Jacques Serguine
EAN : 9782070258826
260 pages
Gallimard
(05/09/1962)
3.57/5
7 notes
Mano l'Archange
Résumé :
Quatrième de couverture - Manuel da Silva, treize ans, et sa sœur Jos, qui en a onze, vivent dans un domaine isolé. Mano est d'une rare beauté : un « archange ». Le frère et la sœur s'aiment au sens plus fort du mot. Dans la campagne d'Île-de-France, qui ressemble à un paradis, Manuel rencontre une jeune fille plus âgée, Bérénice, et devient son amant. Mais ce nouvel amour n'empêche pas l'enfant de se consacrer à sa sœur et, avec elle, d'ignorer le monde.
On en arrive toujours là : ne pas vouloir, ne pas pouvoir mentir parce que c'est illogique, parce que c'est contraire à l'ordre, à tout ce qui est présent, à tout ce qui est vivant, et être obligé de mentir. Ne pas juger ceux que l'on aime, par confiance, pour ne pas risquer de leur faire du mal, et, pourtant, ne pas refuser de les juger, parce qu'on ne peut aimer vraiment ce que l'on ne connait pas tout entier.
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On s'aperçoit qu'on peut juger quelqu'un et l'aimer en même temps. L'aimer parce qu'on le juge, et le juger parce qu'on l'aime, c'est-à-dire l'aimer tout entier. C'est peut-être parce qu'on ne les aime pas assez qu'on n'ose pas juger les gens.
La main de Jos se détacha du cou de Manuel, suivit son torse et son flanc nus, épousa un instant l'angle arrondi de la hanche, puis descendit dans le creux du corps, le reconnut, et enveloppa étroitement le sexe. Prisonnier de la main de l'enfant, Manuel sentit une pulsation foudroyante heurter son ventre, encore et encore, en même temps qu'un bonheur âpre disloquait sa poitrine. Il eut envie de mordre à pleines dents la joue veloutée, les lèvres adorables. Mais ce n'était pas possible, et il serra fermement les dents sur son bonheur.
Les gens vous forcent à déformer le sens des mots, alors que déjà on a besoin des mots que parce que les êtres déforment les choses. Les gens vous forcent à mentir, à vous renier vous-même.
Le mot tristesse n'a pas de sens. Manuel n'était pas triste. Tout ce qui évoque une contrainte donne envie de se battre, et penser à se battre, c'est penser à sa propre force, au jeu de ses muscles, à son orgueil ; à l'air et à la lumière ; à quelque chose d'heureux. Ce que l'on ne peut comprendre, c'est que ce soient ceux qu'on aime qui contraignent à se battre. A se battre contre eux, c'est-à-dire contre soi-même.
Il sourit aux grands yeux couleur de lilas, au petit nez fronçé, au corps bruni, gracile sous le pyjama d'emprunt. Les longs cheveux blonds et moirés comme du miel, coulaient jusqu'aux épaules. Il voyait distinctement les sourcils, délicats et dorés. Il pouvait deviner l'ombre des cils.
Un oiseau isolé, poignant, trembla dans le ciel, et la mer douce d'autrefois battit les plages. Puis les yeux de la petite fille, encore tournés vers lui, s'assombrirent ; elle rougit péniblement et se détourna.