Brouettes

extrait 4



La brouette aussi patiente… les brouettes sont-elles pas,
Comme dirait l’autre au Maroc,
Des sortes d’ânes « climatisés » ?
Avec une brouette
Je serais pas parti bien loin
Pas plus loin que le bout du jardin, ou bien
Un aller-retour de l’écurie au tas de fumier
Comme si souvent ce fut le cas
Et qu’elle me tirait dans les bras !
Mais suffit que te vienne le mot « rouge »
Te voilà
Porté jusque dans le poème
D’un poète américain qu’a su
Rouler la sienne
En son pays et son anglais sans frontière.
Tes jeunes années laissées
En ton village de Vendée
Après quoi t’as couru
En ce même pays que t’as pas su parler ?
D’une première brouette jusqu’à cette autre et son rouge
Quel parcours éperdu ?
Une brouette à Piacenza
En grosse caisse profonde, le fond
Touchant quasiment le sol, une caisse noire et remplie
De pastèques vertes, vert foncé, vert clair, posée qu’elle est
Sur la place pavée (petits cubes de pierre
Disposés en éventails) devant la cathédrale, une brouette
Et d’un coup le souvenir
De toutes celles qu’on a pu voir
Son noir tenant tout le vert des pastèques
Finit-il pas par encombrer mon poème ?
Comment l’entendre en y ajoutant du sens
Parmi tant de couleur qui chantent
Sur les façades, autour de la place, qui chantent
En orange et jaune, du rouge sombre, et parfois
Un rose de pastèque éventrée ?
Avec un tel vers en fin de mon poème
Si ça n’est pas le rire de la brouette que j’entends
Comme un versement
De tout son contenu qui roule en mots ?

extrait 3



Une brouette en tôle, remplie d’herbe.
La mienne autrefois
Quand j’allais chercher de la chicorée pour les lapins
C’était une brouette en bois.
Mais qu’est-ce que je voudrais prouver
En ramenant comme ça dans ce poème
Ma brouette en bois ?
À Mirflet au Maroc entre Tiznit et Sidi Ifni
Cette brouette et ses fanes de carottes
À l’entrée d’un espace de marché
Parle-t-elle pas mieux que la mienne
De toute l’histoire paysanne qui n’en finit pas
De disparaître dans les villes ?
Comme je m’apprêtais à photographier sa brouette
Jour de souk de campagne à Tioute
Marchands de légumes, étals
De choses utiles pour des paysans (c’est par terre
Petite quincaillerie, cordes matériaux divers) justement
     dans la brouette
Un sac de ciment jeté mal mis, le propriétaire
S’empresse de le remettre bien à plat
Sur le fond de la caisse
Avant que je fasse ma photo !
La seule brouette assise là
Dans un grand espace de sol tout défait
Autant que les murs de pisé qui l’enferment, espace comme
     trop grand
Pour ce marché qui déjà pense à la fête de l’Aïd
Moutons, chèvres qu’on y voit.
Les ânes qui patientent derrière une bâtisse.
…

extrait 1



On pouvait la croire assez perdue, presque personne
La plage en sable comme sans couleur, la mer
En colère retenue sous un grand ciel fermé ;
Mais pas tant : trois gars sont là juste à côté
Bavardage autour d’un travail qui se fait pas
Una cariola qu’ils disent le nom que l’Italie donne
À ses brouettes, celle-ci à l’arrêt, un deux papiers dedans
Mais son nom le voilà qui s’enlève
En carriole de tout un passé
Cheval défait les roues de la charrette jetées
Au fond du ciel effacé, mais non
Rien de si violent la mer pas si démontée
Dans le gris du temps, les trois gars se sont écartés
Pour que je photographie quoi qui n’a pas bougé ?
Elle est en métal couleur de métal sombre
L’étendue de sable clair en accentue la découpe
Dans tout le gris de cette fin d’après-midi en mai
Un ciel comme un couvercle d’alu
Sur le bouillon chahuté des eaux.
Si c’est pas l’extrémité très blanche
De ses mancherons qui m’a saisi l’œil
Où le vêtement bleu des trois gars debout
Au bord de leurs paroles
Qui sont des gestes muets ? Le bruit de la mer
Le fond du temps,
Deux minuscules taches de blanc.
…

extrait 2



Brouette que poussait un enfant de quatre ou cinq ans,
La maman pas loin, une brouette en métal, assez la forme d’un diable.
Nous pas loin non plus sur un banc
Pique-nique au bord d’un large et très long espace
Qui sert de promenade à Cusuegra, d’autres gamins
Jouent au ballon dans le lit de la rivière à sec.
La brouette n’ira pas
Jusqu’aux moulins qu’on voit
Par-dessus les toits de la Plaza de Espagna :
Une vraie brouette de travail
Que poussent les bras d’un petit garçon, comme s’il apprenait
À pousser la vie
Devant soi. Et déjà
La brouette est vide.
Quelqu’un passe avec une brouette
Pleine de linge et de tissus marocains
C’est une femme qui passe.
On imagine tout de suite la rivière
Des couleurs vives sur des graviers
Ou dans le désordre de quelques branches.
En somme je n’ai pas vu la brouette
Mais seulement la façon de transporter du linge.
À priori une brouette n’est pas là pour se montrer
Mais pour être utile (sans qu’elle y pense).
…