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3,8

sur 2960 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce livre se déguste tel un repas gastronomique.
Chaque partie équivaut à un plat savoureux et surprenant, parfois lourd ou léger, travaillé ou brut mais toujours un pur régal!
Difficile de synthétiser l'histoire comme il est difficile de retrouver les différentes saveurs d'un plat de maître.
C'est l'ensemble qui compte et comme à la fin d'un repas dans un grand restaurant, lorsque l'on ferme le livre, nous n'avons qu'une envie, se remettre à table.
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Quel livre étonnant que le Goncourt 2021 ! On plonge littéralement dans une oeuvre foisonnante, polyphonique, protéiforme, aux registres multiples, une toile d'araignée labyrinthique aux pouvoirs hypnotiques de laquelle je vais tenter de m'extraire en me servant de la dédicace comme d'un fil d'Ariane, seule façon d'échapper à son sortilège et d'en percer le mystère ...
« Pour Yambo Ouologuem »… Une petite recherche sur Google m'apprend que cet homme est un écrivain d'origine Malienne qui a reçu en 1968 le Prix Renaudot pour le devoir de violence.
Très vite, il fut accusé de plagiat. Discrédité, il retourna au Mali en 1970, devint marabout et se fit oublier... à tel point qu'on le déclara mort dix ans avant son décès !
Est-il le fameux T.C. Elimane, l'auteur de l'oeuvre mythique écrite en 1938 : « Le Labyrinthe de l'inhumain » au coeur du roman de Mbougar Sarr ? En tout cas, il en fut certainement le modèle.
Et c'est bien la première chose qui fascine dans ce Goncourt, à savoir la façon dont l'auteur fait de cet homme magnétique un mystère, une énigme, une ombre.
En effet, T.C. Elimane est la quête centrale de l'oeuvre : tout converge vers son absence, son effacement, sa disparition.
Qui est-il ? Où est-il ?
Tous s'interrogent. Tous émettent des hypothèses. Il est au coeur du dispositif narratif : les voix que l'on entend se confient, racontent, témoignent, révèlent, confessent... Il a été vu ici, là, mais était-ce bien lui ? Personne ne sait. Sa trace s'est effacée. Où se cache l'écrivain de génie ? L'envoûtant T.C. Eliman ? Pourquoi a-t-il disparu ? Pourquoi se cache-t-il ? Est-ce parce qu'on l'a accusé de plagiat ? Est-ce parce qu'il a jugé que son oeuvre n'avait pas été bien comprise ?
En 2018, 80 ans plus tard, un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye lit « Le labyrinthe de l'inhumain.» Fasciné par ce roman, il part en quête de cet écrivain fantôme, interroge, écoute…
Les témoignages se croisent, les pièces du puzzle tentent de coïncider. Mais les propos recueillis sont fragmentaires, faux, imaginaires, empreints de la plus grande passion ou de la plus terrible colère. Et les gens, bavards, causent des nuits entières jusqu'à l'aube, imaginent, affabulent. On ne saura pas. Ils font chacun, par leur discours, oeuvre de littérature, créent le mythe.
Parfois, il faut bien le dire, on ne sait plus qui parle. Les mots tiennent tout seuls, tourbillons, vertige, ivresse, la logorrhée se fait personnage, elle prend corps, elle a toutes les formes, tous les aspects. Sur la pointe des pieds, elle va chercher le mot rare, joue l'érudition, tout en plongeant volontiers dans la fange avec l'emploi de termes familiers ou vulgaires.
La langue est celle du griot, l'artisan du verbe, l'éveilleur de conscience, la voix des esprits, qui ne s'arrête jamais de conter… Elle saoule, enivre, sature, nourrit. Elle produit le vertige, le ravissement, le saisissement. Elle vous pompe, vous vide. Elle ne s'arrête jamais. le livre fermé, vous l'entendez encore.
À la fin, vous n'êtes plus rien comme si vous sortiez d'un songe.
Il vous faut pourtant retourner au rivage, quitter l'envoûtement, vous défaire du charme. Reprendre pied, dans la vie réelle. Pas simple.
Je me suis laissé porter, je n'ai pas toujours cherché d'où venaient les voix. J'ai plutôt tenté de comprendre ce qu'elles disaient : elles m'ont parlé de littérature africaine et de sa réception en France, elles m'ont hurlé le désespoir de ceux qui ont le sentiment de n'être pas lus correctement, de n'être pas compris, elles se sont fâchées très fort au sujet de ces livres dépourvus d'écriture, de style et qu'on appelle malgré tout « oeuvres littéraires ». Elle m'ont dit aussi que certains écrivains noirs s'étaient perdus à vouloir enfiler des costumes d'hommes blancs, en cherchant à tout prix à être reconnus dans les cénacles européens. Inutile complaisance...
Certains sont partis pour cela, ils ont quitté leur mère, comme Perceval, sans se retourner.
Et l'on sait où cela mène...
Ils ont abandonné père et terre, ont erré, comme on erre quand on veut conquérir un Occident que l'on imagine accueillant et souverain. Aveuglés par leur désir de reconnaissance, leur grande naïveté et leur jeunesse, ces jeunes écrivains noirs ont été incapables d'entrevoir qu'ils resteraient à jamais des étrangers et que si un jour acceptation il y avait, elle ne serait que passagère et au fond, illusoire.
Et puis, rejetés car au fond incompris, seuls à jamais, ces écrivains à l'écriture unique, singulière, inouïe, insolente et libre ont renoncé, sont revenus au pays pour se réfugier dans le silence et mourir.
Doit-on absolument répondre à la vocation de la littérature et ce, à n'importe quel prix ? Pourquoi, pour qui et de quel lieu écrit-on, dans le fond, quand on écrit ? Pour chercher la gloire en Occident ? Écrit-on du lieu où l'on est ou du lieu où l'on a vécu son enfance ? Et avec quelle écriture est-ce possible, quelle voix ? Celle du pays où l'on vit ou celle du pays d'où l'on vient ? Finalement, la seule terre d'accueil de ces écrivains africains n'est-elle pas la littérature, seul lieu de refuge, seul endroit où aller, où garder quelques traces du pays natal ?
Peut-être, la voix de Sarr donne-t-elle quelques éléments de réponse ici... Ne dit-elle pas que si l'on veut partir, il faut surtout ne rien renier, refuser la moindre concession, ne pas chercher à être un autre, ne jamais détourner la tête au risque d'oublier son passé, ses racines ?
Seule façon d'être vrai et honnête.
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s'habitueront », écrit R. Char dans « Rougeur des matinaux ».
Le temps est arrivé où c'est enfin possible.
Puisse-t-il durer, ce temps-là …

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Ce livre est surprenant sur la forme. du journal aux échanges épistolaires en passant par des récits de personnes qui ont connu Tc Elimane. J'ai trouvé cette lecture très agréable et cette écriture superbe.

Le lien entre vie et littérature, entre le pourquoi et le comment le texte né et se déploie.

L'histoire de ce 20eme siècle délirant entre deux guerres mondiales, colonisation, décolonisation et exil sans parler de massacres entre ethnies en Afrique. Entre renoncements et retours vers le pays et la famille. Mais avant tout il s'agit de littérature et de quête de sens.

Je referme ce livre conquise.

Juste mon ressenti. D'autres ont résumé l'intrigue. Ce que j'ai aimé aussi c'est le mystère de la création, littéraire ici.

Je n'aime pas toujours les prix Goncourt ou autres mais en l'occurrence je recommande vivement cette lecture
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Être envoûtée par un livre. C'est un plaisir rare et difficile à expliquer. Voici donc quelques-uns des charmes qui m'ont transportée.
- L'écriture est magnifique, d'une grande richesse et d'une grande prodigalité . C'est toujours un bonheur de découvrir des mots nouveaux et cette abondance de la langue m'enchante. Les phrases sont longues certes mais fluides, généreuses et captivantes.
- Ce roman est une déclaration d'amour à la littérature et à la lecture. le livre est au centre de la quête, l'écrivain existe dans tous les protagonistes.
- le thème du plagiat est riche d'une richesse peu exploitée pour ceux qui aiment la littérature. (Oups, j'ai envie d'en faire une liste sur Babelio). Prendre comme fil conducteur un livre culte écrit par un écrivain accusé de plagiat sur le modèle de Yambo Ouloguem est d'emblée un excellent sujet.
- "Je voulais vraiment éprouver ce que la littérature avait comme sens au contact de la vie et de l'Histoire." a déclaré l'auteur. Cette réflexion est menée avec beaucoup d'intelligence et une grande culture.
- . Mohamed Mbougar Sarr nourrit ses personnages de l'histoire de la littérature et de l'histoire du monde. L'Afrique, l'Europe, l'Amérique latine lui servent de décor mais avec une exigeance politique qui lui permet d'évoquer la colonisation, la Shoah, les dictatures et les révolutions. Des personnages fictifs rencontrent des personnages réels et ce mélange, loin de la confusion, enrichit plus encore l'intrigue.
- le roman est labyrinthique, fourmille de voix narratives, de mises en abyme et de récits qui s'imbriquent les uns dans les autres mais cette construction fait sa densité. Et pour peu qu'on soit captivé par la lecture, impossible de s'y perdre tant l'auteur nous tend avec malice son fil d'Ariane.
- La distanciation avec laquelle il invoque certaines pratiques de magie africaine permet d'éviter la caricature et confère au récit cette touche de mystère qui entoure le personnage d'Elimane.

Bref, les critiques sur ce roman sont nombreuses, prix Goncourt oblige, mais sur moi, la magie a opéré... Et c'est bien la preuve qu'un roman exigeant puisse également être un grand moment de lecture !
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Un roman fantastique et qui vient de recevoir le prix Goncourt tellement, tellement mérité!!! Bravo!
J'ai tout aimé dans ce livre je crois, le style d'écriture, l'histoire, les échanges, les personnages, les voyages au travers des pérégrinations de Diégane et de ses découvertes.
On entre dans le pays de la littérature et donc dans le monde de Diégane Faye, jeune écrivain sénégalais "en devenir" mais qui se cherche encore et surtout cherche T.C Elimane, le "Rimbaud nègre" des années 40 en France, qui n'a fait qu'une oeuvre et à disparu. Mais cette oeuvre obsède et obnubile Diégane au point qu'il va en faire la quête de sa vie.
On fait alors des allers-retours entre sa vie actuelle de jeune étudiant à Paris, avec sa communauté et ses rencontres avec Siba, l'araignée-mère qui va tisser sa toile autour de lui pour lui faire découvrir autre chose...et une autre vérité...avec des lieux, l'Argentine, le Sénégal, la France et des époques, la guerre, l'après-guerre, les révolutions en Amérique du sud et en Afrique....
Bref, un condensé d'Histoire pour une histoire qui entraine le lecteur dans un tourbillon de mots fantastiques!
Je suis vraiment ravie de ce prix et ravie de l'avoir lu et tant apprécié avant!
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Je suis venue à ce livre avec hésitations: l'histoire ne me tentait pas et j'étais freinée par certains retours qui la qualifiaient de longue, voire d'ennuyeuse.
C'est donc mitigée et dubitative que j'accueillis les encouragements de mon libraire lorsqu'il m'incitat à découvrir cette pépite.
Mais comme il a bien fait!!!
Je suis littéralement tombée sous le charme de ce bouquin, à la construction pourtant peu académique, voire carrément déroutante!
La plume est MA-GNI-FI-QUE! Je n'ai cessé, au cours de ma lecture, de le noter, de l'annoter, les arabesques formées par mon stylo accompagnant fébrilement les borborygmes manifestant l'exaltation de ma joie et de mon admiration.
Cette quête philosophique, ces rencontres, ces sauts dans le passé, inextricablement entremêlés dans la narration du présent et, partout, à chaque page, la beauté et la prodigieuse finesse du style de l'auteur!

D'ordinaire, je n'aime pas les "récompenses" attribuées à toute chose. Ou, plutôt, devrais-je dire, je m'en méfie car je n'apprécie pas l'injonction implicite qu'elles renferment inévitablement.
Pourtant, en ce qui concerne de joyau littéraire, je dois reconnaître que l'attribution du prix Goncourt a participé, au moins autant que les encouragements de mon libraire, au fait que j'aie succombé.
Sans cela, je serais probablement passée à côté de ce bijou qui m'aura marquée, hantée même et auquel, sans doute, je reviendrai avec bonheur.

Si, comme moi, vous aimez la douce musique des beaux textes, alors foncez: vous DEVEZ lire ce livre...!

Extrait:
"A ma droite, le crépuscule se déploie comme filmé au ralenti. le fil aiguisé de l'horizon a d'abord tranché l'iris du soleil à l'horizontale, en son milieu exactement, comme chez Bunuel; il s'est ensuite répandu, du lumineux oeil crevé, une mer de cinabre que brochent de petits éclats indigo et bleus, profonds, presque noirs, qui croissent et muent ensuite en grandes tumeurs sur le corps du ciel. La nuit tombe avec douceur sur le monde, comme une feuille à la surface d'un lac".

"La fidélité à un soi ossifié à travers le temps n'est pas qu'une chimère; elle me semble être un aveuglement dont se rit la vie: la vie, son imprévisible mouvement, ses incertitudes, ses circonstances qui, parfois, broient valeurs et principes qu'on pensait, prétendait, immuables. J'entends parfois dire qu'il faut rester fidèle à l'enfant qu'on a été. C'est la plus vaine ou funeste ambition qu'on puisse avoir au monde. (...). Devenir adulte est toujours une infidélité qu'on fait à nos tendres années. Mais là réside toute la beauté de l'enfance: elle existe pour être trahie, et cette trahison est la naissance de la nostalgie, le seul sentiment qui permette, un jour peut-être, à l'extrémité de la vie, de retrouver la pureté de jeunesse".
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Sous le signe du mystère !

Je crois que c'est le premier écrivain d'origine africaine de langue française (et quelle langue, mes amis ! ) que je lis (à part Albert Camus et Le Clézio, à cheval sur deux continents). Je n'aurai plus jamais la même réticence après la lecture de ce merveilleux et tragique roman.

Cependant, j'ai eu un mal fou à mémoriser les prénoms des différents protagonistes, jugez plutôt : Diégane, Mossane, Assane, Elimane, Spiderman (non, pardon je m'emporte). Et qui saurait dire si ces prénoms désignent un homme ou une femme ? Pas moi, au premier abord en tout cas. Manque d'habitude...

Il est aussi parfois difficile d'identifier rapidement qui est le narrateur de chaque parties. Et il est presque indispensable de dessiner un arbre généalogique des différents protagonistes africains ; ça m'a donné du fil à retordre. Je recommande de lire ce roman sans interruptions de plusieurs jours, sous peine d'embrouillamini. Pour ma part, j'ai pris une quinzaine de pages de notes au fil de ma lecture ( oui, vous avez bien lu, une quinzaine ! )
Qui, et où, est T.C.Elimane et que dit son unique livre connu ( intitulé « Le Labyrinthe de l'inhumanité » ), sorti en 1938 ?
Je me suis senti un peu frustré que le grand auteur Elimane reste dans son mutisme, mais tout se justifie, vous le découvrirez lorsque vous lirez ce roman « cosmopolite », entre Afrique, Europe et Amérique latine, convoquant au passage quelques grandes figures telles que Witold Gombrowicz ou Ernesto Sabato pour l'ancrer un peu plus dans la réalité.
J'ai pendant longtemps cru qu'il n'y aurait pas de dénouement à cette histoire faite d'entrelacs et parfois mystique (voire magique), mais je m'étais trompé, pour mon plus grand bonheur.
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Est il encore possible de partager ce livre, quand tant de partages m'ont donné la sensation d'avoir tout dit?

J'ai commencé à déguster La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, lorsque il était dans le peloton final pour le Goncourt. J'avoue que je suis pas une adepte des prix tant j'aime me sentir libre et non suivre une mode, un engouement... D'ailleurs quand un livre a trop de succès, je note en règle général les références et puis quand le succès retombe, je mesure ce qu'il me reste de mon envie de départ...

Ce qui a changé pour moi cette fois - ci, c'est un zapping qui m'a fait atterrir à La Grande Librairie... C'est entendre parler Mohamed Mbougar Sarr de son livre, mais surtout de sa compréhension de notre monde, de nos liens... Et là, comment vous dire? J'ai été harponnée par tant de sensibilités, de finesses et d'intelligences dans ses propos...

Ce coup de coeur pour l'auteur j'ai voulu le continuer par la lecture de ses mots!! Sans surprise, j'y ai retrouvé les qualités perçues lors de son passage en télévision et plus encore... J'ai plus qu'adoré ce livre!! Ma rencontre avec cette oeuvre magistrale ( Oui! J'ose le terme 🤗 ) a fait que je me suis surprise à lire des passages à mon mari tant je trouvais le style sublime! Chose que je ne fait jamais! Mon mari a du me demander de m'arrêter de le faire, ayant l'intention de le lire aussi😂!

Ce style sublime porte une histoire où l'on va suivre Diégane Latyr Faye sur les traces d'un auteur, T. C. Elimane, qui après avoir connu la gloire tomba tout aussi vite du pied destalle où on l'avait porté... Une déchéance tellement raide, que ne subsiste de son livre le labyrinthe de l'inhumain qu'un seul exemplaire... Et pourtant quiconque le lit est marqué!

Ceci est pour la colonne vertébrale... Mais Mohamed Mbougar Sarr ne s'est pas arrêté-là! Il emporte son lecteur couche par couche dans une introspection qui si on accepte de lui tenir la main questionne notre rapport au monde et aux autres, à l'histoire, à nos héritages, à notre identité pour aller jusqu'à dire notre humanité, nos émotions et l'émotion de la colère plus particulièrement! Cette colère qui peut détruire tout comme quand elle est transcendée, construire...

Cette émotion mal aimée dans notre société est ici réhabilitée... Et notamment dans son apport à la littérature!

Véritable kaléidoscope, Mohamed Mbougar Sarr est arrivé à dire ce qui est de l'ordre du non dit, du ressenti, du complexe et à offrir au lecteur bien plus qu'une intrigue! Il lui a donné à vivre son histoire!
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La plus secrète mémoire des hommes / Mohamed Mbougar Sarr /Prix Goncourt 2021
En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris l'existence d'un livre mythique paru en 1938 : « le Labyrinthe de l'inhumain ». Peu après la publication de ce livre, son auteur, T. C. Elimane, a disparu. On a véritablement perdu la trace de cet écrivain qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que provoqua la parution de ce texte.
Diégane est fasciné par ce livre puissant dans lequel l'auteur a mis une partie de son âme, envoûté par l'auteur lui-même et le mystère qui gravite autour de lui, et il décide de s'engager sur la piste du mystérieux T. C. Elimane. le livre d'Elimane est étonnant en tout point, par son sujet, par son style, et par son auteur, un africain de 23 ans dont nul n'a jamais entendu parler. Ensuite, Diégane est interloqué par le fait que cet auteur n'ait écrit qu'un seul livre avant de disparaître. Et puis pourquoi le livre n'a-t-il jamais été réédité, ce qui a rendu l'ouvrage quasiment introuvable aujourd'hui.
La rencontre fortuite dans un café de la sulfureuse et aguichante quoique sexagénaire romancière sénégalaise Siga D. va changer la donne assez rapidement : elle détient un exemplaire du livre. Cette femme au passé aventureux devient vite l'Araignée-mère qui tisse sa toile autour de la mouche qu'est Diégane. Elle lui confie que ce qui l'intrigue, l'attire et l'intéresse au premier chef au sujet de Elimane, c'est son silence et sa disparition. On apprend alors qu'en vérité, Elimane est le cousin de Siga.
La suite, Diégane la raconte dans un premier temps sous forme d'un journal relatant les réunions d'un groupe d'amis écrivains afin d'élucider le mystère T. C. Elimane. Diégane se livre à une violente diatribe contre les écrivains africains qu'il accuse d'incontinence littéraire, la maladie la plus répandue à l'époque de l'émergence des écrivains africains avant d'en venir au cas d'Élimane. Dans le groupe, Diégane a remarqué la belle et troublante Béatrice Nanga enveloppée en permanence d'une lourde aura de sensualité. le groupe n'est pas un mouvement et chacun marche seul vers son destin littéraire. Après que Musimbwa a lu au groupe, in extenso durant trois heures, « le Labyrinthe de l'inhumain », la sidération est totale avant que ne s'ouvrent les débats dans le fracas le plus total, quand Musimbwa le trouve magistral tout comme Diégane, Béatrice trop intelligent, et Sanza détestable, pour lui une mystagogie risible et une parodie de mauvais goût. Ils ont consulté les papiers de plusieurs critiques qui accusent Élimane de plagiat. C'est alors que certains défenseurs expliquent que toute l'histoire de la littérature est l'histoire d'un grand plagiat, Montaigne de Plutarque, La Fontaine d'Ésope, Molière de Plaute, Corneille de Guillèn de Castro.
Il faut déjà faire mention du style étonnant de Mohamed Mbougar Sarr, usant d'un vocabulaire riche et coloré :
« Au dessert, l'ambiance se détendit. On s'offrit d'abord aux secousses galvaniques de la nuit à peine nubile, verte comme une jeune mangue. Puis tout s'adoucit ; la lune mûrit, prête à tomber du ciel. Nous pendions aux bras d'heures cotonneuses, vestibules de somptueux rêves… »
La rencontre passée, de Diégane avec Aïda est aussi un moment d'anthologie, une relation qui se poursuit, tumultueuse s'il en fut :
« Nous nous sommes rendus chez elle. Je me rappelle sa chevelure trempée, mouillant son visage, et le mien, quand nous avons défait l'amour en fragments étincelants, et ils nous encerclèrent comme les anneaux une planète. »
Diégane est un personnage finalement ambitieux qui brigue la célébrité sous des airs désinvoltes, amateurs de femmes aux belles poitrines. Il joue de ce qu'il ne veut pas tomber dans le piège de nombres d'écrivains africains qui se sont sentis contraints d'aborder certains thèmes inhérents à la culture et la pensée africaines.
Comme s'il voulait imiter Elimane, Mohamed Mbougar Sarr donne l'impression dans cet excellent roman d'initiation, une oeuvre réellement picaresque pleine d'humour, de vouloir tout y mettre de ce qu'il a à dire, comme si cela devait être soit l'unique soit la dernière de ses oeuvres. Un fantasme en rapport avec le Labyrinthe, un livre culte, rare et maléfique, un livre qui va bouleverser la vie de tous ceux qui l'ont lu.
. À trente et un ans, on peut espérer que Mohamed Mbougar Sarr ne s'en tiendra pas là et de toute façon, ce roman est son quatrième. Alors il n'y a pas de défi à attendre.
Ce qui m'a frappé au cours de cette lecture, c'est que l'auteur s'amuse des récompenses d'autres écrivains, des prix qu'il compare à des colifichets qui les exposent parfois à des malédictions. L'auteur ironise et il avouera lors d'interviews qu'au lendemain de son prix Goncourt, il est entré dans une période durant laquelle il subit le châtiment d'avoir eu un prix après s'être moqué de celui des autres.
On remarquera aussi non seulement la belle érudition de Mohamed Mbougar Sarr, mais aussi la performance pour faire d'un unique livre labyrinthique le personnage principal du roman et le point de départ de nombreuses réflexions. L'auteur étonnamment réinvente tout au long de son roman le livre de T. C. Elimane, en racontant le monde confronté à son Histoire souvent tragique (colonisation, Shoah…), et révélant des vies pas ordinaire, grâce à des personnages que l'on découvre, perd de vue et retrouve, silhouettes d'un passé animant une chorégraphie aussi complexe que fascinante, des hommes et des femmes qui souvent cachent derrière de grands sermons de vertu, le stupre de vies secrètes et peccamineuses. Un roman où aussi légendes et superstitions viennent semer le trouble au sein de la réalité.
Un roman à tiroirs que l'on ouvre au fil des pages, passionnant, écrit dans un beau style aux accents poétiques mallarméens, au vocabulaire riche et à la technique narrative avérée, avec un usage judicieux d'anaphores révélatrices. Un roman étourdissant tout au long duquel on se demande comme tous les personnages du roman qui est cet Elimane : un écrivain absolu ? un plagiaire honteux ? un mystificateur génial ? un assassin mystique ? un dévoreur d'âmes ? un nomade éternel ? un libertin distingué ? un enfant qui cherchait son père ? un simple exilé malheureux qui a perdu ses repères et s'est perdu ?
Et puis revient tout au long des pages, tel un leitmotiv, le face à face entre Afrique et Occident, une belle réflexion politique et aussi le beau chant d'amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.
Ce n'est pas toujours une lecture facile car de nombreux narrateurs se succèdent dans des temporalités différentes qui s'entrecroisent et se chevauchent, ce qui demande une attention soutenue. Cela dit, on s'y habitue assez vite et cela ne nuit en rien à la qualité du roman.
En bref, une oeuvre dense, très riche, très travaillée, parfois un peu sophistiquée, abordant une multitude de thèmes, et qui mérite bien le Goncourt.

Extrait /réflexion sur les livres : « La patrie des livres : les livres lus et aimés, les livres lus et honnis, les livres qu'on rêve d'écrire, les livres insignifiants qu'on a oubliés et dont on ne sait même plus si on les a ouverts un jour, les livres qu'on prétend avoir lus, les livres qu'on ne lira jamais mais dont on ne se séparerait non plus pour rien au monde, les livres qui attendent leur heure dans une nuit patiente, avant le crépuscule éblouissant des lectures de l'aube. »
« le monde est vraiment mystérieux, pensais-je en regardant le ciel : pour la lumière des étoiles, l'ombre s'incarne dans la lumière du jour ? »


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Voici un bouquin qui mérite son Goncourt. J'espère qu'on ne l'oubliera pas de sitôt.

Il est parcouru de thèmes majeurs : qu'est-ce que la littérature ? La création ? Doit-on ou non être fidèle à ses origines ? A-t-on vraiment le choix de les répudier et la possibilité de leur tourner le dos ? Existe-t-il une réalité objective qui constituerait la vérité (on devine la réponse suggérée par l'auteur). Qu'a fait le colonialisme à l'art africain ? La création littéraire s'oppose-t-elle au militantisme ? Y a-t-il une hiérarchie ou une priorité entre les deux ? Peut-on les concilier ?

Le roman de Sarr "la plus secrète mémoire des hommes" n'est pas sans évoquer l'écrivain controversé, auteur du "Labyrinthe de l'inhumain" qui fait l'objet de la quête des personnages du roman. Une vraie mise en abime, selon une expression ici particulièrement opportune. Partout fourmillent des chemins, des voies possibles, des impasses (mais pas forcément stériles) : vers où se diriger ?

Comme dans "Le père Serge" de Tolstoï et dans "Notre-Dame-de-Paris", de Hugo, on cherche quelque chose dans la solitude existentielle. On cherche, et on ne trouve jamais, car nous sommes inclus dans la finitude : la ligne d'horizon est une sorte de mirage jamais atteint. Alors on continue à chercher, comme Diogène, avec nos lampes plus ou moins bonnes, en plein jour ou dans les ténèbres.

La littérature sert à deux choses : relâcher l'emprise du réel en desserrant son étreinte au moyen d'une bonne histoire qui nous le fait oublier ; ou poursuivre à travers elle une quête vers quelque chose dont nous ne savons même pas ce que c'est, sauf que c'est essentiel. Quelque chose qui prendrait la forme exacte de l'espace d'effroi et de douleur que nous avons au coeur quand nous pensons à notre condition.

Dans les deux cas, nous entrons dans le domaine de l'Imaginaire.

Et sans imaginaire, on mourrait. L'imaginaire et les rêves nous maintiennent vivants.

L'imaginaire est aussi fort que le réel. Nous baignons dedans, le monde nous parvient en écho à travers lui.
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