Évacuer la procréation de la sphère de la productivité humaine signifie qu'on la considère comme une forme d'esclavage, une sorte de travail déshonorant. Et cela touche aussi toutes ces activités de soins qui lui sont liées, ces activités féminines par tradition, comme l'éducation des enfants, le soin des malades et des personnes âgées. Toutes ces choses qui, dès qu'on le peut, sont aujourd'hui confiées à des personnes qui se trouvent en bas de l'échelle sociale, des personnes incapables ou dans l'impossibilité d'accéder à d'autres métiers. De cette manière, tout ce qui constituait autrefois le rôle féminin se voit monnayé et déprécié. Il est naturel alors que les jeunes femmes cherchent à échapper à un tel sort, sans penser qu'on leur refuse ainsi la possibilité de créer de nouveaux et profonds rapports humains. Et l'on finit par vivre dans une société inhumaine, qui ne reconnaît plus la valeur de la solidarité, de la gratuité, de la richesse d'une réciprocité non monnayée.
Il faut pourtant bien admettre qu'on ne peut plus proposer aux jeunes d'aujourd'hui l'idée traditionnelle selon laquelle la femme serait née pour se résigner, pour montrer son courage en supportant la souffrance. De nos jours, on n'admire le courage des femmes que si elles luttent contre cette résignation, dont je viens de parler, que si elles manifestent leur volonté de "vivre leur propre vie".
L'Eglise n'a pas cherché à définir en quoi consiste réellement, de son point de vue, la différence féminine. Voilà la question-clé, et c'est de sa réponse (ou de son manque de réponse) que découle la marginalisation des femmes dans le monde catholique.
Un seul document, Mulieris dignitatem, aborde ce problème. Il s'agit d'une ode au génie féminin centré sur la maternité qui propose une image idéalisée et romantique, et incontestablement flatteuse, de la femme - de manière peut-être d'ailleurs un peu trop emphatique. Aujourd'hui pourtant, les femmes catholiques évoquent ce document avec une certaine lassitude : tant de louanges n'ont en effet été suivies d'aucune avancée concrète favorisant une présence moins sacrifiée des femmes dans la vie de l'Église. Si bien que le document, quand on le regarde après coup, a presque des accents de railleries.
Cette exclusion va de pair avec la continuelle exaltation du "génie féminin", invoqué d'ailleurs comme antidote à une transformation de l'identité féminine dans le sens d'une masculinisation toujours plus accentué et donc d'un effacement de la différence sexuelle. Mais même si la nécessité et la beauté du "génie féminin" sont sans cesse proclamées et invoquées dans les documents ecclésiastiques, il semble de fait que l'Église réussisse aisément à s'en passer, restant donc enfermée dans un monde masculin replié sur lui-même.
Mais en séparant la théologie de l'histoire et en en faisant une sorte de fétiche, on risque de perdre aussi le sens de son développement dans le temps, et son lien avec les contextes culturels et sociaux dans lesquels elle a été élaborée. Concrètement, le danger est celui d'une idéologisation excessive engendrant des théories de plus en plus éloignées de la réalité, comme dans les anciennes élaborations gnostiques qui revenaient régulièrement, en oubliant que le christianisme se fondé sur la croyance en l'incarnation et est donc enraciné dans l'histoire.
L'Eglise est maintenant confrontée à une double mission: d'une part, devenir plus parfaitement masculine et féminine, et d'autre part, sauver les valeurs féminines, sans maintenir les femmes dans le gynécée des qualités attrayantes et passive, d'où elles veulent sortir afin d'être traitées simplement et authentiquement comme des personnes.