Il y eût le père, puis le fils, mais avant il y eût le grand-père dans la famille Dumas - mais aussi l'arrière-grand-père,
Le Normand parti faire fortune à Saint-Domingue en exploitant des esclaves, mais, lui, est un Alexandre-Antoine de la Pailleterie ; et il est plus connu pour ses dettes que pour ses talents d'écriture...
L'auteur résume la vie de ce premier
Alexandre Dumas, ou du général Dumas, par trois noms : "gloire, révolution, trahison". "Gloire", car ce mulâtre fils d'esclave est devenu général de la République française, victorieux de batailles périlleuses, aux interventions décisives. "Révolution", car il commence vraiment son ascension dans la carrière militaire au nom des valeurs révolutionnaires et républicaines. C'est un "soldat de l'an deux", comme ceux célébrés par
Victor Hugo : - grand ami d'
Alexandre Dumas - le père, donc le fils du général - dans un de ses grands
poèmes épiques des Châtiments ": Ô soldats de l'an deux ! ô guerres ! épopées !
Contre les rois tirant ensemble leurs épées "...
Comme dans ce poème, celui qui s'élève dans la hiérarchie, va "fier, joyeux, et soufflant dans des cuivres / ainsi qu'un démon". La "liberté sublime emplit [sa] pensée". Pourtant, le contexte politique est troublé, entre Terreur, guerre de Vendée, tensions dans l'état-major lors de la campagne d'Égypte suite à l'ascension d'un général corse ambitieux...
Enfin, "trahison", car le général Dumas meurt à quarante ans seul, pauvre, sans avoir eu droit aux honneurs et aux récompenses qu'il méritait - notamment la légion d'honneur, délivrée à tous les autres généraux sauf à lui - à cause de la haine d'un homme, général devenu consul suite à un coup d'état. Oui, "Napoléon perçant sous
Bonaparte", pour reprendre à nouveau une expression de Hugo, jalouse Dumas, plus grand, plus fort, plus admiré par les Égyptiens notamment que lui. Il lui reproche ses convictions républicaines qui l'empêchent de l'aduler avec ferveur, et de lui parler comme un homme, assez durement même parfois, et non comme à un maître. Et, surtout, Dumas est métis, à la peau noire, à un moment où le gouvernement du Premier Consul puis de l'Empereur rétablit l'esclavage, vote des lois très dures de discriminations envers les populations noires en France, leur retire les droits que la République leur avait accordé, en faisant des citoyens à part entière - beaucoup de commémorations à l'occasion de la mort de Napoléon cette année, mais certains politiques n'ont pas insisté sur son rétablissement de l'esclavage...
Cependant,
Tom Reiss complète son sous-titre : pour lui, Dumas est "le vrai comte de Monte-Cristo", dont l'histoire personnelle a inspiré son fils. Oui, le général Dumas a été emprisonné très durement, oui, il a trouvé un trésor en Égypte - dont il a fait don à la République, et que le général en chef de l'expédition s'est approprié à ce titre, oui, il a eu des discussions scientifiques et philosophiques en prison, oui, sa vie a été bouleversée par Napoléon... Beaucoup de points communs avec Dantès donc. Et du fond de sa geôle, il a toujours espéré revoir sa femme et sa patrie, fidèle à la future devise du comte de Monte-Cristo "attendre et espérer". Mais le général Dumas n'a jamais songé à la vengeance...
Mais personnellement, j'ai trouvé le général Dumas plus ressemblant avec le bon Porthos qu'avec Monte-Cristo. Porthos était le personnage préféré de Dumas, il ne serait pas étonnant qu'il y ait mis beaucoup de son père adoré. Porthos, le bon Porthos, le Titan à la force herculéenne et à la bonté incroyable. Dumas père adorait son père, le général Dumas, il lui rend hommage dans ses écrits : quand les mères sont souvent absentes ou monstrueuses comme Mme de Villefort, les pères sont remarquables, qu'ils soient pères biologiques ou adoptifs : Athos, Monte-Cristo, Buvat...
Une lecture qui est donc un hommage à la République, au général, à son fils qui est notre Dumas père - mon Dumas père, et à l'amour père-fils. Je vais enfin me plonger dans les Mémoires de Dumas pour approfondir...