Bi Feiyu nous livre ici un beau témoignage sur une enfance campagnarde dans les années 60-70. Intellectuel, né en 1964, il grandit pourtant dans un petit village dans la région de Xinghua. Son père, jugé comme droitiste, a été relégué et la famille survit désormais grâce à sa mère, enseignante. La vie est dure et la faim tenaille les ventres. Leurs possessions se limitent au strict minimum.
Pourtant le futur écrivain s'adapte à ces conditions de vie difficiles. Sa vie d'enfant se ponctue de petits bonheurs, faits de peu.
Bi Feiyu ressuscite ces moments souvent innocents, mais parfois coupables. Enfant désobéissant, il joue dehors où tout est prétexte à jeu : grimper dans les muriers, courir dans les champs ou les rizières, chasser les nuisibles moineaux, rechercher des images dans les nuages. Les petites possessions font les grands trésors. Les sangsues malaxées deviennent des billes, les précieuses fèves accumulées une par une. C'est l'époque où l'on rêve d'aventures héroïques à dos de buffle, tel
Don Quichotte. On divertit son ennui avec le moindre « évènement » : le cochon qu'on tue, la truie qui met bas, le tofu qu'on fabrique au moulin, les immenses chantiers hydrauliques qui monopolisent des milliers d'hommes, les enterrements.
Mais à travers ce récit d'enfance ponctué de mélancolie, se dessine en creux le portrait d'une Chine miséreuse écrasée par la révolution culturelle de Mao. Car c'est une vie où posséder est mal vu. Avoir trop de cochons, utiliser le « je », réservé à l'autocritique, à la place du « nous », les réunions publiques politiques obligatoires pour réhabiliter quelque peu une famille sacrifiée à cause du droitisme de l'un de ses membres, l'impossibilité d'envoyer tous les enfants à l'école qui impose de faire des choix.
Bi Feiyu, avec son regard d'enfant, a perçu toute les difficultés d'un régime où l'individu n'existe pas. Il évoque le passé condamné de son père, obligé de changer de nom et termine surtout ses mémoires avec l'évènement le plus crucial de son enfance. Un camarade de jeu avec qui il avait pour habitude de se bagarrer devient la cible de son directeur d'école. Un simple slogan réactionnaire et voilà les enfants chargés de condamner et dénoncer leur ami dans le cadre d'une commission d'accusation. Accusations mensongères d'un enfant de 12 ans qui marquent une vie détruite et poursuivent encore son auteur d'une culpabilité profonde.
Bi Feiyu a l'art de ressusciter une époque avec brio. Il met l'accent sur les émotions, les sensations, évoque la nature, les animaux et cette vie simple au coeur d'une campagne à la fois nourricière et terriblement affamante. Sans appuyer sur les travers d'une société archaïque régie par une administration maoïste rigide, il sait pourtant mettre l'accent sur les petits détails qui révèlent le poids d'un pays où « pour être en paix, se méfier de soi-même ». Car tout pourrait recommencer un jour…
Un récit de grand valeur qui en dit bien plus sur l'histoire de la Chine et les conséquences durables des bouleversements politiques et humains, que ce qu'il laisse paraître.
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