Un beau témoignage, une belle autobiographie sincère et sans concession, d'une comédienne très aimée des Français.
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Quel beau livre !
Ne vous fiez surtout pas à la couverture qui fait un peu "people", mais rien dans cet ouvrage n'est ni superficiel, ni artificiel comme peut l'être une vie de "people".
J'ai écouté Muriel Robin chez Ruquier, samedi soir dernier, et son histoire m'a bouleversée.
Quelles souffrances endurées. C'est inimaginable. Et quelle générosité, quelle bonté d'âme, et surtout quel courage.
Car tout ne fut pas rose dans la vie de "Mumu".
Elle arrive en 1955 dans une famille dysfonctionnelle, avec une mère autoritaire, froide et sans beaucoup d'amour à donner, elle qui n'en a pas reçu non plus, et un père gentil mais d'une certaine façon trop attaché à ne pas faire de vagues, et fortement dominé par sa femme, Aimée. Ce sont les deux soeurs de Muriel qui l'élèveront comme leur propre fille, tant le magasin de chaussures prenait trop de place.
Muriel Robin n'a jamais été complètement et durablement heureuse.
Elle était très douée pour la musique, elle avait l'oreille musicale, un don très rare, mais personne ne l'a encouragée, alors elle n'a pas fait le Conservatoire. Quel gâchis.
Elle voulait plus que tout au monde faire du cinéma, raté.
Elle aura le succès qu'on lui connaît, mais pas totalement satisfaisant.
Elle connaîtra deux grandes dames, Annie Girardot et Line Renaud, deux mères de substitution.
Elle aura toujours été le petit clown de la famille, qui faisait rire sa mère, elle qui ne riait pas souvent. Je ne sais plus qui a dit cela, je crois que c'est Dolto, que la plus grande joie pour un enfant, c'est de faire rire sa mère malheureuse. Elle aura réussi.
Et puis, cette promesse terrible faite à sa mère, enfant, celle de ne jamais se marier, pour ne pas l'abandonner. Et elle la tiendra cette promesse, un enfant qui aime à la folie sa mère tient toujours ses promesses...
Mais trop c'est trop, et elle fera un sérieux burn out quelques années après la mort de sa mère due à la maladie d'Alzheimer (j'ai connu avec mon père...). Une lente descente aux enfers.
Ce qui m'a frappé, c'est cette insatisfaction dans presque tous les domaines de sa vie, et surtout, cette obstination à penser qu'un jour, un seul, sa mère s'amendera et lui demandera pardon, et lui dira Je t'aime et l'appellera Ma chérie.
C'est bouleversant.
Alors non, ce n'est pas un livre très drôle, mais elle a découvert il y a peu un secret de famille terrible, concernant sa filiation, qui expliquera beaucoup de choses, et qui, finalement, l'apaisera.
Elle est heureuse à présent, et j'en suis moi-même heureuse qu'elle le soit.
Elle le mérite tant.
Enfin.
Merci Muriel pour ce magnifique livre qui m'a émue aux larmes.
Une bien belle lecture d'une bien belle personne.
Nb : (message perso) : de petites nouvelles me feraient bien plaisir...
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Je n'ai jamais été fan de Muriel Robin. J'ai acheté ce livre car les critiques sont plutôt positives et car ses interviews notamment dans "on n'est pas couché " m'ont donné envie d'en apprendre plus sur sa vie. Je n'ai vraiment pas été déçue: j'ai dévoré ce livre! L'histoire de Mumu est passionnante et j'ai appris beaucoup de choses surprenantes ..De ce livre, se dégagent de la simplicité (dans le sens noble du terme ), de l'authenticité et de la sensibilité... On ne s'ennuie pas. Alors oui j'ai ri parfois mais j'ai surtout été vraiment touchée par cette histoire (notamment par l'histoire de sa mère) , Je recommande!
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Il y a des mots, comme ça, qui vous cueillent au dépourvu et dont vous n'aurez pas assez de toute votre vie pour vous relever.
M'aimait-elle si peu, ou si mal qu'elle pouvait croire que tout mon désir d'inventer une vie différente de la leur se réduisait à briller ?
Puisque rien ne peut jamais la toucher de ce que je fais, je vais lui envoyer ma mort en pleine figure et cette fois elle va comprendre, elle va en crever. Enfin, je l'espère, je veux le croire, et la colère me donne la force. Je vais me tuer.
Je grossis, je grossis à tel point que je n'ose plus sortir. Tout ce que je crée, je le dénigre. Je fume, je bois, je me détruis. Tout ce que je suis, je le dénigre. Je reprends les mots de notre mère, et je m'empoisonne.
Il m'est arrivé de penser que si j'en avais le pouvoir, s'il n'était pas trop tard, j'échangerais bien une part de tout l'amour que vous m'avez donné au fil du temps, vos rires, vos fleurs, vos applaudissements, vos rappels, contre quelques mots de ma mère : "Ma chérie, tu as été magnifique !"
Le rire, c'est mon ressort secret pour nous sauver de la dépression, pour nous sortir de n'importe quelle situation, en fait.
Je suis la complice de mon père, le garçon qu'il a surement rêve d'avoir et que la vie lui a refusé.
Les filles m'énervent, les garçons m'énervent, les professeurs m'énervent, les cours ne m'intéressent pas et devoir les suivre me met à cran. Bref, tout m'énerve, ce sera d'ailleurs le titre de mon premier grand spectacle à l'Olympia, Tout m'énerve, vingt-trois ans plus tard parce que je ne me retrouve ni dans les filles ni dans les garçons, et que j'ai le sentiment de n'être à ma place nulle part.
Il y a décidément en moi quelque chose qui ne passe pas, qui m'isole et puisque je suis bizarre, puisqu'on me regarde bizarrement, je préfère être seule. Entre moi et moi, le courant passe à peu près, en tout cas je m'arrange pour que ça aille, et au moins je ne m'énerve pas.
Comment avance t-on, lorsqu'on ne se reconnaît dans aucun de ses parents.
Je fête mes vingt ans toute seule, au volant de ma Renault 12, la musique à fond, la clope au bec. Pas de bougies, pas de gâteau, pas de baisers, pas même un "bon anniversaire mumu". Rien.
Si elle n'a jamais regardé mon père comme un homme, comment pourrai-je moi, éprouver du désir pour les hommes ? Est-ce qu'une fille n'apprend pas tout de sa mère ? Petit à petit, je commence maladroitement à éclairer mes propres ténèbres, à deviner l'origine de mon ambivalence sexuelle. Pour apprendre à désirer un homme, il aurait fallu que je voie ma mère désirer mon père. C'est une évidence que je mets des mois à formuler.
Je me dis que nous passons tous, sans nous en douter, à côté d'une multitude d'autres vies, emportés par des événements ou des hasards, qui ont la force d'un torrent furieux et sur lesquels nous ne pesons pas beaucoup plus qu'un pagayeur du dimanche au beau milieu des rapides.
Mais Pierre, mon Pierrot chéri, soi certain que je te remercie pour ton talent bien sûr, approchant parfois le génie et pour ce que nous avons accompli de si beau ensemble... Tu es le petit frère ou le fils que j'aurais rêvé avoir. Je t'aime pour toujours.
J'ai peur de décevoir, j'ai peur de ne pas être à la hauteur. En y repensant, aujourd'hui je vois combien cette crainte est saine finalement : elle est le signe que je commence à compter à mes propres yeux. L'indifférence qui m'avait accompagnée jusqu'ici témoignait du peu d'attention que je me portais puisqu'on ne m'avait pas beaucoup aimée, pas beaucoup écoutée, pas beaucoup respectée, je ne me respectais pas beaucoup non plus, or voilà que pour la première fois on m'a aimé au Tintamarre, follement aimée, même, puisque tant et tant de gens sont venus m'applaudir. Alors je devine d'où vient mon trac : je veux que tous ces gens continuent à me porter dans leur coeur, oh oui, je le veux de toutes mes forces ! Et je suis terrifiée à l'idée de les décevoir, de les perdre.
Je suis le petit clown de la banquette arrière qui déridait les miens, qui les empêchait de s'entretuer, j'ai confiance en mon talent, et je le sais bien que je suis drôle depuis le temps. Comment ai-je pu l'oublier ? Drôle, et inépuisable, et intarissable. C'est bien simple, je me dis souvent que si je n'avais pas si bien appris à faire rire les autres, je serais probablement morte de solitude et de chagrin.
Au fil du temps et des spectacles, je vais m'éloigner de plus en plus de la fille possible que j'étais à vingt ans, pas mal foutue, féminine, en tailleur-jupe pour donner le spectacle de mon mal-être.
Presque trente ans après notre rencontre, je veux te dire, Line, à quel point je t'aime. Je dirai assez merci pour ce que tu m'apportes de force, de confiance et d'amour. S'il te plait, ne meurs jamais. Je n'imagine pas la vie sans toi.
Je mange à l'endroit, à l'envers, quand c'est fini je recommence, je mange trop, n'importe quoi, n'importe comment. L'important, je le vois bien, c'est de remplir ce vide en moi qui me terrifie, de combler le chagrin d'être seule, si profondément seule. Je mange, je bois, je fume et je songe que ce geste de tirer sur une cigarette, quand on souffre, c'est un baiser qu'on adresse à la mort parce qu'on n'a personne d'autre à qui le donner. Je grossis, ma silhouette s'alourdit, et ainsi chaque jour qui passe, je m'aime un peu moins.
J'ai peur des silences, comme dans mes spectacles, car alors je m'imagine que les gens s'ennuient avec moi.
Ce sont elles, les femmes, qui font battre mon coeur, quand je ne vois dans les hommes qu'une possibilité de réconfort, qu'un immense désir de tendresse, de sécurité et de repos.
Je viens involontairement marcher sur les plates-bandes de Bernadette Chirac en lançant un appel pour que chacun donne un franc au profit de ceux qui manquent de tout. Je suis une passionnée des petites gouttes qui deviennent un fleuve par l'effet multiplicateur. Je calcule que nous sommes soixante million en France et que si seulement dix pour cent d'entre nous donnaient chaque mois un franc, ça ferait six million de francs à redistribuer tous les mois.
Je sors de ma première semaine de metteur en scène avec Ils s'aiment ! Et si ces semaines de travail m'ont appris une chose, c'est bien qu'il faut aimer passionnément ses comédiens si l'on veut tirer d'eux le meilleur parti. Et les aimer, c'est savoir les regarder, être sensible à tout ce qui émane d'eux pour deviner de quoi ils sont faits et ce qu'ils peuvent donner.
Ce qu'il y a d'effrayant avec la maladie d'Alzheimer, c'est qu'elle aspire immanquablement les proches. On pense qu'on va pouvoir s'en sortir, puisque la personne est toujours là, qu'elle marche sur ses deux jambes, qu'elle n'a mal nulle part, le premiers temps en tout cas. On pense qu'on va pouvoir continuer de lui parler, de l'accompagner, de la rassurer, car on en prend pas la mesure de son effondrement intérieur. On pense qu'on va être plus fort, ou plus malin que la maladie et que la vie va continuer son petit train-train. En face d'un cancer, jamais la famille ne se dirait "On va gérer ça entre nous, on va très bien s'en sortir sans les médecins." Non, un cancer, on se décharge aussitôt sur le corps médical, on se protège, on se tient en marge. Mais pour l'alzheimer, qui est pourtant aussi meurtrier que le pire des cancers, on monte au front et personne ne nous met en garde. Si c'était à refaire j'aurais voulu que quelqu'un nous dise : "Soyez là autant que vous le pouvez, aimez-la, aimez-la de toute votre force, mais protégez vous, confiez-la à des gens qui ont été préparés à ça, sinon vous aussi vous allez en mourir." J'aurais voulu que quelqu'un nous prévienne que cela allait être épouvantable, terrifiant, et que même avec toute notre bonne volonté nous n'allions pas être de taille.
Dans aucun de mes appartements, je ne me suis sentie durablement heureuse, comme si je ne me parvenais pas à m'enraciner quelque part.
Je ne veux pas lui survivre, je veux partir avec elle. Plus tard, quand j'évoquerai ma tentative de suicide avec un médecin, je m'entendrai dire dans la même phrase : "J'ai aimé maman plus que tout, elle était la femme de ma vie." et "elle nous a flinguées, mes sœurs et moi, c'était une tueuse". De sorte que je ne sais pas si c'est moi qui souhaite mourir pour la rejoindre, ou si c'est elle qui achève de me tuer. Si c'est moi qui refuse de la quitter ou si c'est elle qui ne veut pas me lâcher.
Pourquoi nous as-tu mises au monde, maman, si c'était pour nous aimer si mal ? Pour nous blesser sans cesse ? Je sais bien que tu as fait ce que tu as pu, mais tout de même, ça n'a pas été facile.
Vendeuse dans le magasin de chaussures pour enfants de mes parents, à vingt-cinq ans, après être sortie du Conservatoire national supérieur d'art dramatique, comment est-ce possible ? Je ne sais pas.
Je ne sais pas pourquoi je suis retournée à Saint-Etienne après avoir tout fait pour en partir. Sans doute pour retrouver les miens, me dis-je aujourd'hui, reprendre ma place, me convaincre que nous nous valons toutes les trois [les soeurs Robin] (...)
Sur le moment, je ne sais pas. Mais quand j'y songe, tant d'années après, je suis stupéfaite. Stupéfaite qu'il ne se soit trouvé personne dans ma famille pour m'attraper par le col et me renvoyer manu militari à Paris (...). Stupéfaite d'être revenue de mon plein gré à mon point de départ dans une sorte de résignation suicidaire.
Est-ce qu'il ne faudrait pas que je me décide à mon tour à m'aimer en clown ? Et, plus généralement, à m'aimer telle que je suis ? Garçon manqué ou fille manquée, comme vous voudrez, triste à pleurer certains matins mais capable le soir même de faire mourir de rire tout un Olympia, certains jours pleine de colère de ne pas savoir où me mettre, malheureuse à Saint-Etienne, malheureuse à Paris, mais soudain éperdue de reconnaissance envers la vie quand je découvre les arbres des Tuileries en fleurs.
Je viens de fêter mes quarante-cinq ans - est-ce qu'il ne faudrait pas que je me décide à m'aimer avant qu'il soit trop tard ?
Aujourd'hui, avec mes mots d'adulte, je dirais que j'ai l'intuition, enfant, que si je ne les fais pas rire [les parents de Muriel et ses sœurs], nous n'allons pas tenir le coup. Que notre vie me semble trop dure, trop triste aussi par moments, et que si je suis venue au monde avec ces yeux ronds et cette bouille qui fait sourire aussitôt que j'apparais, c'est sûrement pour transformer le réel, le dédramatiser, mettre de la couleur sur le gris de notre vie, pour que soudain nous soyons surpris de nous entendre rire, alors qu'un instant plus tôt nous étions prisonniers de nos peurs.
Ca y est, j'ai un pied au Petit Théâtre de Bouvard. (...)
Je suis bien consciente que tout cela ne tient qu'à un fil, que je peux être virée du jour au lendemain si je ne suis plus drôle, et je m'en tiens donc à ne présenter que deux sketchs par semaine, mais deux bons, et pas un de plus.
Comme nous sommes payés au sketch, j'ai noté que certains les multipliaient, au détriment de la qualité, tandis que moi, en bonne ouvrière, je me l'interdis.
Et puis j'ai conscience que ce sont des choses qui resteront et je ne veux pas, dans vingt ans, avoir honte de ce que j'ai fait.