Ce livre nous propose deux pièces ultra célèbres de
Shakespeare pour lesquelles j'ai deux ressentis très différents. Tout d'abord le fameux Songe D'Une Nuit D'Été qui fut d'une cruelle déception pour moi : des fleurs d'amour, des sortilèges, des quiproquos assommants…
Je ne suis vraiment pas cliente pour ce genre de pièces et j'ai pour principe de considérer que quand une comédie, à aucun moment, ne me fait rire, ni même sourire, selon mes critères, c'est une comédie ratée.
J'ai le sentiment que si un esprit malveillant s'amusait à gommer le nom de la pièce et celui de son auteur, tous deux passés à la postérité, peu sont ceux qui s'émerveilleraient de ce spectacle rendu anonyme ou s'il était l'oeuvre d'un inconnu. Je suis prête à prendre les paris que beaucoup s'y ennuieraient ferme.
Bien sûr, ce n'est que mon avis mais je sais aussi qu'il existe une espèce de snobisme — souvent inconscient d'ailleurs — qui consiste à s'extasier quand on assiste à une représentation théâtrale ou orchestrale d'un auteur ou compositeur célèbre (j'ai en tête un certain concert de Joseph Haydn et une certaine représentation de la Cantatrice Chauve mais bon, peu importe) et à regarder d'un oeil dédaigneux ceux qui ne goûtent pas ce plaisir, voire à les prendre pour de sombres ignares. Je sais en outre que certains y prennent authentiquement du plaisir car la diversité des opinions et sensibilités est quasi sans limite. Je sais et j'ai expérimenté tout ça. Pensez ce que vous voudrez. J'ai dis combien j'aimais certaines tragédies de
Shakespeare, je dis combien cette pièce-ci m'endort et présente peu d'intérêt à mes yeux.
Donc, pour celles et ceux qui ne sont pas sujets à la narcolepsie, sachez que la pièce se déroule en Grèce à l'époque héroïque de Thésée et d'Hippolyta, la reine des Amazones. Ces deux-là ont échafaudé de se marier mais comme l'intrigue a besoin de sel,
Shakespeare a imaginé de former deux ou trois autres couples boiteux histoire de compliquer la donne.
Ainsi, Lyssandre aime Hermia, fille d'Égée, et elle l'aime aussi. Tout va bien alors ? me direz-vous. Non, pas tout à fait, car Égée, lui, ne veut pas entendre parler de Lyssandre et n'a d'yeux que pour Démétrius, ce qui, évidemment, n'est pas du tout du goût d'Hermia. Et ce n'est pas tout, car Démétrius était au préalable amoureux d'Héléna, la meilleure copine d'Hermia, avant de changer de cap et de lorgner sur cette dernière. Mais elle, Héléna, est restée raide dingue de Démétrius. Vous me suivez ? Et comme si tout ça n'était pas suffisant, il y a aussi de l'eau dans le gaz chez les Fées !
Obéron, le patron des farfadets, trolls et autres sortilégineux se prend le bec avec sa bourgeoise Titania, la taulière des elfes & fées. du coup, Obéron, qui a plus d'un tour dans son sac, se dit qu'il va faire mettre un coup de fleur d'amour dans le nez à Titania pendant son sommeil. Au passage il demande à Robin, son homme de main, de mettre aussi un p'tit coup de fleur à Démétrius, histoire qu'il regarde à nouveau plaisamment Héléna à son réveil.
C'est là qu'intervient la scène censée être d'anthologie où Titania se réveille et tombe en pâmoison devant un gugusse à tête d'âne. Rrrrr ! Zzzzz ! Rrrr ! Zzzzz ! [ceci symbolise les " elffets " du sortilège d'Obéron sur moi]
Cependant, vu qu'Obéron donne à Robin des instructions claires comme du jus de boudin, l'autre, pas plus consciencieux qu'il ne faut, badigeonne des grands coups de fleur d'amour à… Lyssandre ! Aaah ! La gaffe ! Ouh, là, là ! Ça va être dur à rattraper un coup comme ça ! J'aime mieux vous laisser découvrir la suite par vous-même.
Faut-il encore que je vous parle d'une troupe de comédiens amateurs qu'essaient à tout prix de faire une pièce pas drôle, et que c'est vraiment pas drôle de les voir faire leur pièce pas drôle… Zzzzz ! Rideau. Bon, à l'extrême — extrême — rigueur, on pourrait supputer une toute petite once d'intérêt à la réflexion de l'auteur à propos de l'éphémère sensation qu'est l'amour en nos vies… Ouaip. Vous aviez sans doute besoin de ça pour avancer ? Bon, en ce qui me concerne, la pièce a des vertus soporifiques intéressantes en cas d'insomnie. À vous de voir ce que vous pourrez en faire.
Passons, sans plus tarder, à
Othello, une pièce qui, elle, m'a enthousiasmé. À mes yeux, c'est une tragédie sublime, propre à susciter les plus vives émotions chez le spectateur. Même si je ne pense pas que le spectateur moderne puisse encore aller fréquemment jusqu'aux larmes, à la tristesse ou à l'abattement, il peut probablement aller jusqu'à l'indignation.
Une forte indignation intérieure devant cet infâme complot de cet infâme Iago, sorte de copie du Maure de
Titus Andronicus. Notre sens inné de la justice, même non formulé, même fort enfoui, même inconscient, même volontairement muselé, ne peut que s'insurger face à une telle ignominie, et c'est précisément ce sentiment que recherchait
William Shakespeare et qu'il arrive à faire éclore admirablement, aujourd'hui comme hier et pour des siècles encore.
De multiples interprétations peuvent rendre compte d'
Othello. On y a souvent trouvé une certaine énigme dans son titre car le protagoniste principal semble bien davantage Iago qu'
Othello. Il est vraiment clair, d'un simple point de vue statistique, que Iago monopolise la scène et qu'
Othello n'est presque qu'un personnage secondaire, comme tous les autres d'ailleurs. C'est indéniable.
Par contre, si l'on se penche sur la signification, sur ce qu'a voulu exprimer
Shakespeare, là le titre commence à prendre toute son envergure. Car c'est bien à la place d'
Othello que l'auteur souhaite nous placer, et non à la place de Iago. C'est bien l'oeuvre de Iago sur
Othello qui indigne et non les motifs intimes du fourbe qui présentent un intérêt.
Le message, du moins l'un des messages possibles de cette oeuvre, est le noircissement. Je ne blague pas, et le fait que
Shakespeare ait choisi un personnage noir comme héros d'infortune n'a sans doute rien d'hasardeux. L'apparence. Celui qui semble noir l'est-il bien réellement ? Tous. Tous semblent noirs à un moment ou à un autre : Cassio, Desdémone,
Othello. Tous noirs et pourtant tous innocents. Malgré tout, on jurerait, selon l'angle où ils sont présentés les uns aux autres, qu'ils sont coupables.
C'est probablement ça, le plus fort du message que souhaite nous donner en pâture l'auteur. Honni soit qui mal y pense ! Il est si facile de nuire, si facile de noircir, si facile de truquer, si facile de faire dire autre chose aux faits pris indépendamment ou hors contexte. C'est cela que semble nous dire
Shakespeare. Les apparences sont parfois contre nous et d'autres semblent blancs comme neige, et pourtant… et pourtant…, pourtant, quand on sait tout le fin mot, vraiment tout, la réalité est souvent loin des belles apparences et ce que l'on croyait simple, net, tranché, évident, ne l'est plus tant que cela.
Othello d'emblée est noir, ce qui jette sur lui une indéfinissable suspicion aux yeux des Vénitiens. (Au passage, je précise qu'à l'époque de
Shakespeare, une femme bronzée par le soleil estival est aussi jugée fort laide de par son bronzage.) Tout prétexte sera bon s'il fait le moindre faux-pas. Cassio est un beau subordonné prometteur, donc il est douteux. Desdémone est une noble Vénitienne blanche entichée d'un noir, donc c'est nécessairement une putain. Autant de raccourcis faciles mais que nous avons tous tendance, consciemment ou inconsciemment, à commettre ici ou là.
L'histoire a donné plusieurs fois raison à
Shakespeare. (Rien qu'en France, au XXème siècle, des Juifs, des Maghrébins en tant que groupe ou des individualités comme Guillaume Seznec ont tous fait l'objet d'accusations plus ou moins calomnieuses ou bâties de toute pièce, basées sur des a priori ou des apparences qui leur étaient adverses. Je ne parle évidemment pas de tous les endroits du monde et à toutes les périodes depuis
Shakespeare, car il y aurait de quoi remplir tout Babelio avec.)
Si l'on cherche des fautes à quelqu'un, on en trouvera nécessairement. Si l'on sait habilement les mettre en lumière, leur donner d'autres apparences, attiser le vent de la vengeance, mobiliser la justice à son avantage, n'importe qui peut être traîné dans la boue ou commettre l'irréparable.
Quels sont les mobiles de tout cela ? L'auteur reste très discret et très flou sur les motivations de Iago. Cela semble tourner autour de la jalousie, de l'orgueil bafoué, de l'envie inassouvie, du complexe d'infériorité.
Intéressons nous encore quelques instants à Iago. Ce qui est frappant dans le texte, dans les qualificatifs qu'on lui attribue, c'est le nombre de fois où reviennent, les adjectifs noble, honnête, fidèle, courageux, droit, fiable, vertueux, etc. Encore une fois, si l'on se place à l'époque de
Shakespeare pour tâcher d'y voir plus clair, la meilleure explication, la principale justification à cette pièce est l'admirable travail de sape réalisé par les puritains à l'égard du théâtre élisabéthain.
Iago, dans cette optique, est donc le symbole du puritanisme ;
Othello, le noir à qui l'on fait commettre des abjections ne saurait être autre que
Shakespeare lui-même, Cassio, représenterait alors quelque autre auteur contemporain de
Shakespeare comme
Christopher Marlowe ou
Ben Johnson. Les abjections des uns et des autres sont les écrits vils qu'ils étaient obligés de pondre, pamphlets notamment, simplement pour pouvoir gagner moindrement leur vie. Desdémone, celle qui est totalement innocente est qui est sacrifiée serait alors la déesse aux cent bouches, à savoir le public, qui fait les frais des fermetures de théâtres sous la houlette des Puritains.
Voilà le type de message que je vois dans
Othello, la dénonciation de la calomnie à l'égard des dramaturges honnêtes qu'on accuse de toutes les perversions, mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose. le mieux que vous ayez à faire, c'est encore d'ouvrir ce livre et de vous en faire votre propre opinion.