Roman polyphonique, monumental,
la San Felice, est le récit romancé d'une des nombreuses révolutions qui secouèrent Naples, celle qui constitua l'éphémère et non moins héroïque République Parthénopéenne de 1799.
A la cour du Royaume des Deux-Siciles, on n'avait jamais, aux dires des mémorialistes, vu un royal couple si risiblement mal appareillé et dissemblable. Marie-Caroline d”Autriche, honnie par son peuple, altière, lettrée et pourtant superstitieuse, despotique et parjure, manipulatrice et diabolique, adonnée aux plaisirs de Sapho, ennemie mortelle de la France depuis la mort de sa soeur bien aimée Marie-Antoinette sur l'échafaud, est la véritable souveraine de fait du royaume. le roi, surnommé par son “bon peuple” de lazzaroni “nasone”, par l'appendice illustrant son royal visage, qui aurait soutenu la comparaison avec Cyrano, Ferdinand IV, grand mangeur de macaroni devant l'éternel, d'un naturel débonnaire et paillard, maintenu dans l'ignorance par une éducation pitoyable et délétère, plus intéressé par la chasse que par les affaires de l'état, volage, cynique et couard, pusillanime, incurable égoïste,ingrat et oublieux envers ses plus fidèles sujets, qui, par leur fidélité exclusive pour leur roi, les désigne à la haine froide et implacable de la reine, mais d'une implacable mémoire et rigueur dans son ressentiment, ne reculant pas devant le travestissement ou la fuite pour sauver sa tête, parjure lui aussi, rendu vindicatif et cruel par la terreur que lui inspirait la Révolution française et par le flambeau de liberté qu'elle brandissait, essaimant de petits foyers de lumière à travers l' Europe, le bon roi Ferdinand, disons-nous, n'était décidément pas le souverain à la hauteur de la gravité des évènements qui secouait Naples. Oeuvre polyphonique avons-nous dit en introduction - d'une longueur respectable qui risque de décourager les curieux et les butineurs en lecture, ce texte offre une galerie de personnages très étoffée permettant une diversité dans le récit et dans les évènements qui captivent le lecteur. Ainsi de nombreuses figures historiques entre en scène, de premier plan ou d'une notoriété plus confidentielle, on citera pêle-mêle : le général français Championnet, qui, à la tête d'une armée de dix mille hommes, mit en fuite les troupes, quatre fois plus nombreuses, de l'autrichien fanfaron, outrecuidant et ridicule, Charles Mack; Nelson le héros d'Aboukir, dont la mort à Trafalgar couronna l'oeuvre de marin indomptable, et que le romancier, républicain et français, ne se fait pas faute de présenter sous un jour peu sympathique;
Lady Hamilton, dont la beauté fut légendaire, maîtresse de ce dernier, maîtresse de la reine, et accessoirement épouse de l'ambassadeur Britannique à la cour, véritable instrument occulte de la monarchie dans ses désirs et ses vengeances; Jean Acton, ministre puissant, et amant attitré de la reine, Machiavel patenté, faussaire au besoin; le Cardinal Ruffo, homme lige du roi, prélat intelligent, pragmatique et fidèle, un stratège inattendu de la réaction, plus enclin à la clémence que ses illustres commanditaires; rappelons aussi les noms de quelques uns des patriotes martyrs de la cause de la liberté comme l'Amiral Caracciolo, le noble Ettore Carafa ou l'homme de science charitable Domenico Cirillo … sans oublier l'héroïne éponyme de ce roman fleuve Luisa Molina San Felice. Les destinés de ces personnages historiques sont environnés d'être de fictions ou réels peu connus, qui sont le reflet des différentes attitudes et comportements qu'eurent les civils et les belligérants durant cette révolution, qui fut ni plus ni moins qu'une guerre civile. Et last but not least, Naples, cette ville qui est une femme, avec ses mystères, ses richesses, ses charmes, ses excès, n'est pas le moindre personnage de cette épopée! Cette cité à la topographie si particulière, la Campagnie (Caserta, Capoue, Paestum, le Vésuve...) et plus généralement le mezzogiorno occupent une place de choix dans l'économie du récit. Récit poignant, émouvant, parfois atroce, avec des scènes d'une violence et d'une horreur inouïes, qu'on ne s'attendrait pas à trouver chez Dumas, captivant surtout, car c'est ici que l'art de l'écrivain opère, nous le répétons : l'ennui n'a jamais point dans cette lecture de cinq semaines (durée minimum à prévoir pour un gros lecteur!). Mon avis sur la valeur historique de l'oeuvre et l'idéologie sous-jacente, sera plus réservé; malgré les protestations de bonne foi maintes fois répétées et l'autoproclamation d'historien objectif, on voit bien que Dumas, républicain enflammé, dresse un portrait à charge de la monarchie et un tableau apologétique des tenants du camp républicain et adapte les faits et les points de vues, pour rendre plus suggestifs les épisodes du récit. Je dirai qu'il faut considérer cette oeuvre comme une oeuvre de romancier avec une teinte historique, est ne pas s'attendre à plus. J'ajouterai, en aparté, que c'est au peuple lui-même à secouer ses chaînes et ce n'est pas à une armée étrangère, fusse-t-elle bien attentionnée, fusse-t-elle porteuse du “flambeau de la liberté” à venir s'immiscer dans cette lutte, au risque d'être immanquablement qualifiée d'armée d'occupation. Au final, moi qui avait choisi cette oeuvre pour me préparer à un voyage estival à Naples et ainsi peupler ce séjour de réminiscences artistiques et historiques, je dirai que Dumas père, narrateur omniprésent, à l'ironie légère et sympathique, fut un excellent Cicerone, avec son style vif, ses références discrètes à l'antiquité et à la mythologie, ses digressions utiles à la compréhension du contexte du récit.