Vandana Shiva est une femme remarquable. Je l'ai déjà dit et je ne manque pas l'occasion de le répéter. Même si sa notoriété a progressé en France – on lui a donné la parole entre autres, dans de nombreux documentaires connus du grand public – on ne lui consacre sans doute pas encore toute l'attention qu'on devrait lui accorder.
Cet ouvrage, « Restons
vivantes » est important car il constitue en quelque sorte un retour aux fondamentaux, au socle de sa conception originale de l'éco-féminisme. On découvre dans ce livre, publié pour la première fois en anglais en 1988, tous les éléments qui caractérisent sa pensée. Ainsi que le précise l'intéressante introduction de
Jeanne Burgart Goutal, il faut tenir compte de cette chronologie et remettre l'oeuvre à sa place dans les écrits de cette philosophe. Bien des thèmes qui apparaissent ici ne sont qu'ébauchés et seront repris, par la suite, dans des livres où ils sont parfois mieux argumentés ou plus développés. J'ai trouvé originale cette introduction dans laquelle on prévient les lectrices•teurs du fait que certaines des données sur lesquelles s'appuie l'auteure sont maintenant dépassées, ou trop rapidement dépeintes. Tout ce qui est dit dans « Restons
Vivantes » n'est pas forcément « parole d'évangile » mais doit être relativisé, ou plutôt enrichi, en tenant compte de ses écrits postérieurs, incontournables.
Ce serait malhonnêteté ou – au minimum – maladresse, de balayer son oeuvre d'un revers de main, comme l'on fait certains critiques anglo-saxons, en la qualifiant parfois de manichéiste voire même de réactionnaire. Avant de porter un tel jugement, mieux vaut connaître le sens qu'elle donne à certains de ses propos – sens qui ne fait pas référence forcément aux mêmes concepts que ceux que nous avons l'habitude d'employer. Pour nous aider dans cette démarche de compréhension,
Jeanne Burgart Goutal a ajouté, en fin d'ouvrage, un important chapitre de notes. Celles-ci constituent un addenda important dans le sens où elles permettent d'avoir une vision plus pondérée des propos parfois trop tranchés, énoncés par
Vandana Shiva. L'auteure de la préface (et de ces annotations) rappelle qu'il s'agit avant tout d'un ouvrage politique, militant et polémique, et proposant des axes de propagande et de combat, plus que d'un ouvrage scientifique destinés à ses pairs. Son oeuvre ne s'est pas arrêtée là et il faut le dire. Ne pas oublier de lire « 1% » ou « La vie n'est pas une marchandise » par exemple.
Comme je l'ai dit auparavant, on trouve au fil des pages que l'on découvre un certain nombre des idées forces de l'auteure. Un long argumentaire est consacré à l'alimentation et au rôle essentiel joué par les femmes pour préserver l'autonomie alimentaire et permettre la subsistance des populations locales dans les pays en voie de développement, et l'intervention du « capitalisme patriarcal et colonial » pour détruire cette autonomie. Pour ce faire elle rappelle un certain nombre de faits essentiels. La lutte contre le contrôle des semences et le brevetage du
vivant par les Multinationales va constituer l'un des axes du combat qu'elle va mener, en Inde, grâce au mouvement Navdania, et sur le plan international, en utilisant toutes les tribunes médiatiques qui veulent bien lui accorder de l'attention. Un travail de Titan auquel cette femme a investi une énergie aussi considérable qu'admirable ces dernières années.
J'ai trouvé particulièrement intéressante l'évocation du mouvement « Chipko » au pied de l'Himalaya pour assurer la sauvegarde des forêts communautaires contre l'exploitation par les compagnies forestières.
Vandana Shiva explique de manière très pédagogique la façon dont les différentes réformes « sociales » introduites n'ont qu'un seul but c'est de remplacer les forêts primitives par des plantations d'arbres, toujours plus sélectionnés, toujours plus toxiques pour l'environnement, mais ayant pour qualité essentielle de fournir de gros volumes de bois d'oeuvre.
Bien que prévenu par l'introduction, j'ai trouvé lassants et un peu réducteurs certains schémas de pensée. Pour résumer, tout ce qui est toxique provient des hommes (patriarcat, masculiniste, sont employés un nombre incalculable de fois) ; tout ce qui est bon provient des femmes. J'avoue aussi avoir accéléré un peu sur certains passages que je trouvais redondants.
Mais pour terminer et résumer mon propos, quelle mine d'informations ! Quelle belle introduction à l'oeuvre de
Vandana Shiva. A lire en premier sans doute, en tenant compte des réserves exprimées par
Jeanne Burgart Goutal, puis s'intéresser aux ouvrages plus récents de l'auteure. Cette démarche me paraît préférable à la mienne, conditionnée par les choix éditoriaux français, consistant à lire ce livre après tous les autres. le plaisir éprouvé est sans doute moins grand.