Les confessions d'un homme trahi et de sa lente métamorphose en ce quoi même a causé cette injustice. C'est tout un système - politique, judicaire, culturel et surtout moral, en Bosnie du 18e siècle - qui est mis à nu, très riche dans sa description des trafics d'influence, des complots et de la corruption, en renforçant les parallèles avec l'époque contemporaine de l'auteur sans jamais employer de caractérisations trop manichéennes, réductives ou simplistes. le choix d'un derviche comme personnage principal est idéal pour renforcer le triomphe des causes personnelles et matérielles sur le spirituel, et cette transformation - à la fois processus d'humanisation et de déchéance - est captivante, soutenue par un cercle de personnages secondaires complexes et nuancés. La trame narrative du roman commence relativement lentement et semble s'accélérer progressivement jusqu'à la furie des toutes dernières pages, et l'équilibre entre les longues introspections du derviche et l'intensité des dialogues lui donne un rythme et une cadence qui en font une lecture engageante. Une réussite sur tous les plans.
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Aucune sagesse ne peut m’aider. Je préfère retourner dans le passé. Je le fais sans effort ni contrainte. Je ne cherche rien, la recherche et la découverte se font elles-mêmes.
La pluie tombe depuis des jours, elle sautille méchamment sur les tuiles du vieux toit de la tekké [couvent soufi], l’horizon est assombri, flou, des pieds invisibles marchent au-dessus de ma tête, dans le grenier, il y a une poutre qui cogne la tête, le vent fait battre le volet, une souris guette dans le coin. Il y a une enfance aux yeux tristes qui observe cette ombre.
Un instant je parviens à être ce lointain enfant solitaire, à trembler d’anxiété comme lui. Tout est un mystère séduisant et ne contient que le futur ou l’illimité, tout se pare d’une auréole de joie profonde et de tristesse profonde. Ce ne sont pas des événements, mais des états d’âme : tantôt ils viennent seuls comme une brise légère, comme un crépuscule silencieux, une lueur indistincte, une extase, tantôt apparaissent des images brisées, des visages qui, le temps d’un éclair, s’embrasent dans l’obscurité, un rire dans un matin ensoleillé, le reflet de la lune sur la rivière paisible, un arbre noueux au tournant d’un chemin ; je ne savais pas que ces parcelles de ma vie ancienne subsistaient en moi. Ont-elles tellement signifié jadis, pour s’infiltrer ainsi dans ma mémoire, pour s’y égarer, tels de vieux jouets abandonnés ? J’avais oublié mon moi d’autrefois, noyé dans le temps, et maintenant ces vestiges, ces débris, font surface.
Tout cela c’est moi, tout en menus morceaux, fait de reflets, de lueurs, de hasards, de raison non démêlées, d’un sens qui existait puis s’est égaré ; et à présent, je ne sais plus, dans ce chaos, ce que je suis. (p. 210)
Jean Rolin L'Explosion de la durite
Jean Rolin - L'Explosion de la durite (éditions POL) : Où Jean Rolin tente d'expliquer d'où vient "L''Explosion de la durite" et où il est question de l'acheminement d'une voiture d'occasion de la Seine Saint-Denis jusqu'à Kinshasa (Congo), de l'humanisme et de l'échec, et de Mesa Selimovic, lors d'un entretien avec Philippe Trétiack, à l'occasion d'une rencontre avec Jacques Ferrier, -Architecture et Littérature- à la Cîté de l'Architecture et du Patrimoine, à Paris le 12 mars 2010
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