Les trois vies de Georges Serfati

Un petit vent frais souffle sur le port d'Alger en ce matin du 11 février 1962. Au dessus des nombreux paquebots qui font la navette avec Marseille tournoient des mouettes bruyantes, toujours à l'affût d'un peu de nourriture que des passagers auraient laissé traîner sur le pont. Le visage sombre, le regard perdu, un homme de quarante-sept ans, au regard bleu et à la chevelure noire légèrement dégarnie, observe de la passerelle d'un navire les dockers du port aller et venir, chargeant et déchargeant inlassablement les cargos qui semblent faire la queue pour accoster sur les quais bondés du port.
Car depuis plusieurs mois, les paquebots commencent à s'emplir d'une population toujours plus nombreuse à destination de Marseille, de Nice ou de la Corse. Et, dans le sens inverse, ces mêmes paquebots reviennent quasiment vides. L'exode des Pieds-Noirs, ces Français d'Algérie, vient de commencer.