Le dernier livre de Paul Krugman est très intéressant - 79. Très intéressant d'abord pour l'analyse de la crise que propose le Prix Nobel d'économie et pour les chiffres qu'il donne sur l'incroyable creusement des inégalités, aux États-Unis comme dans le reste du monde. Très intéressant aussi pour comprendre comment, si les États européens persistent à mettre en œuvre des politiques d'austérité, ils risquent de s'enfermer dans une « spirale de la mort ».
En juillet 2010, Krugman fut l'un des premiers à souligner les dangers d'une « Self-Defeating Austerity », une austérité dont l'objectif est de diminuer les déficits mais qui cause sa propre défaite, son propre échec, car elle aggrave la récession et creuse encore les déficits… Les faits, hélas, lui donnent raison : en Italie, en Grèce, au Portugal, en Grande-Bretagne comme en Espagne, on voit comment des politiques d'austérité aggravent la crise, échouent à ramener à l'équilibre des finances publiques et amènent le peuple à rejeter de plus en plus violemment les politiques décidées par leurs gouvernements- 80.
Son livre est intéressant aussi et surtout car, entre les lignes, Krugman avoue qu'il a de gros doutes sur l'efficacité des solutions qu'il propose lui-même : « Pour sortir de la dépression actuelle, l'essentiel, c'est une nouvelle vague de dépense publique », affirme-t-il avec force au début du livre avant de montrer que le risque d'inflation lié à cette vague de dépense publique est nul ou presque nul. Et que, même s'il y avait un peu d'inflation, ce ne serait pas une mauvaise chose, car cela permettrait de diminuer mécaniquement le poids réel des dettes (publiques et privées). Comment financer cette vague de dépense publique ? « Par une action agressive des banques centrales. »
Mais à la fin du livre, Krugman laisse le lecteur sur sa faim : « Ce genre d'intervention fonctionnerait-il ? Pas nécessairement, mais l'important est d'essayer et de continuer à essayer si la première salve ne suffit pas. » On a déjà vu des argumentations plus convaincantes : ça ne fonctionnera peut-être pas, mais l'important, c'est d'essayer…
Voir un Prix Nobel afficher publiquement ses doutes est assez rafraîchissant à une époque où beaucoup préfèrent assener des dogmes et n'ont pas le courage d'afficher leurs questionnements. Mais, vu la gravité de la situation, vu le temps limité qu'il nous reste pour éviter un effondrement - 81, on ne peut pas en rester à des propositions qui ne fonctionneront pas.
On peut partager totalement les critiques antilibérales et anti-austérité des keynésiens sans forcément approuver leurs propositions. La plupart des keynésiens ont en tête que :
1. Une grosse vague de dépenses publiques permettra de relancer la croissance.
2. La croissance permettra de créer massivement des emplois.
Ces deux affirmations sont fausses. Elles étaient justes il y a quarante ans, mais sont fausses aujourd'hui. Il est urgent de le comprendre pour ne pas perdre des années à mettre en œuvre des politiques qui ne peuvent pas être efficaces.
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79. Sortez-nous de cette crise… Maintenant ! Flammarion, 2012.
80. Cela ne signifie pas qu'il faut laisser filer les déficits : on peut revenir vers l'équilibre des comptes publics sans austérité. On y reviendra dans le prochain chapitre.
81. Peut-être Krugman ne partage-t-il pas notre analyse de l'instabilité de l'économie mondiale. Il faut attendre la page 262 pour qu'il évoque la situation en Chine et le sujet est évacué en deux lignes, mais au moment où ce livre part à l'imprimerie, tous les indicateurs montrent un ralentissement très brutal de l'activité en Chine et les tensions se multiplient entre la Chine et le Japon.
Chapitre VIII / Et si la croissance ne revenait pas ? Les (gros) doutes de Paul Krugman
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