AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,08

sur 3041 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Je savais, avant même de commencer cette lecture, qu'elle ne serait pas évidente, au vu du sujet abordé. Les retours des Babelpotes ont pourtant tôt fait de me convaincre. Il n'était pas prévu dans l'immédiat mais je suis tombée dessus vendredi dernier à la bibliothèque. Je ne m'y attendais pas, car il faut dire que je ne m'étais même pas donné la peine de me renseigner sur sa disponibilité, persuadée d'y trouver une longue liste d'attente, ce qui est toujours le cas pour les livres classés dans le Top 20 des ventes (et lui, il y est depuis plusieurs semaines) et qui ont reçu certains prix "à la mode" (prix Femina et Goncourt des Lycéens notamment pour ce livre). Mais voilà, il était là, bien mis en évidence parmi les derniers acquis, qui me tendait les bras (s'il en avait eus, c'est ce qu'il aurait fait, j'en suis sûre).

Et je suis bien embêtée maintenant car je ne sais comment démarrer ce billet. Ce livre parle de l'inceste et de viols d'enfant, de ce que Neige Sinno a subi de ses 7 à 14 ans par son beau-père. Mais elle n'en parle pas vraiment comme un "vrai" témoignage, j'ai davantage eu l'impression d'avoir lu un essai. Ou si c'est un témoignage, qui se démarque de ceux que j'ai pu lire jusque-là en tout cas. Et c'est donc là toute ma difficulté à en parler, car je ne sais comment l'aborder.

Neige Sinno est claire : elle n'écrit pas ce livre parce qu'elle a besoin de mettre ses maux en mots, ce n'est pas un exutoire, ce ne sont pas des confidences. Pour protéger les autres enfants ? Pour démontrer que le sujet est toujours d'actualité ? Peut-être, sans doute, elle-même n'en est pas sûre.

Mais elle l'a écrit et si elle l'a écrit, c'est que d'une certaine manière, elle en avait quand même besoin, quoiqu'elle en dise... Mais ce n'est que spéculation de ma part, je retarde le moment où il me faudra bien parler du fond...

Il y a des retours de lecture faciles à rédiger, où les mots coulent tous seuls, sans que j'ai besoin de trop réfléchir (de ceux où je surveille plus mon orthographe qu'autre chose, parce que je sais à l'avance ce que j'ai à en dire). D'autres, en revanche, sont d'une prise de tête...

Mais allons-y...

"Triste tigre" n'est pas un témoignage comme les autres, parce qu'elle parle rarement d'elle en tant qu'enfant violée. Elle essaie davantage de se mettre à la place de son violeur, de trouver des réponses et des explications quant à ses comportements. Un peu comme une recherche psychologique ou une étude comportementale, elle cherche des références sur lesquelles s'appuyer, réelles comme fictionnelles. Elle a beaucoup lu sur ce sujet, et c'est une des premières choses que l'on remarque à la lecture de son livre.

Il va de soi que, n'ayant pas vécu ce qu'elle a vécu, je ne peux que l'imaginer, non pas imaginer les violences sexuelles à répétition sur une petite fille (ça, ce n'est pas dans l'ordre du pensable), mais du moins imaginer l'enfant qu'elle était, ainsi que l'après jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à sa décision d'écrire ce livre. Mais difficilement quand même, car elle ne s'appesantit pas trop sur ses ressentis et sa "reconstruction" (si la reconstruction est possible). Non, même si elle est bien le personnage principal de son livre, tout est centré sur son bourreau et ses tentatives d'éclaircir ses différents comportements (vis-à-vis d'elle et des autres d'ailleurs).

Neige Sinno ne cherche pas à répondre à la question « Pourquoi moi ? ». Elle aimerait pouvoir répondre à la question « Pourquoi lui ? ». Là est en fait la raison première d'avoir écrit ce livre [je viens de le réaliser à l'instant, alors que je mettais un point final à ce retour].

Et elle nous emmène sur ce terrain, glissant, et y réussit plutôt bien. Déjà autrice, elle n'en est pas à son premier livre et on le sent à sa plume affûtée et argumentée.

J'ai l'impression de tourner autour du pot. Je n'arrive pas à dire ce que je voudrais en dire, les mots ne me viennent pas aussi facilement que d'habitude. Voilà presque une heure que je retourne mes phrases et modifie certains mots, sans en être satisfaite pour autant. Tant pis, je m'arrête là. Je pense en avoir dit l'essentiel, même si je ne le dis pas comme je le voudrais.

Neige Sinno parle d'un sujet dur et certainement encore tabou, mais ce témoignage n'en étant pas vraiment un, la lecture n'est en fait pas difficile, utile oui mais pas difficile. Lisez-le, je suis sûre que vous ne le regretterez pas.
Commenter  J’apprécie          9828
Entrer dans la tête du bourreau, analyser son histoire, montrer combien il est fort, sympathique, sportif, et même presque un dieu pour la petite fille de sept ans dont la mère se remarie après un drame. Essayer de comprendre son ingénuité, les histoires qu'il se raconte pour justifier ses actes. Un bourreau se croit toujours innocent, et celui de la petite Neige la viole au nom de l'amour, pas moins, et reprends tranquillement le cours de la journée. Voilà une des grandes énigmes de l'humanité : l'existence du mal.
Et de sa banalité (ainsi que Hannah Arendt le constatait au procès Eichmann).
 « Les criminels ne correspondent pas à nos attentes, » dit Neige.
L'enfant de sept ans sait que c'est mal de toucher certains endroits du corps, que, s'il entre son sexe dans sa bouche dans le silence et l'obscurité, c'est qu'il se ment à lui-même, mais elle -même reste pétrifiée, incapable de le dénoncer et de sortir de son rôle de victime. Car, dit-elle ensuite «  il existait entre nous une intimité extrême, que ne peuvent connaitre que les victimes et leurs bourreaux ».
Car le viol n'atteint pas « seulement »  le sexe, c'est l'image de soi qui est brisée, et qu'en pervers sadique, il veut détruire, en annihilant l'innocence : «  à travers la domination, la torture, atteindre la vie même ».
Neige Sinno s'analyse elle-même : son livre n'est pas une confession, ni un aveu, bien sûr, mais un témoignage. Elle énumère les raisons qu'elle a de ne pas écrire ce livre, qu'elle écrit pourtant.
A ce moment du Triste Tigre, je commence à me douter d'une pensée pas très logique.
L'auteur affirme vouloir faire autre chose que d'écrire sur le viol, pourtant elle le fait, et critique la notion la résilience, dont elle semble haïr le mot en en ignorant le sens.
J'y reviendrais.
Le livre qu'elle est en train d'écrire peut-il aider d'autres personnes ? peut-il l'aider, elle ? Non, dit-elle.
L'écriture thérapeutique la dégoûte, l'écriture tout court ne la pas aidée. Et pourtant, elle note peu avant qu'une victime, lorsqu'elle écrit, signe le fait qu'elle est déjà sortie de l'enfer.
Ces deux concepts sont finalement liés quant à l'utilité de la littérature et de la résilience :
1- L'écriture : plusieurs fois, l'auteur se demande si on peut encore écrire après Auschwitz. Elle ne cite pas Adorno, le premier qui en a nié la possibilité, alors que les noms de Soljenitsyne, Primo Levi, Imre Kertész, qui justement ont écrit sur les camps de la mort, prouvent que l'écriture doit servir.
Gunther Grass prit le contre-pied de l'affirmation d'Adorno, et, s'il lisait Neige Sinno, dirait sans doute : nier l'utilité de l'écriture revient à un jugement « contre nature », presque comme si l'on voulait interdire le gazouillement des oiseaux.

2- La résilience, dit Neige Sinno, serait se croire surhomme, avec l'idée sous-jacente que ceux qui ne s'en sortent pas sont condamnables, ce qui voue la victime à la culpabilité.
Or la résilience, n'est-ce-pas plutôt échapper au désespoir, à la dépression. Il ne s'agit pas d'oublier le traumatisme, tout le monde le comprend, il ne s'agit pas de pardon.
Or, curieusement, l'auteur décrit exactement la résilience, le bonheur qu'elle a de se cacher dans les herbes hautes, la liberté de courir dans les rivières de montagne, toute une enfance heureuse : exactement la résilience. Tout ce qui lui a permis de survivre sans revivre encore et encore son traumatisme. Non pas l'innocence oublieuse, mais le fait de vivre des instants de bonheur.

3- Enfin, alors que les dictateurs ,que les agresseurs, que les violeurs incarnent le mal avec sa banalité, Neige s'insurge sur la vie normale des victimes, après le «  martyre et ensuite le chemin de croix de la guérison. », alors qu'elle ne veut absolument être vue comme une victime.
Neige Sinno reconnait les errements de sa pensée : «  Ma pensée n'est pas rigoureuse. Elle s'emballe, elle s'enivre et se met à faire délirer les éléments à sa portée ».

Comment ne pas comprendre, et comment ne pas saluer le courage, les doutes, l'écriture d'une femme violée dans l'obscurité de la conscience pendant des années, acculée au silence, et parlant de l'inceste, dont il y a 150 ans Barbey d'Aurevilly déplorait que ce phénomène plus que fréquent, ne fasse pas l'objet de la littérature.



Commenter  J’apprécie          7333
Neige Sinno revient sur le drame de sa vie , une enfance volée par un beau père incestueux de ses 7 ans au milieu de son adolescence, vers 14 ans . Après l'enfance, c'est toute la vie qui est volée , il n'y a pas moyen de sortir cet état de fait, quoi que la vie de l'auteure devienne, quoi qu'elle fasse pour essayer d'exorciser l'inqualifiable.

C'est incontestablement un livre choc , qui traite de l'inceste d'une façon un peu différente que ce que j'ai pu lire sur le sujet. L'auteure s'interroge sur sa vie , ses choix , fallait il dénoncer ? Que faire pour culpabiliser son bourreau ?
Elle évoque le long chemin périlleux des victimes et toute la difficulté à faire admettre à la société la culpabilité . Elle, elle a eu de la "chance", son beau père ne nie pas les faits.
Le questionnement sur soi est poignant, les incursions dans le monde littéraire avec ses exemples de Virginia Woolf à Zola sont instructives.

Mais voilà, après un premier tiers de livre d'une rare intensité , où tout est exposé sans aucun voyeurisme inutile, où l'on comprend que l'auteure devra vivre avec son traumatisme ad vitam æternam, que les violeurs présentent généralement des circonstances atténuantes aux yeux des non supplicié(e)s, que la reconstruction aussi courageuse et réussie soit elle ne s'achèvera jamais, il m'a semblé plus ou moins tourner en rond et finalement attendre la fin avec impatience , mais pas la bonne .
Cela restera cependant à mon avis un livre nécessaire sur le sujet.
Commenter  J’apprécie          651
Ayant entendu ce titre intrigant avec ce joli nom de Neige Sinno, je décide de le lire. Dès les premières lignes on est dans le vif du sujet avec ce sous-titre Portrait de mon violeur. Sept années de souffrance pour Neige qui subira les assauts de son beau-père. Certains passages font violence au cerveau du lecteur. Petit paradoxe : Triste tigre est interdit dans un Lycée de ma ville de naissance alors qu'il est en lice pour le prix Goncourt des lycéens. J'ai aimé la qualité de prose de l'auteur avec sa façon d'appréhender le lecteur qui donne la sensation d'être à ses côtés pour l'écriture du livre. Doit-elle mettre je ou elle ? de nombreuses références à des ouvrages que j'ai lu aussi. Elle y cite ceux qui en ont souffert comme Ponti, Despentes, Woolf... Un enfant sur dix subit l'inceste. Un pour cent de condamnés. Sept années de viols qui laisseront des cicatrices inguérissables tandis que son bourreau, lui, s'est remarié et a refait quatre enfants (chercher l'erreur). Cet ouvrage a l'avantage d'analyser et de questionner avec une autrice intelligente et littéraire. Quel prix aura-t-elle ? Et surtout arrivera-t-elle à faire diminuer ce chiffre de 10 % ?
Commenter  J’apprécie          615
«Dans la famille, il était tout-puissant»

Livre-choc, témoignage glaçant, recherche littéraire et tentative d'explication : Neige Sinno raconte les viols commis de 7 à 14 ans par son beau-père et va chercher par l'écriture une explication à l'inceste. Un récit aussi bouleversant que salutaire.

«Je l'ai longtemps perçu comme un démiurge, un être plus grand que nature. Il m'apparaissait comme une créature mythologique, un Sisyphe, un Prométhée torturé par des démons. Plus tard, avec le recul, je me suis dit que c'était peut-être simplement un pauvre type qui avait le don de la manipulation et qui a profité de la vulnérabilité d'encore plus faible que lui. Dans le monde clos de la famille, il était tout-puissant.» C'est par le portrait de son bourreau que commence ce récit d'inceste que l'on n'ose nommer un roman tant il est précis dans la description, tant il est dramatiquement autobiographique.
C'est leur passion commune pour la montagne qui va rapprocher sa mère et son beau-père. Nous sommes en 1983, «il a vingt-quatre ans. Ils sont ensemble dans une formation pour accompagnateurs en moyenne montagne. Il est grand, sportif, sympathique.» Elle décide de s'installer avec lui dans les Hautes-Alpes où ils ont déniché une maison à retaper, accompagnée de ses «deux filles avec des prénoms de contes de Grimm, Neige et Rose, six ans et quatre ans». Ils vivent d'expédients, de stages en montagne et de travaux de ménage pour elle, de chantiers pour lui. Mais cette précarité ne leur déplaît pas vraiment, eux qui ont gardé un côté hippie. Ensemble, ils font «assez vite deux nouveaux enfants, un garçon puis une fille».
C'est au sein de cette famille nombreuse que se noue le drame. Neige est violée par son beau-père de façon régulière, de ses 7 à ses quatorze ans. Sous emprise et soumise à un chantage qui l'emprisonne, la fillette ne peut se défendre, ne peut se confier. Ce n'est que lorsqu'elle comprend que sa soeur pourrait fort bien être la prochaine victime qu'elle se décide à tout raconter à sa mère.
Une plainte est déposée, une enquête est menée et les faits sont établis. An l'an 2000, le tribunal condamne son beau-père à neuf ans de prison.
Mais il aura fallu bien plus de temps pour pouvoir sortir du silence, pour oser mettre des mots sur cette histoire. Allons même jusqu'à dire pour reconnaître que ces viols n'étaient pas commis dans une vie parallèle. Car le traumatisme est tel qu'il est plus facile de la nier que de l'accepter.
Alors la narratrice choisit de ne plus être seule, elle va chercher à se placer du point de vue du bourreau, des jurés, xxx pour s'approcher au plus près de ce drame.
Alors la romancière va chercher dans ses lectures les arguments qui accompagnent sa recherche. de Lolita de Nabokov jusqu'à La Familia grande de Camille Kouchner, de Virginia Woolf, qui elle aussi a commencé à être victime d'inceste à 7 ans à L'Inceste de Christine Angot en passant par La Curée de Zola, elle va trouver des compagnes d'infortune et la force de briser ce silence qui permet à ce crime d'exister.
Car si un Français sur 10 (dont 78 % de femmes) a été victimes d'inceste en France, comme le rappelait Copélia Mainardi dans Marianne, «ce sont les prises de parole qui mettent fin à l'injonction de se taire, quitte à éclabousser du même coup tout un cercle de témoins plus ou moins complices. Et nous voilà passé du drame intime au message universel.
Avec ce style froid et tranchant, Neige Sinno nous offre bien davantage qu'un nouveau récit d'inceste. On comprend le jury du Prix Goncourt qui a placé ce livre dans ses quatre finalistes, car ici le journal intime s'ouvre sur la littérature et sur la force de l'écriture. Ce que Clarisse Gorokhoff résume ainsi: «Triste tigre va sans doute chambouler des destins et même sauver des vies - réduire l'immense "armée des ombres". Triste tigre fera date, c'est certain, d'un point de vue sociétal et littéraire, mais surtout d'un point de vue... humain.»



Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          491
Parce qu'elles sont parmi les victimes les moins protégées par la justice, parce qu'ils sont les bourreaux les moins souvent condamnés par la loi, parce que, lorsqu'il y a procès, c'est bien souvent leur parole contre celle de leur victime et parce qu'il est grand temps que les choses changent, alors, sans aucun doute, on peut dire qu'avec “Triste tigre”, Neige Sinno nous offre un texte remarquable, à la fois courageux et nécessaire.

A travers le récit de sa jeunesse et de son innocence volées par un beau-père incestueux et dominateur, l'autrice se questionne, s'interroge et nous entraîne dans ses réflexions autour du traumatisme, des formes qu'il peut prendre, mais aussi autour du statut de la victime, soupçonnée d'avoir été consentente parce qu'elle s'est tue des années durant ou parce que son corps a manifesté du plaisir sous les caresses de l'agresseur… Loin d'être voyeuriste, “Triste tigre” est un texte qui bouscule, dans lequel la langue d'une victime parmi tant d'autres se délie, parce qu'elle le peut, parce que, peut-être, son témoignage aidera d'autres paroles à se libérer.

L'écriture est simple, proche de nous et donc à la fois fluide et agréable, en contraste avec un sujet qui, lui, est tout le contraire… Neige Sinno est touchante de sincérité et d'abnégation. En dévoilant son drame personnel, elle nous invite, tout au long de la lecture, à réfléchir à la manière dont notre société perçoit et juge les auteurs de viols sur mineurs, les bourreaux d'enfants, ces discrets criminels de la sphère privée… Un texte que j'ai lu l'estomac noué tout du long, mais que j'ai trouvé terriblement percutant, intelligent et juste.

Triste tigre” vient d'obtenir le prix du journal le Monde 2023.
Commenter  J’apprécie          412
Après 300 critiques, que dire de plus sur ce livre
Avant tout, c'est un bonne surprise
Pour être franc , j' étais un peu à saturation des récits multiples écrits sur le sujet, souvent des témoignages personnels écrits au premier degré
Livres témoignages indispensables pour mettre le sujet à la place qu'il mérite .Angot,Spingora,etc…
Mais point trop n'en faut
Avec Neige Sinno, on monte d'un cran, de plusieurs même
Elle raconte les viols répétés de son beau père de 7 à 14 ans
Affaire jugée, aveu du coupable, peine de prison puis, pour le violeur, une vie de couple à nouveau normale, avec enfants et sérénité
De quoi troubler beaucoup de femmes mais la loi est passée par là et le coupable a payé vis à vis de la société
Neige Sinno est une littéraire de formation
Rien d' étonnant qu'elle évoque la Lolita de Nabokov, Dante, la Shoah, Virginia Woolf et bien d'autres
Elle pose la question : pourquoi écrire ce livre ?
Et si oui, témoignage ou oeuvre littéraire. La réponse est évidente
Elle balaie les idées reçues
La première : il faut libérer la parole pour se délester du fardeau
Sous entendu, la parole permettrait de «  passer à autre chose » , de se « reconstruire « . Mots mis entre parenthèses tant ils sont répétés à l'infini .Freud doit être content
Pour Neige Sinno, ce sont des clichés
Non , il ne suffit pas de parler pour guérir et oublier de façon magique
Non, on n'oublie rien
Non, on ne pardonne pas
Oublions les formules stéréotypées : le lourd fardeau que les femmes traînent des années jusqu'à la révélation toujours tardive qui suffirait à le faire disparaître
Une femme peut raconter, témoigner ,en parler tout simplement mais, au final, la littérature ne sauve pas
J'ai beaucoup aimé ce livre
D'abord parce j'ai été surpris et épaté
Ensuite parce que Neige Sinno est la première à prendre de la hauteur sur le sujet alors qu'elle est elle-même une victime au sens commun du terme
C'est une vraie oeuvre littéraire, pleine de pudeur, pleine de hauteur
Elle reconnaît qu'elle n'a pas toutes les réponses, que la notion de bien ou de mal, de victime ou de monstre n'est pas manichéenne
C'est un livre qui fait vraiment avancer la réflexion sur le thème de l'inceste ou de la pedocriminalité
Je ne sais pas ce qu'en pensent les autres lecteurs de Babelio
Neige Sinno est un personnage touchant et attachant et surtout une vraie écrivaine
Bravo pour ce travail littéraire approfondi .
Commenter  J’apprécie          390
Encore un livre sur l'inceste… me direz-vous. Oui, mais pas n'importe lequel.
Neige, avec ce prénom beau comme une promesse, réussit l'impossible : ne pas s'apitoyer sur son sort, prendre le recul nécessaire, risquer l'empathie pour entrer dans la tête de son bourreau (son beau-père) et comprendre ses actes, sans haine apparente, le remerciant même d'avoir avoué et donc, d'autoriser sa condamnation.
Elle pose la question : « Qu'est-ce qu'il peut y avoir d'érotique chez un petit être aux genoux croûtés qui n'a pas encore perdu toutes ses dents, qui peut passer une heure à essayer d'attraper des lézards entre les pierres chaudes de l'après-midi ? » La réponse est d'une limpidité glaçante : « L'innocence, c'est ça qu'il y a à voir, la plus pure innocence. Et ce qui attire, c'est peut-être simplement la possibilité de la détruire ». D'ailleurs, rappelle l'auteure, un réseau de pédophiles s'était choisi le nom de « damagedforlife » - détruit pour la vie. Alors, juste le plaisir de souiller ?
Neige Sinno s'interroge, revisite les mythes (ex : Lolita de Nabokov), les certitudes (ex : le prédateur a forcément été victime dans sa jeunesse – une circonstance qui atténue les peines encourues) et parvient à la conclusion qu'un viol, au-delà de l'abjection du sexe forcé, est d'abord une manifestation de puissance. D'ailleurs, toutes choses égales par ailleurs, un spécialiste des crimes de guerre avait déclaré : si les soldats massacrent et violent impunément, c'est qu'ils pensent y être autorisés. « Ils violent parce qu'ils le peuvent » (p164).
Un livre impressionnant de lucidité et de sincérité (p200 et 254) à la fin duquel je me suis demandé : comment l'entourage de cette jeune fille (et notamment sa mère) a pu ignorer si longtemps ce qui se passait ?
Moins égocentrique qu'Angot, plus intelligent que Springora, « Triste Tigre » s'imposera comme une référence.
Bilan : 🌹🌹
Commenter  J’apprécie          396
J'ai du mal à m'autoriser à chroniquer ce livre. le récit est tellement personnel, autobiographie d'un jeune fille fracassée, démolie par un homme qui aurait dû la protéger. C'est révoltant, tous ces articles dits « faits divers » de viols, d'incestes, d'agressions sexuelles, deviennent La Réalité de l'une de nous, femmes, qui aimons la littérature. Oui mais là ce n'est plus de la fiction, c'est du réel, c'est la vie de Neige Sinno. Comment en parler après elle? Difficile voire indécent. Son calvaire mis en mots, porté en parallèle d'autres romans, tend à généraliser ces affaires de moeurs et à l'aider à supporter ces souvenirs horribles ? Quel courage d'être allée au bout de la démarche, d'avoir traîné son bourreau en justice. Mais quel gâchis pour elle qui doute même de ceux qu'elle aime, qui ne comprend pas et ne peut plus donner sa confiance à ses proches. Malgré son exil, loin de la France et de sa famille, malgré sa reconstruction d'un nouvel univers familial, elle traîne un mal-être, elle se sentira toujours salie, trahie… Pendant que l'agresseur, ayant purgé sa peine, blanchi, refait sa vie, apparemment sans souci. Comment accepter cela ?
La plume de Neige Sinno, alerte et crue lorsqu'elle témoigne, est très analytique lorsqu'elle philosophe sur sa vie, son devenir, ses errances intellectuelles et sa souffrance physique. Une auteure sortie de l'anonymat à grand fracas, censuré dans un lycée catholique morbihannais dans le cadre du Goncourt des lycéens. Mais une auteure encensée et récompensée par de nombreux prix. J'applaudis.
Commenter  J’apprécie          342
Ce récit autobiographique est un véritable coup de poing. C'est un texte puissant qui indigne et bouleverse. Longtemps, j'ai hésité à le lire. Aujourd'hui je relis certains passages et conseille cette lecture à toutes et tous.

Neige Sinno n'écrit pas seulement un témoignage ou une autobiographie racontant les années atroces pendant lesquelles elle a été violée régulièrement par son beau-pèrre. Ce texte inclassable est autre. Sa construction, ses qualités littéraires lui donnent une vraie singularité. Je l'ai lu comme un long cheminement fait des questionnements, de souvenirs des jours heureux et des jours d'atrocité, de prise de distance pour tenter d'analyser, de comprendre, de se connaître. Elle emprunte différents chemins, cherche une aide dans la poésie, la littérature de Toni Morrison ou christine Angot entre autres. Elle interroge la sociologie, la psychologie, la philosophie de Deleuze à Foucault. Elle convoque aussi le cinéma, se penche sur certains procès, lit des textes de rescapés de la Shoah. Elle examine la génèse et l'empreinte du traumatisme à travers différents prismes. Et tout cela dans une langue simple.

Dès le premier chapitre elle nous prend à contrecourant en nous confrontant au violeur:
"Le bourreau, en revanche, c'est autre chose". Etre dans une pièce, seul avec un enfant de sept ans, avoir une érection à l'idée de ce qu'on va lui faire. Prononcer les mots qui vont faire que cet enfant s'approche de vous, mettre son sexe en érection dans la bouche de cet enfant, faire en sorte qu'il ouvre grand la bouche. Ca, c'est vrai que c'est fascinant. C'est au-delà de la compréhension. Et le reste, quand c'est fini, se rhabiller, retourner vivre dans la famille, comme si de rien n'était. Et une fois que cette folie est arrivée, recommencer, et cela pendant des années..."
Comment comprendre? Qu'est ce qui fait qu'un jour une personne brise l'interdit, quitte la ligne de crête et bascule?

De manière non linéaire Neige Sinno nous fait naviguer entre un zoom sur son vécu décrit de manière crue et brutale et une mise à distance, une prise de hauteur qui permet l'analyse. C'est comme une spirale où toujours elle va plus loin dans les interrogations, les comparaisons et la recherche de réponses. C'est une quête d'elle même de l'enfance traumatisée à aujourd'hui. La blessure jamais refermée qui impacte toute une vie, influence les choix, nourrit les angoisses et les doutes. Tout a été travaillé, questionné, pensé. Pourtant, on le sent, le mal est toujours là, Neige Sinno l'appelle "le pays des ténèbres"
"Il est là, partout, il change la couleur et la saveur de toute chose. L'ignorer ou l'oublier n'est pas une option, car plus on le fuit, plus vite il vous rattrape. Mais on peut se maintenir au bord sans y pénétrer. Apprendre à rester sur le seuil de ce monde, voilà le défi..."

Neige Sinno questionne sa nécessité d'écrire sur ce sujet, questionne le comment l'écrire. Elle ne croit pas à l'écriture thérapie. Elle veut un texte "esthétiquement valable". Pour moi c'est le cas, Neige Sinno écrit un texte littéraire. Je pense que les nombreux prix reçus l'affirment.

Commenter  J’apprécie          320





Lecteurs (7052) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1722 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..