Dernier volume de l'ensemble romanesque le palais des vases brisés, dans lequel nous suivons comme dans le sixième tome, les amours de Gabriel, cette fois avec Orita. Ce qui permet de comprendre le départ de Gabriel vers la France ; nous l'accompagnons une fois encore dans son séjour breton, vu sous un autre angle.
Roman de l'altérité, irrémédiable et douloureuse, de l'impossibilité de se rejoindre, de cesser d'être des âmes séparées. Roman mystique, qui se termine par un rite, le rite suprême, lié à la lumière, à la flamme dans les ténèbres. En souvenir de l'autre perdu, de soi-même aussi perdu et orphelin, mais en même temps dans le souvenir, dans le rite, une consolation, le souvenir, fantomatique, qui devient plus vivant que le moment vécu, le réel qui au final n'est que la source, la possibilité du souvenir, et de tout un imaginaire, en perpétuelle construction, dans un mouvement, dans un flot sans fin.
Un beau volume, qui clôt ce cycle de sept romans, riche et complexe. Pour en faire un petit bilan, j'ai été complètement conquise par les trois premiers tomes, et la deuxième moitié du quatrième. le cinquième, trop à charge pour le personnage de Léa m'a un peu déçu. Les deux derniers tomes, sont d'une d'une tonalité différente, on passe du narrateur, assez impersonnel au demeurant, une sorte de scribe plus qu'un vrai personnage, à la troisième personne, et à Gabriel. Et le ton aussi change, plus mystique et lyrique, sans oublier la touche d'érotisme. Cela surprend, ces ruptures, mais au final l'auteur a bien le droit dans son oeuvre monde, qui cherche à embraser, à en passer par ces discontinuités.
Une lecture vraiment marquante pour moi, une découverte surprenante, d'une oeuvre top peu connue.
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Maintenant, après avoir lu cet article, il aurait pu poser à ce fameux savant une grande question : «Et le cerveau? Ce cerveau que vous avez opéré tant de fois, avez-vous trouvé dans ses cellules et dan ses tissus une pensée? Avez-vous trouvé là une seule idée? Et dans tous les corps et tous les cadavres, avez-vous trouvé un seul souvenir, un seul sentiment - amour ou haine, jalousie ou amitié, joie ou tristesse? Et si, moi, j'opérais votre coeur, y trouverai-je votre grande colère contre tous ces prestidigitateurs qui abusent l'oeil, brouillent le jugement, contre tous ces imposteurs qui ont propagé dans le monde entier le grand mensonge sur l'existence de quelque chose qui s'appelle une "âme"? Non, non, mon ami, le grand savant fameux - je n'aurais trouvé dans votre coeur ni colère, ni joie, ni amour, ni haine, ni aucune de vos caractéristiques particulières, et pas un grain de la grandeur de votre personnalité, seule et unique à votre avis, dont vous vous enorgueillissez - je n'aurais trouvé dans ce morceau de chair que ce qui se trouve dans les autres, dans le coeur de Léonora ou de n'importe quel chat - de la chair et du sang.»
"Cette maladie s'appelle le jazz", s'écria Gabriel et, sautant de sa chaise, il se mit à danser avec solennité, scandant des pieds, avec une exagération voulue, les rythmes qui montaient du café.
L'éclat de joie de vivre et le flot d'amour se transforment en vagues de colère écumantes qui se brisent sur les rochers d'un rivage ennemi comme il était arrivé alors dans le restaurant de la rue Agrippas quand Orita, l'arrêtant d'une tape énergique et décidée, avait coupé court net le jaillissement de désir qui l'attirait vers elle pour lui donner un baiser.
Le cierge solitaire dans son coin protégé continuait à faire monter tout droit sa flamme en forme de poire. Gabriel retourna s’asseoir sur l’escabeau et s’enroula dans une couverture pour contempler la flamme au bruit des vagues qui explosaient sur les rochers au-dehors. À nouveau, dans les mugissements du vent, se mêlaient des bribes de voix humaines, des cascades de rires enfantins qui réchauffent l’âme mais, cette fois, il ne se précipita pas dans la tempête. Le cœur serré, il demeura assis à l’abri des murs pour savourer la sérénité dispensée par la petite langue de feu chaleureuse, séparée du bruit et de la fureur déchaînés sur le monde et pour jouir du feu d’artifice dont les couleurs brillantes éclataient tout en haut, illuminant de leur scintillement l’obscurité du dôme de l’âme.
Dire qu'avec tout cela, en dépit des cinq cent mille saveurs de l'arbre de la vie, des huit cents espèces de roses et des soixante mille anges de service, il manquait l'essentiel.