Dans un style fluide dont se dégage une certaine douceur, Yuyin Li dépeint, souvent de manière implacable, la société chinoise. Ces onze nouvelles offrent un portrait contemporain et historique de la Chine. Elle évoque la tyrannie du communisme et l'appel du mode de vie à l'occidentale laissant une population qui oscille entre tradition et modernité. Véritable immersion dans la mentalité chinoise, on retrouve ce qui semble être la résignation asiatique. Ce sentiment qu'il ne sert à rien de lutter car tout finit par passer.
Les thèmes abordés sont la politique, l'emprise du communisme et ses manipulations, la condition des femmes, les relations filiales et l'appel de l'Occident.
J'ai particulièrement aimé "Le marché" et "Un fils", deux nouvelles qui évoquent le lien mère-enfant. Dans une société qui impose l'enfant unique, difficile pour ces fils et ces filles d'être à la fois à la hauteur des ambitions professionnelles et sociales attendues par leurs parents et de vivre en respectant les traditions. Les mères apparaissent comme de véritables chapes soufflant le chaud et le froid, un cocon certes plein de bonnes intentions mais étouffant. On comprend mieux cette résignation qui caractérise de nombreux personnages.
C'est la première oeuvre chinoise que je lis et je pense avoir bien choisi. Les différents thèmes traités donnent une bonne vision d'ensemble de la Chine et j'ai aimé l'alliance d'une plume fine à des idées très tranchées, parfois sévères mais sans jamais oublier l'humain.
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Frank O'Connor International Short Story Award, 2005 + PEN/Hemingway Award, 2006 + Guardian First Book Award, 2006 + California Book Award, 2006
Un recueil de nouvelles, une écriture simple, délicate et touchante, un relent d'autobiographie mais surtout du vécu et de l'authenticité.
Un patchwork d'émotions et de situations, toujours partagées entre Chine et États-Unis, modernité et tradition, sous Mao ou à l'heure actuelle.
La vie en Chine y est peut-être décrite crûment, mais toujours avec délicatesse et une profonde humanité.
Il faut être né(e) en Chine pour la décrire d'un telle manière, et ne plus y habiter pour oser le faire.
« Ma mère fut toujours de bon conseil : ‘Imagine que tu as une fermeture à glissière sur la bouche, et ferme-la hermétiquement.' »
A découvrir.
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11 nouvelles qui dénoncent avec subtilité les réalités du quotidien chinois sous Mao mais aussi sous ses successeurs et son nouveau et tyrannique maître, le capitalisme.
Les histoires de Yijun Li prennent une valeur de témoignage sociologique sur l'évolution vertigineusement rapide de la superpuissance asiatique. du coup, on comprend que cette jeune auteure, qui écrit en anglais (une langue qu'elle a apprise il y a juste 6 ans) ait été publiée dans le New Yorker et remporté une quantité de prix littéraires.
Une écriture simple et sans fioritures au service d'histoires pleines d'empathie, touchantes de justesse et d'authenticité.
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Pendant des dynastie, notre ville a fourni aux familles impériales leurs plus dévoués serviteurs. Des eunuques, c'est ainsi qu'on les appelle, bien que, par respect, nous leur donnions le titre de Grands-Papas. Aucun de nous ne descend directement d'un Grand-Papa, mais, en remontant dans notre généalogie, nous trouvons des oncles, des frères ou des cousins qui ont renoncé à leur virilité afin que notre nom de n'efface pas de l'histoire. Des générations de garçons, à l'âge de sept ou huit ans, étaient choisis et castrés - purifiés, disait-on - et envoyés au palais comme apprentis, remplissant diverses tâches domestiques pour 'empereur et sa famille. A treize ou quatorze ans, ils commençaient à toucher leurs appointements, des pièces d'argent qu'ils mettaient de côté et envoyaient à leurs parents. Ces pièces étaient rangées dans un coffre, avec un petit sachet de soie contenant la racine mâle, conservée au moyen d'herbes aromatiques. Quand les frères des Grands-Papas atteignaient l'âge de se marier, leurs parents ouvraient le coffre et sortaient les pièces d'argent. Ce pécule permettait aux frères de prendre épouse ; leurs épouses donnaient naissance à des fils ; les fils perpétuaient le nom de la famille, soit en engendrant d'autres fils, soit en allant au palais après avoir été purifiés.
"Souviens-toi, c'est toi qui as brûlé la bible, répète-t-il.
- Oui, reconnaît sa mère, cherchant ses mots. Mais papa disait qu'il ne fallait pas la garder. C'était une autre époque.
- Oui, c'était une époque où papa décidait de tout, et où vous adoriez tous deux le dieu communiste. Et maintenant qu'il n'est plus là, tu t'es trouvé un nouveau dieu à servir. Maman, ne peux-tu pas essayer de penser par toi-même ?
- J'apprends, Han. C'est la première décision que j'ai prise toute seule."
Une bien mauvaise décision, se dit-il, mais il se contente de sourire, avec un sentiment mêlé de pitié et d'indulgence.
Sasha avait elle-même autrefois servi de prétexte à la loi pour coincer sa mère dans la steppe. Au nombre des milliers de lycéens pékinois expédiés en Mongolie-Intérieure pour leur rééducation par le travail, sa mère, dans le but d'entrer au Parti, avait épousé un éleveur mongol - un de ces mariages interraciaux prônés par les autorités, et que l'on citait en exemple dans toute la province. Cinq ans plus tard, à la fin de la Révolution culturelle, tous les étudiants avaient été autorisés à regagner Pékin. La mère de Sasha, toutefois, avait été contrainte de rester en exil, même après son divorce. Les deux filles qu'elle avait eues avec son époux mongol, nées dans la steppe, n'avaient pas le droit de résider à Pékin, et la mère ne pouvait faire autrement que rester près de ses enfants.
Elle avait été secrétaire du Parti, dans une agence d'import-export du ministère de l'Agriculture, et, naturellement, elle touchait de l'argent de diverses sociétés et subdivisions qui avaient besoin de sa signature sur des documents administratifs. Bref, l'arrangement habituel, expliqua M. Fong, mais quelqu'un l'avait dénoncée. Elle avait reçu un blâme du Parti et, pour toute sanction, avait été mise à la retraite d'office. "C'était bien normal, non ?", ajouta M. Fong. Malheureusement, juste à ce moment-là, le Président avait décrété que les fonctionnaires corrompus ayant reçu plus de cent soixante-dix mille yuan seraient désormais condamnés à de lourdes peines. "Cent soixante-dix mille, ce n'est rien comparé à ce qu'il a pris, lui !" s'exclama M. Fong en tapant du poing sur la table. A voix basse, il poursuivit : "Croyez-moi, vieux Su, seul le menu fretin paie le ravalement de façade du gouvernement. Les gros poissons ne font que s'engraisser toujours plus."
A la fin de leur deuxième année, le département de l'Enseignement supérieur avait instauré une nouvelle politique. Seuls les étudiants qui comptaient des citoyens américains dans leur famille se verraient octroyer un passeport leur permettant d'étudier à l'étranger. Cela n'avait aucun sens, mais c'était ainsi à l'époque, et il fallait vivre avec tous ces règlements ridicules qui transformaient continuellement votre existence, comme on l'aurait fait avec un enfant capricieux.
Yiyun Li - Plus doux que la solitude .Yiyun Li vous présente son ouvrage "Plus doux que la solitude" aux éditions Belfond. Rentrée littéraire automne 2015. Traduit de l'américain par Françoise Rose. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/li-yiyun-plus-doux-que-solitude-9782714451071.html Notes de Musique : Poison by Quaro. Free Music Archive. www.mollat.com Retrouvez la librairie Mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat You Tube : https://www.youtube.com/user/LibrairieMollat Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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