« Jusqu'aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs. »
Andrée Chedid
D'une force inoubliable, incandescente, entre une fiction captivante et l'enjeu exutoire de l'art, ce livre a tout pour lui et nous aussi.
Trépidante, sans arrêt sur image, la trame d'une haute contemporanéité est prenante et d'une lucidité radicale et touchante dans un même tempo.
Nous sommes en plongée dans un huis-clos. Dans l'antre mouvementée et triste d'un couple, celui de Naïs et de Philou, alias Philippe.
Ce dernier est d'emblée un anti-héros. On a du mal à lui donner des circonstances atténuantes. Tant il est égocentrique, macho et intéressé. Naïs est une jeune femme mélancolique, un peu perdue, effacée et soumise. On ressent une relation toxique empreinte de non-dits. Seul l'art est une consolation pour cette jeune femme. Elle aime glaner dans les musées. En son coeur des blessures d'enfance. Un tableau jeté en pâture dans le caniveau. Elle se rappelle, même si cette toile est trempée d'eau et d'amertume.
Tout est symbole. Elle a un compte à régler avec elle-même. le récit devient un panthéon. Une superbe démonstration des troubles ancestraux et qui resurgissent subrepticement.
Ce n'est pas le hasard des évènements, d'un rituel journalier qui brusque les pages, mais la force intrinsèque d'une histoire de vie. Celle qui frappe sur la vitre dans l'orée des doutes en plein hiver, dans les tourmentes et les tempêtes. L'histoire s'approche du lecteur et assigne à l'écoute. Ici, l'art est le fil rouge, le chemin de traverse. Celui que Naïs va prendre. Sa destinée, comme un modèle sublime pour un peintre emblématique.
Naïs est en proie au bovarysme. Elle plonge dans ses rêveries qui vont la guider doucement, fébrilement, vers un musée. Une exposition réputée et prodigieuse. Enfin, admirer « Humphrey Back », huile sur toile. Elle est ici, comme en lévitation. le regard noyé dans l'oeuvre. Elle est habitée, conquise et spéculative. En elle, (mais elle ne le sait pas encore) le tableau va oeuvrer. le portrait devenir signifiant. Elle revient dans un rythme pavlovien, chaque jour, admirer cette toile qui lui parle.
Un homme l'observe. C'est le collectionneur. Il va comprendre. Lui faire don de ce chef-d'oeuvre inestimable.
Déroutée, étonnée, elle accepte. Ce sera comme une passation. Il est malade, très. Âgé et vulnérable, il pressent sa finitude.
Naïs va recevoir chez elle ce tableau qui va tout bousculer. Car le peintre n'a pas dit son dernier mot ! (Chut).
Les frustrations de Philou vont être exacerbées. Lui, qui a le complexe de
Peter Pan et qui dépense aussi plus que de raison. Il voit dans ce tableau de quoi devenir riche.
Cette toile devient le point d'appui d'un roman dramatique, superbement maîtrisé et empreint de finesse et d'intuition féminine. Comme si Naïs et
Bénédicte Rousset se connaissaient depuis toujours.
Que va-t-il se passer ? Qui est-il ce peintre si mystique ? Que veut-il lui aussi ?
Le tableau est magnétique, crépusculaire, profondément vivant.
Un portrait résurgence et le Saint , cet artiste qui lance des signaux comme des traits de couleur sur le visage de Naïs.
Ce livre est aussi un objet esthétique. Un
roman superbe et délicieux. Intense et initiatique, il est le macrocosme d'une renaissance à la vie.
« Il n'y a point de vent favorable, pour celui qui ne sait pas où il va ».
Sénèque.
Publié par les majeures Éditions La Trace.