On quitte ce livre comme on sort d'un théâtre, un théâtre bien particulier et tellement cher à l'auteur. Retour en Yiddishland, rue Krochmalna, Varsovie, début du XXe.
La rue pourrait s'appeler rue de la Juiverie. Loin des quartiers des gentils, elle offre une composition interlope et touchante d'une humanité singulière coincée entre ses devoirs envers Dieu et des appétits fort peu cashers.
Max et Flora, partis en Argentine où ils ont fait fortune dans une fabrique de sacs pour dames et, accessoirement, dans la gestion d'un bordel de bel envergure, rentrent au pays pour y retrouver leurs vieux amis Meir et Leah, mais aussi pour renouveler le cheptel du dit bordel.
Ce retour aux origines est l'axe autour duquel la pièce va se jouer. Il faut dire que nos deux héros ne sont pas très reluisants. Si leur amour semble forgé dans l'airain, leur duperie respective est sans limite.
I.B. Singer porte un regard tendre mais sans concession sur ses personnages.
Par exemple, Max est veule. S'il maîtrise toutes les trahisons et porte un regard désabusé sur la gente féminine, il n'en supporte pas l'émancipation. Alors, Max porte un révolver, décidé à tuer toutes celles qui le trahiraient, ou, à tout le moins à se tuer lui-même... Mourir ou fuir semblent être les seules options de Max, juste avant de sombrer dans un auto-apitoiement pathétique.
I.B. est décidément un formidable conteur. On écoute son histoire le sourire aux lèvres, conscients toutefois du profond pessimisme qui l'habite, lui qui a fait du Yiddish l'écrin d'une humanité décimée. Un écrin chatoyant qui dissimule pourtant "une peine aussi ancienne que la nation d'Israël ".
Cet inédit de Singer était initialement paru sous forme d'épisodes dans les années 70.
Édité pour la première fois en volume, il compose un témoignage précieux d'une "vie d'avant" dont l'incipit pourrait être :
" Les fantômes aiment le Yiddish. D'après ce que je peux savoir, tous le parlent...".