Le chat passe-muraille, écrit en 1985, est l'avant dernier livre de
Heinlein et, par bien des aspects, un testament littéraire et « idéologique ». En ce sens c'est un ouvrage majeur pour comprendre cet auteur car il récapitule toutes les thématiques chères à cet écrivain, l'un des plus prolifiques de l'âge d'or de la science-fiction, souvent associé à
Asimov et Clarke.
Ce livre peut, par certains aspects, dérouter qui ne connaît pas bien l'oeuvre de l'écrivain car il fait revivre et, d'une certaine façon, offre une fin à différents personnages d'autres ouvrages chers à cet auteur. Il s'inspire en particulier de : «
Les enfants de Mathusalem »(1941) et de «
Révolte sur la lune » (1971). Pour autant ce point doit pouvoir être surmonté par un lecteur attentif et n'est vraiment sensible que vers la fin du roman, de toute façon assez décousue pour troubler à peu près n'importe qui. En revanche qui est familier de cet auteur s'amusera voire aura plaisir à croiser de nouveau différents personnages attachants, vus souvent sous un angle différent.
Heinlein s'amuse et c'est assez plaisant.
Ce grand nom de la science-fiction est un admirable conteur et fait preuve ici de sa maîtrise habituelle. Il est difficile, pour qui aime les histoires comme une certaine truculence « à la Audiard » de ne pas passer un bon moment. Par ailleurs cet écrivain n'a pas inventé en vain les 5 règles de l'écriture qui ont marqué toute une génération d'auteurs, sa maîtrise narrative est évidente et le scénario, aussi rocambolesque qu'il puisse sembler, est en réalité très cohérent. Observer cette mécanique de précision est un réel plaisir intellectuel.
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Je ne vais pas détailler une histoire qui est largement un prétexte. En quelques lignes le héros, colonel en retraite (
Heinlein est issu d'une famille de militaires de carrière et a lui-même commencé sa vie ainsi) voit un homme assassiné devant lui, suite à cela il se marie précipitamment, fuit divers ennemis peu identifiés voulant sa mort, avec un mélange de bon sens, de courage, de pragmatisme et d'improvisations permanentes. Il se retrouve au final acculé dans une bataille rangée sans espoir, est alors sauvé par des agents temporels issus du multivers pour finir par découvrir que les différents mondes sont des fictions inventées largement par les Auteurs (amusante mise en abyme). Mais je pourrais vous raconter en détail l'intrigue que cela n'aurait de toute façon ni intérêt ni importance. le sens de l'ouvrage est ailleurs.
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Outre le plaisir déjà indiqué associé à une lecture truculente, à un festival de bons mots (qui peut séduire comme agacer) l'intérêt principal de ce livre est de s'immerger dans l'univers particulier de cet auteur et de s'intéresser à ses valeurs, contestées, contestables et, donc (au moins à mes yeux) méritant un examen.
Heinlein est libertarianiste (phénomène qui s'est accentué avec l'influence de sa troisième épouse selon
Asimov). Nous retrouvons les thématiques chères à l'auteur à savoir, sur le versant libertaire :
- La femme est supérieure à l'homme sur bien des plans et c'est elle qui doit décider librement de sa sexualité (aspect souvent important dans les romans de
Heinlein, ce qui le distingue de l'essentiel de la SF de l'époque) comme de la vie du foyer et de la plupart des décisions en général. L'homme est plus un chevalier servant à son service, devant faire preuve d'héroïsme et de galanterie.
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Heinlein met en avant les mariages polygames, reposant souvent (mais pas toujours) sur la polyandrie et avec comme soucis principaux l'épanouissement sexuel et l'éducation des enfants (sans oublier fréquemment le fait de prendre soin des chats)
- Toute forme de racisme est absolument choquante
- La sexualité féminine commence dès la maturité sexuelle (sur ce plan
Heinlein choque largement aujourd'hui puisqu'il fait largement l'éloge de l'hébéphilie, il faut clairement le replacer alors dans une époque autre que la nôtre)
- Un bon gouvernement est celui qui laisse l'individu totalement libre de ses choix de vie et n'empiète pas sur ses libertés individuelles, celles-ci étant entendues au sens le plus large.
Et sur le versant plus « droitier traditionnel » :
- « Un repas gratuit n'existe pas » (et ne doit pas exister) à savoir une critique radicale du socialisme et la défense que personne ne devrait avoir droit à ce qu'il ne gagne pas ni ne devrait donner un centime au titre de l'assistanat.
- L'éloge d'une justice expéditive où est mis à mort immédiatement qui enfreint diverses règles allant des vols aux viols mais aussi parfois la transgression de règles éthiques comme la politesse. Chaque citoyen serait moralement tenu de tuer qui contrevient aux règles de vie défendues par l'auteur. L'autodéfense fait partie aussi de ce « corpus idéologique »
- La victimisation est hautement méprisable.
- Les fonctionnaires sont des parasites
- La défense de la patrie comme de son honneur sont des obligations morales et qui tente de s'y soustraire ne mérite que le mépris voire la mort. Ceci est largement associé à la défense d'une certaine idéologie militariste, notablement plus présente toutefois dans d'autres ouvrages comme « Étoiles garde à vous » (dont Verhoeven a ensuite tiré « Starship troopers »).
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Le chat passe-murailles est donc un «
Heinlein concentré », testamentaire qui réunit à la fois ce qui peut sembler le plus attachant chez cet auteur comme sa faculté à nous emporter dans des histoires aussi loufoques que cohérentes, à nous amuser, à nous faire rêver et d'autres aspects contenant divers messages moraux et politiques pouvant susciter intérêt mais aussi, facilement, agacement voire répulsion dans quelques cas. L'ensemble est, à mes yeux, très intéressant pour qui s'intéresse à l'histoire de la science-fiction et j'en conseille donc la lecture. Pour autant qui a avant tout envie de passer un bon moment avec cet écrivain peut plausiblement privilégier dans un premier temps d'autres ouvrages comme par exemple «
Une porte sur l'été », plus cohérent et moins provocant.
Bonnes lectures à chacun et merci pour votre visite par ailleurs.