Ecrire le journal imaginaire d'un ami de
François Mitterrand, voilà le choix de Bruno Reger-Petit pour raconter jour après jour la campagne du candidat socialiste en 1981, celle qui permet d'évoquer toutes les autres aventures, celles du passé, celle de l'avenir, qu'elles aient été sociales, politiques ou humaines.
Philippe, c'est le prénom de cet ami si proche et si lointain de
François Mitterrand, narrateur du présent journal. Philippe a tous les caractères communs des amis du Président : il est à l'image du Grossouvre décrit voilà peu par Raphaëlle Bacquet, à l'image de ces fidèles complètement séduits et jamais véritablement éconduits par leur maitre.
Quant au
François Mitterrand décrit par ce Philippe, ce double, pas de mystère non plus : il correspond aux descriptions courantes de
François Mitterrand, descriptions qui émaillent par trop le monde littéraire et politique en cette année anniversaire…
Philippe, le confident, le double connaît François depuis
Sciences Po. Il s'est construit sur une même légende familiale et provinciale – que l'on retrouvait très bien dans le livre de Robert Schneider sur Les Mitterrand – et s'est, un temps, perdu dans la France de Vichy. Un temps – et c'est là la différence absolue – plus long et plus abjecte que pour
François Mitterrand. Et c'est là que Philippe, le haut fonctionnaire, l'ami, devient avec justesse et émotion celui qui évoque certains pièges du passé, celui qui nous explique ses propres erreurs pour mieux expliquer les errements de l'autre, en même temps qu'il livre à ses enfants, les astuces pour ne pas y sombrer de nouveau. Sur ce point, le livre joue l'émotion et le droit à l'erreur. A vrai dire, j'ai toujours eu du mal avec ces arguments-là, ceux selon lesquels on ne « sait pas ce qu'on aurait fait, nous ». A ce sujet, j'ai trouvé un talent – au moins – à la dernière pièce d'
Olivier Py, mise en scène au théâtre de l'Odéon. En effet, au lieu de miser sur la défense, il faut en sorte que le personnage de Mitterrand assume sa seconde guerre mondiale et attaque : il a été prisonnier de guerre, il s'est évadé (trois fois), il est entré à Vichy mais n'était qu'un subalterne, a eu le tort de rencontrer Pétain une vingtaine de minutes et de recevoir la Francisque, certes, mais a utilisé ces éléments dès 1942 pour la Résistance, pour la France. Et c'est là un point commun que les deux auteurs mettent en avant :
Bruno Roger Petit comme
Olivier Py décrivent un amoureux de la France avant tout.
Revenons au récit de
Bruno Roger Petit et à son narrateur, Philippe. Après quelques mentions de ces années controversées, Philippe se présente aussi et surtout comme le compagnon silencieux et omniprésent d'une campagne interne contre Rocard (que
François Mitterrand soutient dans les moments difficiles puisque, selon le bon mot de Talleyrand, « on ne soutient que ce(ux) qui tombe(nt) »…), puis externe contre le parti communiste d'abord (
Georges Marchais, éternellement ridiculisé), contre la droite ensuite. Il rappelle à nous des images dont celle de
Coluche que je n'avais jamais vue mise en cause auparavant… et qu'il n'hésite pas à bousculer. Des images aussi du jeune personnel socialiste, ceux que Mitterrand appelait ses « sabras ». Et puis il raconte les dissensions à la droite de l'échiquier, celles qui sont toujours là, sous-jacentes, entre Giscard et Chirac. le traitement de
Marie-France Garaud – opportuniste et femme de pouvoir - est exemplaire. Mais vraiment, que dire des descriptions de Giscard, celui qui estime que rien n'est plus difficile dans une campagne que « de faire son propre éloge », celui qui, lors d'obsèques, demande à ce que l'on installe à côté de son fauteuil de monarque un fauteuil identique pour Anne Aymone ?... Mitterrand lui-même reconnaît alors que même
De Gaulle (qui aurait souhaité être sacré à Reims d'après lui) assistait aux enterrements au milieu de l'assistance.
Philippe, c'est enfin et surtout celui qui, en dressant le panorama du monde politique d'alors, entrevoit celui de demain. C'est celui qui jette les bases des débats à venir sur la place du Panthéon, la peine de mort… C'est celui qui – à demis mots – parle d'un homme admiré, d'un combattant qui, à l'ombre de sa première victoire – se sait déjà battu par la maladie.
Journal d'une époque, portrait intime et fort, ce livre est avant tout celui d'un journaliste puisque les faits sont rarement dépassés par l'imagination pure. Il est aussi celui d'un amoureux de
François Mitterrand qui parfois hésite un peu à le bousculer. Pourtant cela pourrait – j'en suis persuadée – tourner à l'avantage du Président. Toujours est-il que c'est un ouvrage intéressant, assez malicieux dans sa construction.
Claire,
Rouen, le 17avril 2011
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