Nous étions en 2015. Dans l'espace muséal de l'hôtel des Invalides à Paris, se tenait une splendide exposition sur le thème bien trouvé : D'Azincourt (1415) à Marignan (1515).
Ce qui frappe de suite quand on ouvre ce livre magnifique d'érudition qu'est
1515 Marignan d'Amable Sablon du Corail, c'est qu'il a su partir de loin, des réformes militaires survenues sous Charles VII, pour nous conduire jusqu'au champ de bataille de Marignan, montrant au passage que l'armée de François 1er est l'héritière, à bien des égards, de l'armée de la reconquête des territoires qui restaient aux mains des Anglais dans le royaume de France à la fin de la guerre dite de Cent Ans, et que c'est bien avec l'outil forgé par Charles VII, les compagnies d'ordonnance - bref la cavalerie lourde - et un beau parc d'artillerie rénové, que François 1er a franchi les Alpes par le col de Larche et un détour par Embrun et Guillestre jusqu'à Demonte en août 1515, n'ajoutant à ses armées (non pas venues toutes droites et sans aucune adaptation du Moyen Âge finissant mais dont les structures étaient largement inspirées des méthodes et de l'esprit de ce temps d'avant, dans un début de XVIe siècle encore assez sensible à la vieille mentalité chevaleresque), que l'appoint de lansquenets allemands et gueldrois constituant l'infanterie mercenaire, le royaume de France manquant cruellement de troupes à pied. François 1er jouait gros jeu dans l'affaire de la tentative de reconquête de Milan, car il avait dégarni de troupes son royaume, dans lequel il n'avait laissé que quelques unités. Décrivant par le menu les armes, les forces armées en présence, les hommes qui les constituaient, les grands acteurs de l'histoire à l'époque et tout ce que coûtaient financièrement les déplacements de ces masses d'hommes et leur maintien sous les bannières des camps qui les employaient,
Amable Sablon du Corail résume aussi les événements qui jalonnèrent ce que l'on a appelé
les guerres d'Italie, explique les renversements d'alliances et les nouveaux regroupements de la Ligue Catholique que l'Église forma contre une monarchie française conquérante et de ce fait devenue menaçante pour les principautés italiennes qui ne s'étaient d'abord pas assez méfiées et qui, à l'exception de la Sérénissime, formaient à présent un front commun contre l'envahisseur. On découvre au passage quelques figures assez fascinantes comme celles du pape Jules II ou de Matthaüs Schiner, cardinal-évêque de Sion. Et l'on assiste aussi aux grandes évolutions que devaient connaître, du XIVe au XVIe siècle, les unités suisses, alliées au royaume de France pendant des décennies mais devenues depuis le bras armé des ennemis de ce même royaume, avec des troupes équipées de longues piques et de hallebardes et encore auréolées du prestige de leurs victoires remportées en 1476 et 1477 sur les forces bourguignonnes de Charles le Téméraire à Grandson, Morat et Nancy. Oui, contre ces troupes aguerries, François 1er risquait gros. D'autant qu'il marchait avec ses hommes d'armes au-devant de l'ennemi. Que se serait-il passé s'il avait été pris par les Suisses comme
Jean le Bon à Poitiers par les Anglais en 1356 ? le royaume de France se serait alors, sinon effondré, du moins replié sur son pré carré, comme cela allait se produire à Pavie, dix ans après Marignan. Ah! Marignan ! Que n'a-t-on pas dit à propos de cette bataille ? Ce ne fut pas, de prime abord, le succès évident que l'on croit : François 1er fut à la peine mais tint bon le premier jour de la bataille, menant la charge en personne et s'exposant (on était le 13 septembre 1515, et les Français montrèrent avec le roi une telle détermination que l'on peut bien parler ici de furia francese, personne n'ayant flanché). On resta sur place, et le lendemain le succès final fut assuré grâce aux Lansquenets qui parvinrent à stopper les assauts des guerriers Helvètes (on commençait à avoir sur eux bataille gagnée) et dans une certaine mesure à l'arrivée opportune des troupes vénitiennes, seules alliées des Français dans l'affaire, des Français que ni le pape ni l'Empereur ne voulaient voir sortir vainqueurs de l'engagement. Les Suisses furent surpris de ne pas parvenir à rééditer leurs entreprises et exploits antérieurs, comme à Novare en 1513.
Amable Sablon du Corail nous fait entrer dans le déroulement de la bataille et analyse les conséquences de celle-ci, une fois qu'elle fut remportée par l'armée de François 1er. de par la profondeur de son travail et la large chronologie adoptée par lui, il est indéniable qu'
Amable Sablon du Corail éclaire bien mieux le contexte, les événements et les enjeux liés à cette splendide victoire de Marignan, ainsi que le déroulement de la rencontre militaire proprement dite,que ne l'a fait
Didier le Fur dans son propre ouvrage sur le même sujet. Des notes abondantes et substantielles et une bibliographie très fournie viennent compléter l'ensemble, qui se lit avec un vif plaisir, tant le style de l'auteur est fluide. Merci Amable pour cette belle leçon d'histoire qui nous permet, grâce à un exposé clair et de solides réflexions, appuyées sur les meilleures sources, de nous faire une idée exacte de ce qui s'est passé et de remiser au placard toute l'imagerie d'Épinal entretenue bien trop longtemps autour de l'événement.
François Sarindar