qu’il se montre à moi, non plus couvert de ces draperies à la vieille mode, mais vêtu comme un fidèle du progrès. »
« S’il portait une culotte, mon père, reprit l’adolescente, lui seriez-vous plus favorable ? »
Durant ces mots, elle peignait, de ses doigts fuselés, la barbe d’Harascha, qui se laissait faire, les yeux mi-clos :
« Ah ! séductrice de la séduction — dit-il enfin — comment te résister ? La nouvelle lune n’est qu’une rognure de tes ongles… Sur ma tête et sur mon œil, j’écoute et j’obéis… Et vous, jouvenceau, procurez-vous une culotte, une belle culotte à la façon nouvelle… Alors, nous pourrons nous dilater dans la confiance et dans l’amitié. »
En sortant de chez celle qui lui sucrait l’âme, Hassan, plus léger que l’Efri, se précipita vers le souk des tisserands. Il éprouva quelque difficulté pour trouver l’étoffe convenable à la destination imposée. Enfin, chez un vieux petit marchand, borgne de l’œil droit et boiteux de la jambe gauche, il découvrit une pièce de tissu dont les carreaux noirs et les carreaux blancs figuraient en quelque manière le dallage du Hammam.
Puis il partit vers le souk des tailleurs, aussi rapide que si l’oiseau Rok l’avait ravi dans ses serres.
Tout au fond du souk, presque en dehors de la ville, logeait un vieux petit tailleur, borgne de l’œil gauche et boiteux de la jambe droite, qui lui promit de coudre le vêtement avant que le soleil du lendemain ne fut couché.
Le jouvenceau revint dès le soir chez le tailleur. Il ne quitta point l’échoppe. Il voulut mesurer, tailler, coudre lui-même durant toute la nuit. Et en cousant, il improvisa ces strophes :
Mon cœur grésille d’amour comme sur un cendrier rempli de charbons ardents.
Le nard est l’haleine durcie de celle que j’aime ;
son front est une pelouse au milieu de laquelle son regard luit comme un jet d’eau ;
et la frange de son front est un râteau qui emporte mes pensées.
La neuvième heure du jour ne s’était pas écoulée que le vieux tailleur avait achevé la culotte. Hassan-Lassardine s’en revêtit, et se dirigea promptement vers la Mecque de ses esprits.
Chemin faisant, il éprouva quelque gêne. Les pans de son burnous frottaient contre l’étoffe noire et blanche et ce contact nouveau l’intimidait. Puis cette gêne devint d’une autre nature. Par les effets combinés de l’émotion et d’une pastèque dont il s’était désaltéré, il éprouva l’un de ces avertissements intérieurs d’abord vagues, puis impérieux, qui peuvent arrêter l’élan des plus résolus. Il lui semblait avoir dans les viscères des torrents fangeux et mugissants qui se heurtaient en tous sens pour s’échapper. Incapable de résister davantage, le jouvenceau sentit le monde noircir devant sa vue. Il se mit à la recherche d’un lieu de solitude. Quand il l’eut trouvé, parmi les feuilles d’un sycomore qui descendaient jusqu’au sol, il se sentit incommodé par sa culotte, dont l’usage, en pareille circonstance, ne lui était pas familier. Il la retira donc complètement, l’accrocha sur les branches du sycomore, et put goûter enfin les béatitudes du débondage, tout en improvisant ces vers :
Il est bien dans le vrai, le poète qui s’écrie : La face du soleil est un cul de singe noir près de la face de ma bien-aimée !
Elle est plus riche et plus variée que l’ensemble de la terre.
Ses lèvres sont une framboise contre une tranche de tomate.
Ses joues sont une cuillerée de confiture à la rose et une lune qui se lève.
Elle a un œil de charbon et un œil de verre.
Enfin, les deux moitiés égales de sa croupe sont, l’une, une montagne de neige, et l’autre, un melon blanc.
Durant tout le temps de sa satisfaction, Hassan ne cessa de penser à la suave Zémmoreïd.
Il était tellement obsédé par ce souvenir que, lorsqu’il se releva, il laissa retomber le burnous et partit, en oubliant, sur la branche de sycomore, la culotte d’étoffe si belle à carreaux noirs et blancs.
En attendant celui qu’elle considérait déjà comme son fiancé, la reluisante Zémmoreïd mangeait du sorbet aux jujubes et des confitures parfumées au musc. Soudain, un bruit la fit se dresser à demi. En bas, la porte cuirassée de clous venait de s’ouvrir. Un claquement de babouches sonnait sur le carrelage de la galerie. C’était Hassan.
Il parut, pâle de bonheur. Pour exhiber à sa bien-aimée la belle étoffe noire et blanche et prouver qu’il avait contenté le désir du vénérable Harascha-Lapatal-Omar, il écarta largement les pans de son burnous, et, croyant montrer la culotte qui pendait toujours là-bas sur les branches du sycomore, il dit :
« N’est-ce pas qu’elle est belle ? »
Zémmoreïd pâlit à son tour. Elle sembla d’abord sur le point de détourner les yeux. Mais un intérêt puissant retint ses regards fixés sur ce qu’Hassan lui montrait. Un sourire d’extase clarifia son visage. Elle parut transportée à la limite de la félicité des félicités et de la délectation des délectations ; enfin, joignant les mains, elle murmura :
« Oh ! oui… Elle est belle ! »
Riches d’une aussi magnifique espérance, ils se mirent aussitôt lèvres contre lèvres et genoux contre genoux, et ils commencèrent des échanges charmants qui ne s’interrompirent qu’à la naissance du matin.

*
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LEON TOLSTOÏ, ET LES ROMANCIERS RUSSES
Traduits en français

RÉDEMPTION
Ivan Labibine Ossouzoff, du Gouvernement de Kartimskrasolvitchegosk, district de Vokovosnesensk-Anskrevosant-choursk, commune de Ortoupinskaïeskaïa-Tienswlapopol, village de Tartine, quand il eut hérité la fortune de sa mère Ilia Vassilievitch Potengleska, et le majorat de son père le général Dimitri Ivanovich Boufnarine, avait longtemps mené une dégradante vie de débauche, car il passait la plus grande majorité de ses jours et de ses nuits, le londrès aux lèvres, à vider coup sur coup des verres successifs d’eau-de-vie et de champagne, à verser la chartreuse dans les pianos, à fréquenter les mauvais lieux ornés de miroirs, et à activer la chute dans le péché des malheureuses condamnées à la violation continue des lois divines et humaines par la corruption du pouvoir légal mis au service de l’égoïsme luxurieux des buveurs et des fumeurs.
Mais, dans la nuit de Noël 1885, le 7 janvier 1886, un événement lui donna à réfléchir sur la conduite éventuelle de sa vie. Son camarade de dissipation, Nicolas Novodvorovodski Moulagoff, après avoir beaucoup bu, beaucoup chanté, beaucoup fumé, trouva plaisant de se faire enfermer dans la glacière d’un restaurant de nuit fashionable. Il y fut retrouvé mort le lendemain dans la glace et dans le péché.
Honte et dégoût ! Dégoût et honte !
À partir de ce jour, Ivan Labibine changea de krokno instantanément. Il distribua aux pauvres tout ce qui faisait le luxe et le confort de son logis, le calorifère, la salle de bains, le tub, les water-closet, l’ascenseur. Il se chaussa de galoches de bois, car il était devenu végétarien, et n’admettait plus qu’on pût utiliser ni la chair ni le cuir des animaux. Il partagea ses terres entre ses paysans. Il brûla sa provision de bois et de charbon. Il brûla aussi sa bibliothèque, car tous les livres sont pernicieux, et contribuent par le mauvais exemple à propager les passions, les maladies sexuelles, l’usage de l’alcool et du tabac.
Enfin il alla faire un mychew dans un des massifs de la Perspective Newsky et y enterra ses gants, sa montre et son lorgnon, car ils sont des objets de luxe contraires à la vie normale, car les animaux, qui mènent une vie normale, s’en passent bien.
Il venait de remplir cet acte salutaire quand il fut accosté par une prostituée.
— Dis-moi quoi, joli bronskoï, viens chez moi, il y a du vodnia
Ivan Labibine Ossouzoff prit les mains de cette malheureuse et les embrassa. Mais elle se recula avec frayeur. L’existence de perdition qu’elle menait lui avait fait oublier la notion du bien et du mal.
— Arrière, vieux diable ! Gueule de cochon ! Que la peste t’étouffe et que mille chiens mangent tes sales tripes molles ! fit-elle en le regardant de travers.
Mais Ivan Labibine reprit sans se décourager :
— Ne te fâche pas, ma petite colombe tout en miel. Je veux t’enlever au malheur.
La fille riposta :
— Donne-moi plutôt trois kopecks pour acheter du kwass
— Je te donnerai gratuitement des meurbacks, poursuivit affectueusement Ivan Labibine.
À ces mots, les yeux bordés de rouge de la prostituée s’humectèrent de larmes.
Ils restèrent ainsi à se causer ensemble sur la Perspective, bien que la neige qui tombait sans interruption depuis le commencement de l’hiver gelait l’air au point qu’il y avait de quoi pleurer et que c’était une propre horreur de froidure.
Enfin la prostituée, en s’essuyant la face avec son bechmet de kanaous rouge, dit :
— Je te suis, petit père.
Ivan Labibine conduisit chez lui cette créature de Dieu.
À partir de ce jour, il s’en alla chaque matin pour marcher sur la Perspective Newsky. Chaque matin, il rencontrait une prostituée, il l’abordait, il s’efforçait de développer ses doctrines, et, chaque matin, il la ramenait chez lui.
Au bout de trois mois, il y avait quatre-vingt-dix réfugiées dans l’isba d’Ivan Labibine Ossouzoff. Elles conduisaient là simplement et franchement une existence conforme à la vie et à la vérité, telles qu’elles étaient avant que les sophismes modernes et les monstruosités du czarisme aient eu empoisonné les âmes et les cœurs. Du matin au soir Ivan Labibine leur montrait son pétarouk irrésistible. Comme il avait été gagné à la doctrine des Doukhobors, il ne tarda pas à les convaincre que les vêtements sont des inventions immorales et hypocrites qui favorisent le péché des sens et l’usage de l’alcool et du tabac. Aussi tout ce monde, sous la Croix vivifiante du Christ, passaient-ils leur temps complètement nus, comme devraient l’être tous les êtres simples et purs, conformément à la parole de l’Évangéliste, qui a dit : « Celui qui ne veut pas vivre en vérité mourra comme le rameau arraché de l’arbre. » Toutes ces femmes ressuscitées de l’erreur rivalisaient de zèle, et leur présence sanctifiait l’isba, dans laquelle régnait. une perpétuelle odeur de ragoudvo .
Mais Ivan Labibine observa que son entourage dépérissait. Une nuit qu’il était étendu, la tête appuyée sur un vieux chaudron, en vrai disciple du Christ qui dort mal sur un oreiller mou, il pensa : « Les enthousiasmantes théories sociologistiques d’Henry George et de Spencer enseignent que ceux qui se sont adonnés aux vices des mondains et des mondaines, tels que la morphine, le vin, l’amour et le tabac, ne peuvent pas être du jour au lendemain guéris de leur poison. On doit leur en faire perdre l’usage seulement progressivement. »
— Mais réellement, se dit-il, le rapprochement des corps est un vice d’habitude, à ainsi dire, et toutes ces femmes qui jadis rapprochaient leur corps avec un autre corps plusieurs fois chaque jour et même chaque heure, sont en train de mourir parce qu’elles sont privées trop brutalement du poison de la luxure.
Alors, il se leva ; il alla trouver Katarina Samovarovna, et il fit avec elle l’acte de chair. Puis il la quitta et alla trouver Alexandrovna Lagarska, avec laquelle il fit également l’acte de chair. Il agit de même pour quatre autres femmes, Vera Efromovna Karapatevitch, Oléine Kamchatka, Agrippine Fornikatrich Ipeka, et Vaséline Vassilievna Petrovna, et retourna dormir sur son chaudron.
Le lendemain, il se dévoua de nouveau, cinq fois au lieu de six. Et il ne le fit que quatre fois au lieu de cinq, la nuit d’après. Et ainsi de suite.
Dès lors, toutes les nuits, il remplit sa mission comme un vrai khok, malgré les fatigues de plus en plus grandes qu’elle lui imposait. Mais à la fin, Ivan Labibine Ossouzoff constata que, d’une part, ses seuls efforts ne suffisaient plus, et que, d’autre part, indiscutablement, ayant donné tous ses biens aux pauvres, il n’en avait plus, et ne possédait plus pour nourrir les habitantes de l’isba qu’un peu de hareng et d’huile. Alors, il demanda l’assistance de quelques hommes connus par leur vertu. Chaque nuit, ces hommes vinrent dans la maison d’Ivan Labibine Ossouzoff. Chaque fois, chacun d’eux apportait un rouble, et ils se mettaient en costume de Doukhobors pour participer à l’œuvre de régénération. Et, comme plusieurs d’entre eux étaient une fois entrés dans la maison voisine, qui était celle de Serge Minskinouchine, un pope dégoûtant et pouilleux, Ivan accrocha au-dessus de sa porte une icone devant laquelle il plaça une petite lanterne rouge.
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Jean de LA FONTAINE
L’ANGLOIS ET LES RIEURS

Aux railleurs, il est bon de ne se fier poinct.
Un Anglois commist cette faute.
Combien de nous sont Anglois sur ce poinct !

Depuis peu, notre homme étoit l'hoste
D'une auberge où maints persifileurs
Tenoient leurs bureaux de malice.
« Hé quoy, Milord ! D'où vient donc que pâlisse
Votre visage aux riantes couleurs ? »
Dirent soudain l'un, puis l'autre compère,
A l'insulaire.
Et d'ajouter : « Un mal qui répand la terreur
Nous marque depuis peu la céleste fureur.
En auriez-vous subi l'atteinte ? »
L'Anglois celait malaisément sa crainte ...
Le plaisantin reprist : « Ce mal a pour effet
De nous vuider comme volailles.
Un beau soir, au lit on se met,
Et, dans la nuict, tout l'amas des entrailles
Se débobine et sort du patient.
Qu'on voit trépasser à l'instant. »
L'Anglois sembloit chagrin. « Ca, dit le bon apostre,
Restaurez-vous par ce jus de raisin.
J'ai dit l'histoire du voisin.
Par ma foi, ce n'est pas la vostre. »
Un coup suivant un coup, l'Anglois lui fit raison,
Au point d'y perdre un peu la sienne.
Tant qu'il buvoit, dans sa chambre on amène
La tripaille d'un caneton,
Pour la nicher entre les draps de toile.
Dès que, nombrant dans le ciel plus d'étoiles,
Que Jupin créateur oncques n'en avoit mis,
L'Anglois eust gagné sa demeure,
Il s'étala, puis il ronfla sur l'heure
En rêvant à ses bons amis.
Le lendemain, poinct d'Anglois dans la salle.
Midi sonne. Il paroist enfin.
« Qu'aviez-vous ? » - « Las! dit-il, cette atteinte fatale
A manqué de glacer mon sein ! »
Chacun, contrefaisant des alarmes, déplore
Le fléau et rend grâce au ciel
D'un salut providentiel.
Notre homme, fermement, ajoute : « Aux feux d'Aurore
Mes sens, d'abord, furent d'effroy saisis,
Mais j'ai pris l'infidèle organe
Et je l'ai, du bout de ma canne,
Tout entier remis au logiz ! »
*
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