La compréhension des origines de l'espèce humaine est un de mes «hobby-horses», comme le dirait Tristram. Shandy.
J'ai pu notamment suivre en 2017 un MOOC passionnant organisé par le
Musée de l'Homme, et avoir la chance, à la fin de ce cours en ligne, de rencontrer les chercheuses et chercheurs qui avaient organisé ce cours.
Ce petit livre paru en 2018 et mis à jour en 2021 est une mise au point courte, claire et didactique, une agréable synthèse qui complète mes connaissances et dont l'intérêt est de donner un nouvel éclairage sur nos origines et notre devenir. Mais je crois que l'on peut aborder sa lecture sans avoir au préalable des notions de paléo-anthropologie.
Son originalité, je trouve, c'est que les auteurs, au delà de faire l'état des connaissances, essaient de nous faire comprendre quels auraient pu être les moteurs de l'évolution qui a conduit à Homo sapiens.
Particulièrement intéressante est l'idée de cette séquence bipédie-libération de la main-emploi d'outils-organisation sociale-développement de la taille-développement du cerveau, qui fonctionne comme une sorte de boucle amplificatrice.
Et que tout cela est apparu très tôt, bien avant le genre Homo. Les auteurs rappellent cette découverte incroyable, c'est que la fabrication d'outils déjà élaborés, nécessitant une bonne dextérité et une bonne coordination motrice, remonte à 3,4 millions d'années, soit la période de l'australopithèque. Ainsi, on peut faire raisonnablement l'hypothèse que ce sont, parmi les australopithèques, ceux capables d'utiliser les outils qui ont obtenu un avantage sélectif.
Le livre explique très clairement les étapes de la bipédie, jusqu'à Homo qui devient un bipède exclusif.
Et aborde aussi tous ces points passionnants: la fabrication d'outils et l'évolution de la main, le fait que le développement du cerveau s'est traduit par la naissance de bébés immatures sur le plan cérébral (il ne fallait pas qu'ils aient une trop grosse tête pour que l'accouchement puisse se faire), de ce fait une très longue période de maturation, de plus en plus longue quand on arrive à Sapiens (ainsi on apprend que le jeune Néandertal était adulte à 12 ans alors que le cerveau de Sapiens continue de se développer et de se remanier jusqu'à 25 ans).
Aussi que le développement du cerveau a entrainé une consommation énergétique pharamineuse par ce dernier, rendue possible par la chasse puis la domestication d'animaux gras, et aussi leur cuisson qui facilite l'assimilation.
Une autre notion passionnante c'est que l'organisation sociale a permis progressivement à Homo d'élever et d'éduquer plus d'enfants, notamment pris en charge par les grands-mères, car une des caractéristiques de l'évolution du genre Homo, c'est l'augmentation de la longévité des femmes après la ménopause. Et aussi que cette organisation était sans doute bienveillante envers les vieillards et les handicapés, car on sait qu'elle nourrissait les « sans-dents »!
Autre idée inattendue, c'est que, dans la relation sociale, le langage a remplacé l'épouillage des grands singes!
Les auteurs nous donnent des pistes, tirées de l'observation du cerveau des fossiles et de données de génétique pour suggérer quand le langage, qui est sans doute issu de l'évolution des vocalises des grands singes, est apparu. On y apprend ainsi que Néandertal pouvait parler!
Une autre notion fondamentale, plutôt bien connue de celles et ceux qui s'intéressent au sujet, est développée par les auteurs du livre. Celle de l'évolution « buissonnante » d' Homo sur tout le contient africain. Ainsi à la même période, australopithèques et Homo cohabitaient, un grand Homo bipède mais avec un tout petit cerveau et des mains faites pour s'agripper aux arbres était présent en Afrique du Sud en même temps que des Homo bien plus évolués.
Et puis, les auteurs nous racontent cette découverte exceptionnelle faite en 2017 par l'équipe de
Jean-Jacques Hublin. Celle faite au Maroc de restes d'Homo sapiens archaïques datant de plus de 300 000 ans soit 100 000 ans plus éloignés que les précédentes datations. Et de plus, une découverte qui suggère que Sapiens n'a pas émergé seulement en Afrique de l'Est, mais une origine multi régionale.
Et je passe sur toutes les informations passionnantes sur la découverte de la planète par les Homo, pas seulement sapiens, sur les croisements sapiens Néandertal, sur la domestication du loup, sur le rôle potentiel de l'épigénétique dans l'évolution d'Homo, etc.., et même sur notre potentiel devenir.
Et enfin, notons que les auteurs apportent quelques bémols de taille sur les notions de révolution cognitive et de révolution néolithique mises en avant par Harari dans son livre « Sapiens, une brève histoire de l'humanité ». C'est en effet plus compliqué et moins tranché que cela.
Et, cerise sur le gâteau, l'ouvrage comporte de nombreuses figures très pédagogiques, ce qui devrait être le cas pour tous les livres de vulgarisation, et qui tend à devenir rare.
En conclusion , un livre que je recommande à toutes celles et ceux qui s'intéressent aux origines de notre espèce humaine. A noter qu'il peut être acheté en version numérique, ce que j'ai fait pour une fois et qui passe assez bien pour ce genre d'ouvrage.