Cet essai au titre alléchant est toujours d'actualité près de vingt ans après sa rédaction. Dans un monde qui bouge si rapidement, c'est une qualité que l'on doit lui reconnaître.
La novlangue fait référence à la langue imaginée par Orwell dans "1984" : une langue qui formate la pensée de ses utilisateurs selon le cadre imposé par Big Brother.
Jaime Semprun étend l'acception du mot "novlangue" à la refonte linguistique induite par le développement irrémédiable des sciences et techniques et qui introduit, par rapport à l'archéolangue, "une rupture radicale avec le passé". La novlangue est "la langue naturelle d'un monde toujours plus artificiel".
Un des rêves accompagnant l'extension de l'usage des nouvelles technologies serait de permettre "la disparition totale des obstacles à la communication généralisée, en particulier ceux qui résultent de la diversité des langues" bien que l'idée même d'un idiome universel soit incompatible avec des peuples ayant des moeurs, sentiments, références morales et imaginations différentes.
Sans parler de l'évolution de la syntaxe, la formation des néologismes nous éclaire sur la novlangue. Il y a ceux qui traduisent l'apparition d'objets ou de concepts nouveaux (chimiothérapie, téléchargement, scanner, console de jeux, ...), ceux qui précisent des concepts qui n'avaient pas été jusque là identifiés autrement que par des périphrases (biodiversité, convivialité, immuno-déficience, ...) et enfin ceux qui, désignant des réalités anciennes, relèvent du politiquement correct (
Diderot n'a pas écrit sa "Lettre sur les aveugles" pour les mal-voyants...) ou expriment autrement une notion ancienne (fracture sociale, devoir de mémoire, tolérance zéro, etc.). Insidieusement, quasi insensiblement, le vigneron est devenu viticulteur, le paysan a laissé sa place à l'exploitant agricole et l'exubérante prodigalité de la nature est devenue la biodiversité.
On suppute qu'à l'origine les langues ont traité des objets et des sentiments car l'homme n'a pas commencé par raisonner, mais par voir, identifier et ressentir. de nos jours, on peut entendre "j'ai bugué" sans se tromper sur le sens : désormais les machines parlent aux hommes.
Je vous laisse découvrir ce que ce riche essai avance sur la traduction, le génie de la (nov)langue française et apprécier (ou non) l'euphorie qui gagne l'auteur lorsqu'il avance que se réalise sous nos yeux le rêve d'
Alfred Jarry : "la poésie de l'hypertexte mondial est un fleuve à haut débit, majestueux et fertile".
Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ; chacun de nous contribue à l'extension de la novlangue, c'est-à-dire à l'évolution du français. Notre dialogue avec les machines, déjà entamé, se terminera-t-il par un dialogue de sourds ou par un enrichissement mutuel ?
PS-
Jaime Semprun utilise fort correctement l'archéolangue pour donner son point de vue sur celle qui s'y substitue progressivement.