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Malgré son titre, "Parlons travail" (en anglais, "Shop talk", "parlons boutique"), ce recueil d'essais et d'entretiens de Philip Roth n'est pas une collection de trucs et procédés littéraires, de recettes pour produire un polar nordique bien-pensant, un roman file-goude qui vous développera personnellement, ni un témoignage bouleversifiant sur le patriarcat néfaste aux petits oiseaux. On aurait pu le croire, puisque depuis les années soixante existent aux Etats-Unis des ateliers d'écriture où l'on apprend, sinon le talent, du moins l'art de raconter. Non, le "travail" de l'écrivain, c'est la rencontre des expériences de sa vie et de son art créatif du récit : si la vie de chacun est unique, il est bien rare que l'art du récit le soit, tant est grand le poids du cliché, et impérieux le désir de reconnaissance sociale immédiate. Ce qui distingue du cliché l'art du récit, c'est précisément le génie de chaque auteur, et ce livre montre bien que le génie n'est pas également partagé.

On verra à ce sujet les remarques lumineuses d'Aharon Appelfeld expliquant pourquoi les clichés de l'autobiographie étaient inutilisables pour dire fidèlement son expérience du génocide auquel il a échappé : seule la fiction romanesque convenait. "Tous mes livres sont bien, en effet, des chapitres de mon vécu le plus intime ; pour autant, ils ne sont pas "l'histoire de ma vie"... Ecrire les choses comme elles se sont passées, c'est se faire esclave de la mémoire, qui n'est qu'un facteur secondaire du processus créateur. A mon sens, créer, c'est mettre en ordre, trier, choisir les mots et les rythmes qui conviennent à une oeuvre. Certes, la matière vient du vécu, mais au bout du compte, la création est un phénomène autonome." (p. 49)

Dans un premier temps, Philip Roth va à la rencontre des génies : Primo Levi, Aharon Appelfeld, Ivan Klima, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera. Il ne les "invite pas sur son plateau" comme un pénible journaliste qui leur couperait la parole, mais est invité par eux et sait les écouter. Il sait aussi leur poser de pénétrantes questions, qui n'ont pas pour but de les "déstabiliser" bêtement, mais de les aider à se révéler. Ces courts dialogues sont extrêmement riches d'enseignements et de pensée, sur l'expérience historique européenne du communisme et du nazisme, vue par des écrivains (essentiellement des romanciers).

La seconde partie du recueil, avec Edna O'Brien, Marie McCarthy, Bernard Malamud et Saul Bellow, ainsi que le peintre Philip Guston, se concentre sur le monde culturel anglo-saxon, surtout américain. On y rencontre aussi des non-juifs, alors que l'essentiel du livre se consacre à des artistes juifs. C'est le second apport de "Parlons travail" : l'étude du "canon juif" de l'art moderne, de la contribution des membres de ce peuple doué pour l'écriture et l'expression, à la culture universelle. Le destin de ces survivants (Lévi, Appelfeld, Klima, Singer) ou des descendants assimilés d'émigrés et de survivants, est intéressant, car ces artistes manifestent une identité juive dégagée de l'héritage culturel religieux, même les romanciers yiddish I.B. Singer ou hébreu Aharon Appelfeld. Jusqu'au XX°s, l'identité juive reposait sur la Torah et ses langues, mais ce n'est plus le cas. Appelfeld ajoute (p. 53) : "J'ai toujours adoré les Juifs assimilés, parce que c'est en eux que le "caractère juif" et aussi peut-être le destin juif, est concentré avec la plus grande force."

La question a été brillamment traitée en 2000 par Ruth W. Wisse, dans son essai sur la littérature juive "The Modern Jewish Canon", où elle va jusqu'à imaginer "un nouveau Talmud" formé de tous les grands livres écrits par des Juifs dans toutes les langues qu'ils emploient, et non plus seulement l'hébreu, l'araméen ou le yiddish.

Le particulier, une fois de plus, se révèle universel.
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Un vrai bonheur que ces entretiens "boutique" avec des auteurs de cette classe, excusez du peu. J'ai particulièrement apprécié les vues sur Kafka, tant de Ivan Klima que de Aharon Appelfeld, ainsi que le dur rappel de Milan Kundera à propos de la prise de position d'Eluard par rapport à l'écrivain tchèque Závis Kalandra condamné à la pendaison - verdict approuvé par le "poète" au nom d'intérêts supérieurs - "Le bourreau tuait, le poète chantait." Attitude reproduite par le chanteur Cat Stevens à propos de la fatwa contre Salman Rushdie. Comme quoi il faut également se méfier des poètes - qui n'ont pas toujours raison, comme le chante Jean Ferrat. On y trouvera également des échanges avec Primo Levi, avec Edna O'brien, Mary McCarthy, Saul Bellow, Isaac Bashevis Singer, Bernard Malamud, ainsi qu'avec le peintre Philip Guston. Une Grande Librairie haut de gamme donc, et dont je doute que l'émission citée atteigne jamais le niveau - mais bon, il faut se contenter de ce qu'on a, à l'époque où l'on vit.
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Écrire, c'est tout un art.

Si vous désirez découvrir ou surtout redécouvrir d'une autre façon Primo Levi, Aharon Appelfeld, Ivan Klima, Isaac Bashevis Singer (à travers Bruno Schulz), Milan Kundera et Edna O'Brien, lisez avec attention leurs conversations avec Philip Roth.
Si vous n'avez jamais entendu parler de Mary MacCarthy, Bernard Malamud, Saul Bellow ou du peintre Philip Guston, prenez un premier contact avec leur oeuvre dans le livre de Philip Roth, "Parlons travail".
En effet, ce livre, à part dans la bibliographie de Philip Roth, peut servir d'introduction à l'oeuvre ou à la meilleure compréhension d'écrivains contemporains, surtout en tant que complément grâce à des petites touches intéressantes sur le rapport à la judéité et à la modernité.
Au total, un livre de Philip Roth sans surprise et peu enthousiasmant même s'il peut être utile dans certaines occasions. Peut-être est-ce dû au fait qu'il s'agit d'une collection de textes s'étalant sur plus de deux décennies, rassemblés a posteriori, manquant de cohésion les uns par rapport aux autres et exigeant le plus souvent une certaine familiarité avec l'ensemble de l'oeuvre des artistes concernés?
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J'aimerais rendre hommage à celui qui m'a conseillé de lire ce livre de Philip Roth, ouvrage publié en 2001 et en 2004 pour la traduction française, mais son nom s'est hélas perdu dans mes notes éparpillées.

Distillations de conversations avec des écrivains, Primo Levi, Aharon Appelfeld, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera, Ivan Klima en particulier, souvenirs de l'auteur à propos de ses rencontres avec Malamud ou avec le peintre Philip Guston, et enfin relecture des romans de Saul Bellow forment un livre passionnant sur la chose littéraire qui appelle de nombreuses lectures ou relectures.

Comme des personnages en proie à l'insatiable curiosité de Philip Roth, les écrivains sont ici replacés dans leur contexte. L'auteur retourne, à sa demande, avec Primo Levi visiter l'usine chimique dans laquelle celui-ci a travaillé. Il évoque la maison d'Aharon Appelfeld dans les environs de Jérusalem, paradis domestique aux antipodes de l'enfer qu'il a vécu dans son enfance, orphelin traqué fuyant les camps, se cachant dans la forêt en Ukraine.

Les facettes de ce livre sont multiples, creuset dans lequel se croisent et se fondent les sources de l'inspiration, les parentés littéraires avec en particulier de nombreuses pages magnifiques sur Kafka, l'identité juive, l'exil ou l'attachement à la terre d'origine, les conditions politiques avec l'évocation du régime tchèque avant la chute du mur.

On pourrait commenter ce livre très longuement tant il est riche. Parmi toutes ces richesses, Philip Roth m'a en tous cas donné envie de lire et relire tout Saul Bellow, avec ce texte évoquant ses romans qui se dévore comme un délice, qui rend si bien l'effervescence littéraire qui règne dans son oeuvre, les hauts et les bas de l'auteur qui transparaissent dans la succession de ses romans, la description brillante des facettes multiples de ses personnages en proie aux turbulences de la vie.

Voici une mise en bouche, extrait du commentaire sur Herzog : «Amant sur le retour affligé d'une vanité et d'un narcissisme colossaux, il s'aime d'un amour vache. Tourbillonnant dans la grande lessive d'une conscience de soi un rien excessive, il se laisse charmer, au nom de l'esthétique, par tous les êtres qui débordent de vitalité. Bouche bée devant les brutes et les dominateurs, le je-sais-tout caricaturaux, leurré par leur assurance apparente, leur autorité primaire, monolithique, il se nourrit de leur intensité au risque d'être détruit. Tel est Herzog, la plus grande création de Bellow… »
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PARLONS TRAVAIL de PHILIP ROTH
Ni un roman, ni un recueil de nouvelles mais des rencontres, des échanges épistolaires ou des interviews avec des écrivains de son époque avec lesquels Philip Roth nous invite au partage.
Primo Levi, avec lequel il visite son ancien lieu de travail, à Turin, une usine de peinture dont il était le directeur, puis un entretien dans lequel il sera question de la façon dont il conçoit son oeuvre, de son rapport à la judéité.
Aaron APPELFELD, qui vit à l'écart de Jerusalem, à la campagne et avec lequel il a de fréquents contacts.
Milan Kundera et Ivan Klima avec lesquels il évoquera, entre autres sujets, la répression en Tchécoslovaquie.
Isaac Bashevis Singer sur les rapports entre le réel et l'imaginaire.
Bernard Malamud, que Roth tenait pour son maître et avec lequel il entretenait des relations suivis jusqu'à sa mort.
Saul Bellow et son imagination fertile.
Mary Mc Carthy avec laquelle il échange des correspondances.
Philippe Gaston, le peintre.
Un livre très « littéraire « qui questionne la création chez l'artiste, passe en revue des textes de Kafka ou Musil, un extrait du Herzog de Bellow, un livre qui permet d'approfondir la sensibilité de Roth et donne envie d'en découvrir les protagonistes.
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Parlons travail est un recueil d'articles parus dans le New-York Times pour lesquels le célèbre romancier américain partait à la rencontre d'écrivains afin de discuter de leur travail de romanciers à travers leur vécu d'être humain. On y croise Primo Levi, Edna O'Brien, Aharon Appelfeld, Ivan Klima, Isaac Bashevis Singer, Milan Kundera… On y parle du nazisme et de la Shoah avec Singer et Appelfeld, de répression communiste en Tchécoslovaquie avec Kundera et Klima, de milieu social et familial oppressant avec O'Brien… Mais la promesse faite par le titre n'est pas tenue. Roth va chercher chez ses interlocuteurs ses obsessions personnelles (la judéité, la sexualité…) mais ne parle pas avec eux du travail de l'écrivain, de leurs routines et leurs méthodes d'écriture. Dommage.
Lien : http://puchkinalit.tumblr.com/
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Critique de l'express du 30/082004:
Philip Roth partage avec des écrivains les questions qu'il se pose à lui-même

Chaque lecteur de Parlons travail doit se considérer comme un privilégié, autorisé à suivre les conversations de Philip Roth avec quelques-uns de ses contemporains capitaux (Milan Kundera, Isaac Bashevis Singer, Aharon Appelfeld, Edna O'Brien, etc.). Pas de surprise: il est surtout question de littérature, tant mieux.

Roth pose à ses interlocuteurs les questions qu'il ne doit pas manquer de se poser à lui-même, en lisant ou en écrivant. Les rapports entre le réel et l'imaginaire (les choses vraies ne sont-elles pas souvent les plus invraisemblables?). le poids du passé (la rançon du métier d'écrire?). L'ombre (dévorante ou stimulante?) des grands précurseurs. L'artiste comme figure indépendante (le plus loin possible du parti intellectuel?). Les problèmes de langue (pour les exilés). Cette série de textes courts forme une méditation passionnante sur le meilleur du roman contemporain et le processus de la création.

Pour créer, l'écrivain dispose de ce qui a pu lui être donné, d'une façon ou d'une autre, et même a contrario, par son milieu, sa famille, ses origines: le talent, l'énergie, l'imagination, le goût de raconter. Et puis il y a le reste, tout ce qui peut être gagné par le travail et l'expérience, et notamment la liberté supérieure de l'artiste. Philip Roth s'intéresse au premier chef à cette liberté qui permet à l'écrivain de faire jouer pleinement ses capacités intellectuelles et de faire entendre le chant secret de la condition humaine.

Dans sa démonstration, Roth cite les exemples de Saul Bellow, Thomas Mann, Robert Musil, trois écrivains capables de s'absorber "tout autant dans le spectacle de la vie que dans la composante imaginative de l'intelligence". Roth pointe quelque chose d'essentiel. Ces alliances d'amitié entre la vie, l'esprit et la fantaisie ne sont pas seulement la clef de toutes les audaces narratives. Elles donnent à la fiction sa force de persuasion et une capacité (irrationnelle mais sans égale) d'affronter le réel en oubliant nos certitudes.

Interrogé par Roth, Milan Kundera rappelle d'ailleurs avec force que le roman est un monde d'interrogations plutôt que d'affirmations. "Quand Don Quichotte est sorti affronter le monde, ce monde lui a paru un mystère. Tel est le legs du premier roman européen à toute l'histoire qui le suivra. le romancier apprend à appréhender le monde comme question."

La plupart des interlocuteurs de Roth ont digéré les horreurs du siècle passé. Parlons travail est aussi une invitation à la réflexion sur l'Holocauste et l'imaginaire juif, sur la terrible proximité de l'enfer et du paradis, sur la culture commerciale et les élans spirituels qui semblent aujourd'hui manquer à notre terre d'Europe.

Daniel RONDEAU.
Lien : http://www.lexpress.fr/cultu..
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Critique de Parution.com du 28/04/2004:

On est loin ici de l'univers romanesque de Philip Roth. Mais bien plus près de celui de sa création. Car à travers cette série d'entretiens, la plupart menés dans les années quatre-vingts, et les questionnements de Roth aux auteurs de son choix, ce sont les grands thèmes de la création rothienne qui sont abordés : la question de la judéité, celle du rapport à un passé maqué au fer rouge par l'horreur des camp et/ou l'expérience totalitaire, celle enfin de l'insertion dans une modernité «anglo-saxonne».

Il est question d'enracinement et de déracinement, d'affrontement à un siècle qui, terriblement contemporain encore du temps de ces dialogues, dans toute son absurdité (l'ombre portée de Kafka sur tous ces écrivains domine), prend aujourd'hui quelques reflets sépia, accentuant encore la réflexion historique et ontologique sans doute souhaitée par Roth. Et en retour, une réflexion sur notre temps, une occidentalité – Kundera évoque une «société impitoyablement juvénile» (p.118) - qui, souhaitée du temps du totalitarisme rouge, a apporté depuis quelques-uns de ses plus tristes revers : démagogie des médias, dureté de la loi du marché, individualisme exacerbé, etc.

La petite vingtaine d'années qui nous séparent de ces réflexions d'homme prisonniers pour la plupart des murs, permet de réaliser le grand pas en avant accompli par le dernier élargissement européen : toute une Europe centrale, brillante d'une intellectualité et d'une création littéraire, philosophique et artistique trop longtemps brimée (même si l'oppression, la «muse de la censure», est un moteur à création, admettent la plupart des interlocuteurs de Roth), a rejoint le giron européen. Ce n'est pas rien, quoi qu'en laisse penser le silence pesant autour de ce moment historique… Il faut remercier un Américain d'aider par quelques discussions à cette prise de conscience.

Ces pages choisies seront aussi l'occasion de rencontres pour qui ne connaît pas ou mal des figures littéraires comme Aharon Appelfeld ou Ivan Klima, à côté de noms plus notoires : Primo Levi, Milan Kundera. Avant chaque entretien, Philip Roth nous tire leurs portraits, en situation, dans un bureau à nul autre pareil, des ambiances d'écrivains, chacun avec ses titres de gloires, ses babioles et ses souvenirs. L'occasion également de percer un peu plus la personnalité de Roth, certes palpable dans son oeuvre, mais ici démasquée un peu mieux par ces sociabilités littéraires. On apprendra de la sorte qu'après la succès de Portnoy, l'auteur, ayant gagné une réputation d'obsédé sexuel, s'est retiré du coté de Woodstock, pour «fausser compagnie à ce vaste public qui [lui] était soudain acquis, et dont les phantasmes collectifs avaient leurs propres pouvoirs déformants.» (p.157)

Parlons travail s'adresse donc aux inconditionnels de Roth, à ceux aussi qu'intéressent les questions de création et de critique littéraires, aux amateurs de documents dans lesquels se croisent les itinéraires d'auteurs parmi les plus féconds du XXe siècle.

Bruno Portesi
Lien : http://www.parutions.com/pag..
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