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EAN : 9782213721491
144 pages
Fayard (04/01/2023)
3.97/5   59 notes
Résumé :
Deux vies en parallèle. Celle d’Anissa, une adolescente qui vit à Argenteuil, et celle de Nora, trentenaire parisienne. La première est victime d’un harcèlement scolaire violent et finira par en mourir. La deuxième lutte sur tous les fronts à la fois, contre le sexisme et le racisme qu’elle endure au quotidien, et pour ne pas se laisser broyer par une relation de couple nocive.
Qu’est-ce qui les lie, sinon bien sûr de subir la brutalité du monde ? Et jusqu’a... >Voir plus
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Un assassinat trop ordinaire

Dans son second et court roman, Nesrine Slaoui s'empare d'un fait divers sordide pour explorer la place peu enviable des femmes maghrébines dans notre société. Victimes de harcèlement et sous emprise, elles doivent être très fortes pour s'en sortir.

Deux couples. Anissa et Dylan. Abel et Nora. Anissa est collégienne et mal dans sa peau. Elle aimerait tant ressembler à ces stars des réseaux sociaux, mais face à son miroir elle se rend bien compte qu'elle est loin d'avoir les formes et le teint de ces mannequins. Au quotidien, elle doit encaisser les remarques désobligeantes et les insultes, aussi bien à l'école que dans sa cité. Alors elle fait profil bas. Mais une lueur d'espoir se fait jour quand Dylan, un nouvel élève, la remarque et lui fait savoir qu'elle lui plaît. Via leurs smartphones, ils échangent des messages de plus en plus intimes. Lorsque Anissa interrompt la conversation pour aller se doucher, Dylan lui réclame une photo de son corps qu'elle finit par lui envoyer en lui faisant promettre qu'il ne la montrera à personne.
Nora vit aussi dans la cité, où elle est désormais le symbole de la réussite. Diplômée, elle a réussi à intégrer un grand groupe de cosmétique et espère bien gravir les échelons pour pouvoir offrir à ses parents un avenir meilleur. Quand elle rencontre Abel, elle voit la vie en rose. Mais très vite, elle doit déchanter. Abel s'avère peu fiable et volage et prend un malin plaisir à ne pas honorer les rendez-vous qu'il a lui-même fixés. «Dans la mécanique de leur couple dont il se voulait maître, il reproduisait un schéma conscient; celui d'un homme détaché face à une femme dévouée. Il hésitait, elle patientait. Il n'exprimait rien, elle parlait sans arrêt. Il s'autorisait à fauter, elle prouvait sa loyauté. L'un devait sauver l'autre; elle devait se sacrifier.»
Pendant ce temps, Nora va connaître la honte et l'humiliation. Pendant une sortie scolaire Dylan cette à la pression de ses amis et met la photo de la "salope" en ligne sans vraiment se rendre compte des implications. Après le conseil de discipline, il va vouloir se venger d'Anissa. le drame va se produire leur de leur rendez-vous sous la pile d'un pont en bord de Seine. Comme le souligne Patrick Besson dans son dernier roman, Ceci n'est pas un fait divers. C'est une onde de choc qui va secouer Nora, toute la famille, la cité et le pays tout entier.
En choisissant une écriture blanche – quasi journalistique – qui énonce les faits sans prendre parti, Nesrine Slaoui livre au lecteur les éléments d'un dossier explosif, le laissant libre de son interprétation. le délit de faciès, le poids de traditions patriarcales fortement ancrées et celui de la religion sont pour les jeunes femmes de lourds boulets à traîner. Avant même de pouvoir se choisir un avenir, elles doivent se lester de ce fardeau. Une mission très difficile, car elles ne peuvent compter sur le soutien de leur famille, murée dans un silence coupable. Elles restent Illégitimes, pour reprendre le titre du premier roman de Nesrine Slaoui qui confirme ici tout son talent.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Voici mon retour de lecture sur Seule de Nesrine Slaoui.
L'autrice nous fait découvrir deux vies en parallèle.
Celle d'Anissa, une adolescente qui vit à Argenteuil, et celle de Nora, trentenaire parisienne.
La première est victime d'un harcèlement scolaire violent qui risque de mal finir..
La deuxième lutte sur tous les fronts à la fois, contre le sexisme et le racisme qu'elle endure au quotidien, et pour ne pas se laisser broyer par une relation de couple nocive.
Qu'est-ce qui les lie, sinon bien sûr de subir la brutalité du monde ?
Et jusqu'au faudra-t-il aller pour en finir avec la violence des hommes ?
Seule est un court roman dans lequel j'ai eu un peu de mal à rentrer. Je ne comprenais pas le lien entre les personnages, et j'ai eu quelques difficultés à apprécier pleinement ma lecture au départ.
Et puis, les pages se tournent.. un peu.. beaucoup.. et à ma grande surprise j'ai été captivé par ma lecture, n'arrivant pas à le lâcher.
Anissa est une jeune fille qui vit à Argenteuil, elle est lynchée par ses camarades et c'est extrêmement violent. Cela va tellement loin que j'ai parfois eu les larmes aux yeux.
Nora est une jeune trentenaire qui vit à Paris. Elle vit une relation très malsaine avec un homme. Là aussi, cela m'a parfois mise mal à l'aise car il va trop loin. Nora est malmené par lui, s'en rend compte mais elle l'aime alors elle pardonne tout.. C'est tellement plus simple par moment de se laisser faire. Plus simple que se battre..
Deux personnages féminins dont le parcours est touchant et ne m'a pas laissé indifférente.
J'avoue que je n'avais pas vu venir le dénouement, pour l'une comme pour l'autre.
Tout comme je ne me doutais pas du lien entre ces deux femmes même si elles ont toutes deux des rapports houleux avec les hommes. de par leurs origines, elles sont victimes du racisme et la vie n'est pas facile pour elles.
L'autrice a réussit à m'emmener avec elle dans cette histoire marquante, que je n'oublierais pas de sitôt et qui, en plus, est inspiré de faits réels. Cela fait froid dans le dos.
Je vous invite à découvrir à votre tour Seule, que je note quatre étoiles.
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Alternance de vie de deux maghrébines. Une femme qui a une belle carrière et qui ne peut se détacher de son amant qui se comporte en vrai goujat. Une étudiante mal dans sa peau qui, pour exister, fera confiance sans penser aux conséquences. le lien qui les relie sort de l'ordinaire. Un récit poignant mais gênée par le style de l'écriture.
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Un court texte mais une sacrée histoire. le portrait de deux filles, qui m'a questionné, bouleversé.
L'auteure nous raconte la vie de deux jeunes filles :
Anissa, une adolescente qui vit à Argenteuil, et Nora, trentenaire parisienne.
La première est victime d'un harcèlement scolaire violent. La deuxième lutte sur tous les fronts à la fois, contre le sexisme et le racisme qu'elle endure dans son quotidien professionnel, et pour ne pas se laisser broyer par une relation de couple nocive.
Les chapitres s'alternent pour nous parler des douleurs, des questionnements de ces deux jeunes filles.
Un texte implacable sur les violences subies par des femmes. Après avoir lu et avoir été troublé par le texte de Patrick Besson, me revoila dans un texte qui nous parle de faits qui se passent ici et maintenant. L'auteure nous parle de harcèlement scolaire, de relations nocives, d'indifférence, de solitude...
L'auteure réussit, avec peu de pages, à nous parler de la vie de cette adolescence, qui essaie de s'intégrer dans sa classe, dans sa famille: des pages bouleversantes sur ses questionnements, ses espoirs, ses doutes. L'auteure nous parle des nouveaux moyens de communication, des groupes de washapp où les élèves partagent des sentiments, des haines.. Des pages terribles mais si cruelles de vérité. (un chapitre très impressionnant lors d'une visite scolaire au musée du Louvre, devant les belles statues antiques)
Il y a aussi le portrait de Nora, qui elle a réussi. Elle a fait des études. Elle est partie de la banlieue et semble avoir réussi sa vie professionnelle, malgré la nécessité de toujours faire ses preuves. Nora va nous raconter aussi sa vie personnelle et amoureuse. Sa relation novice avec Abel.
En peu de pages, l'auteure nous touche, nous bouleverse et je ne me risquerai pas à vous dévoiler les dernières pages.
Un texte bouleversant mais nécessaire car il nous questionne sur nos comportements, nos relations. Ce texte questionne aussi sur la nouvelle génération des immigrés, leur insertion, . Les deux jeunes filles doivent trouver leur place dans leurs familles (un père taiseux, une mère déçue et enfermée), dans leur cité (Nora quand elle revient passe pour une snob Parisienne), dans leur corps.
Je vais m'empresser de découvrir le premier de cette auteure car j'ai été happée par son écriture et les thèmes abordés. Un livre bouleversant avec une si belle couverture.
#Seule #NetGalleyFrance
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Tout d'abord, je tiens à remercier les Editions Fayard et Netgalley pour ce partenariat.

Inspiré de faits réels, Nesrine Slaoui nous raconte dans son roman l'histoire d'Anissa, adolescente, vivant à Argenteuil est victime de harcèlement scolaire. Nora, trentenaire, vivant à Paris, combat sans relâche contre le sexisme, le racisme, l'infériorité, victime d'un pervers narcissique. Quel lien unit ces deux personnages ? Jusqu'où ces deux histoires iront-elles ?

Quelles histoires difficiles et donc quelle lecture difficile émotionnellement !

Ici, Nesrine Slaoui, d'une écriture poignante et de manière engagée nous livre un roman qui, vu la société actuelle, est criant de vérité. Elle aborde énormément de thèmes qui sont très chers à mon coeur et qui sont pour moi, d'une importance inouie.

Le thème du harcèlement scolaire est un sujet très sensible pour moi mais je trouve qu'aujourd'hui, il est abordé plus facilement, on en parle de façon moins tabou et pourtant, il est toujours aussi présent et fait toujours autant de victimes, voire plus. Impossible à la lecture de ce livre de ne pas penser à Alisha, Marion, Yolan, Jonathan mais aussi plus récemment Lucas... Parce que ça ne devrait pas arriver, parce que ce monde est si cruel, parce qu'au fond, ça me fait mal... En même temps, est abordé l'addiction aux réseaux sociaux et l'importance que les adolescents apportent à ces derniers dans leur vie, mais surtout l'impact qu'ils ont sur leur quotidien.
Le thème de la violence faite aux femmes, qu'elle soit physique ou psychologique est ici très bien abordé avec le point de vue autant de Nora que d'Abel, pervers narcissique à mes yeux. C'est encore un sujet très tabou dans notre société et pourtant encore une fois aussi bien d'actualité. Comment faire comprendre aux personnes qu'elles sont victimes et non coupables ? Comment leur faire comprendre qu'il faut partir avant qu'il ne soit trop tard et qu'un drame arrive ?
Les thèmes du racisme, du sexisme sont aussi un sujet d'actualité, tous aussi sensibles que les autres, qui me font pas mal écho, d'une manière un peu différente.

Je pense que ce livre mérite d'être connu pour les thèmes abordés et l'engagement de l'auteure et qu'il serait intéressant de le proposer dans les collèges et les lycées.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
3 septembre 2021
Cité Champagne, Argenteuil
Dans les quartiers Nord de Marseille, à la Bricarde comme à la Castellane, centres névralgiques du trafic de stups où un minot meurt tué par balles de kalachnikov tous les quinze jours, les fenêtres offrent une vue de rêve et dégagée sur la mer Méditerranée. Une provocation, un horizon enviable faussement accessible car seule la plage de l’Estaque, la plus petite, l’est vraiment. Ici, cité Champagne, bien plus calme, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Paris, les balcons des logements sociaux offrent un panorama sur la capitale et ses monuments, au premier rang desquels la tour Eiffel, éclairée la nuit. Karim avait montré la vue à sa femme Yamina en dernier, comme une surprise, le jour de leur installation. Ils étaient étonnés, tous les deux, qu’un tel luxe s’invite jusque dans ces lieux retirés. C’était à se demander si les urbanistes et les architectes de ces grands ensembles cherchaient à amplifier le contraste entre ici et là-bas, ou au contraire à adoucir la tristesse abandonnée de cette cité d’Argenteuil. Ils imaginaient peut-être qu’en regardant au loin les habitants oublieraient la réalité à leurs pieds : les ascenseurs en panne, les halls imprégnés d’urine.

Au neuvième étage de sa tour, Anissa ne se souciait guère de l’horizon. Enfermée dans sa chambre, elle essayait de se prendre en photo avec son téléphone. Mais même en se hissant sur la pointe des pieds, ce qui allongeait ses jambes, et en courbant son dos pour accentuer ses fesses, aucun cliché n’était publiable sur Instagram. Pourtant, elle connaissait par cœur les astuces qui mettent en valeur une silhouette : se placer légèrement de profil, rentrer le ventre avec une main sur la taille. Quant au visage, elle évitait de sourire et gardait la bouche légèrement entrouverte pour figer ses traits fins. À force de parcourir les réseaux sociaux pendant des heures, tous les jours, elle appliquait leurs codes sans même s’en rendre compte. Mais, rien à faire : le reflet dans le miroir rectangulaire de sa chambre résistait à ses tentatives de domestication, et ce qu’elle tentait désespérément de photographier refusait de coïncider avec les autres profils qui défilaient sur l’écran. Sans filtre, sans artifice, son corps et son visage révélaient un physique ordinaire, ses imperfections, ses asymétries. Tout ça semblait loin de l’idéal calibré conçu de toutes pièces par les réseaux, de ses créatures, de ses fantasmes. Elle ne pouvait pas concourir, elle ne pouvait pas lutter. Et ce décalage entre sa réalité, modeste et émouvante, et ce à quoi elle voulait ressembler la torturait. Elle appréciait seulement son ventre plat d’adolescente. Le reste, elle le trouvait trop petit, trop filiforme, pas assez femme.

Dans sa classe de quatrième, quelques camarades arboraient de la poitrine, plus ou moins subtilement. Anissa s’observa quelques instants et ne trouva rien à mettre en avant. Enfin, rien de ce qu’Instagram valorise. Elle mesurait pourtant presque 1,70 mètre mais sans forme. Pas de seins, pas de fesses, pas de hanches ; ni lèvres pulpeuses, ni sourcils parfaitement dessinés ni faux ongles joliment colorés. Et même si elle prenait soin de ses longs cheveux noirs ondulés – leur appliquant tous les dimanches un mélange millimétré d’huiles végétales de ricin, de moutarde, de jojoba –, ils ne tombaient pas aussi joliment que sur les tutos des influenceuses. Anissa ne mesurait même pas la beauté de son teint olive – malgré ses petits boutons d’acné. Ses parents ne l’autorisaient pas encore à les cacher sous de l’anticerne, alors que beaucoup dans son collège se prêtaient déjà quotidiennement à l’art du maquillage. Elle aurait aimé s’entraîner, elle aussi, s’exercer à l’eye-liner – il fallait le pratiquer pendant des mois, voire des années, pour prétendre le maîtriser. Après une vingtaine d’essais qu’elle jugea infructueux, Anissa s’assit sur son lit et renonça à son selfie. Un jour j’aurai assez d’argent pour faire de la chirurgie esthétique. Cette perspective la réjouissait.

Son corps, elle le vivait comme un fardeau, il l’empêchait de plaire aux garçons qui, eux aussi, le comparaient à ceux des réseaux sociaux. Elle en était convaincue. À l’école, ils regardaient avec insistance celles dont les seins arrondissaient les pulls. Dans leur classement annuel des plus jolies filles, son nom n’apparaissait jamais. L’adolescente devait en plus composer avec les trouvailles shopping saugrenues de sa mère, qui privilégiait le confort et les prix bas, les matières bas de gamme, au bon goût ou à la mode. Elle grimaçait souvent sans oser rien dire devant les sacs remplis de pantalons de velours violets ou jaunes, trop grands, de pulls criblés de motifs enfantins – ribambelles de fleurs à paillettes, etc. Plus elle vieillissait, plus elle en avait honte, bien sûr. Pour se rendre en classe, elle portait presque exclusivement ce pantalon noir moulant aux fines rayures blanches verticales et les rares hauts un peu sobres qui lui plaisaient. Dans l’intimité de sa chambre, la jeune fille pouvait enfin extraire de leurs cachettes les tops courts achetés dans le dos de ses parents. Elle s’amusait alors à enfiler les minidébardeurs échancrés et colorés entassés dans une boîte à chaussures sous son lit. Ils ressemblaient à ceux qu’elle admirait sur les sites internet des grandes marques de fastfashion.

Ne pas exister sur Insta ravageait chaque jour davantage l’estime déjà faible qu’Anissa avait d’elle-même. Elle se trouvait de plus en plus laide. D’autant qu’elle subissait à n’en plus finir des moqueries au quotidien, sur sa grande taille, sur sa minceur. Parfois, avant de dormir, elle recevait d’un camarade de classe un texto où il était juste écrit « t’es moche ». Parfois, une dizaine de messages de ce genre arrivaient d’un seul coup dans une conversation de groupe sur Snapchat, avant de disparaître. Quand elle en parlait à des copines, qui n’en étaient pas, on lui reprochait sa susceptibilité. Anissa ne se sentait pas autorisée à se plaindre. Le harcèlement qu’elle endurait était d’autant plus douloureux qu’il ne laissait aucune trace apparente – nulle part.

Ce matin-là, alors qu’Anissa encaissait en silence ces humiliations depuis des mois, son corps prit la parole. Accumulées en elle, les unes après les autres, les insultes formaient, à force, une boule au fond de son estomac. J’ai mal au ventre, maman. Yamina n’y croyait pas. Elle soupçonnait un stratagème pour éviter l’école. Roh non tu vas pas commencer, tu vas y aller ! Elle ne pouvait pas savoir, Yamina, à quel point chaque jour passé là-bas mettait en danger la vie de sa fille. La femme de ménage l’enviait presque d’avoir la chance de pouvoir rester assise, sur une chaise, au chaud, à apprendre cette langue dont les interminables règles de conjugaison et de grammaire lui échappaient encore. Au Maroc, elle s’était mariée à peine majeure et avait rejoint ici son époux, installé depuis deux ans, en automne 1990. Malgré le stress, la perspective du long voyage en bateau, le sentiment d’arrachement, elle traîna ses valises, enceinte de leur premier enfant, de Casablanca à Tanger, pour embarquer. Elle avait dans un premier temps refusé de demander de l’aide avant de se laisser guider par un voyageur. Sans aucun repère, elle était perdue, ballottée dans la foule. Après deux nuits de solitude et de mal de mer, elle avait retrouvé Karim, son mari, qui l’attendait à Marseille, tout fier, devant sa Peugeot 205. Ils filèrent en direction du nord, en silence. Ils ne le brisèrent que pour parler du Maroc, Yamina déjà nostalgique de ce pays qu’elle venait de quitter.

Voilà, c’est ici chez nous ! Le chez nous, dans cette phrase prononcée en darija, sonna presque ironiquement, quand il se gara, en début de soirée, dans cette banlieue parisienne de l’Ouest. Yamina n’avait pas imaginé Paris comme ça : un gruyère de tours de béton blafardes, immenses et décevantes. Tu verras la tour Eiffel depuis l’appartement, elle est encore plus belle de loin. Karim lui apprenait déjà à rester à l’écart, comme lui. L’immigré évitait d’approcher la France de trop près, même si elle semblait les accueillir, il redoutait encore l’hostilité des regards, les réflexes trop souvent cruels des anciens colons.

Les années qui suivirent leur installation à Argenteuil – si loin du doux soleil, de l’air marin et de l’agitation familière de Casablanca –, la mère de famille s’occupa du foyer. Elle n’entreprit de travailler qu’après l’entrée en maternelle d’Anissa, la petite dernière, qui fêtait cette année ses quatorze ans. Le père, lui, fut d’abord manutentionnaire cariste chez Dassault Aviation avant de rejoindre l’entreprise de maçonnerie d’un ami. Les produits chimiques l’avaient bousillé, les gestes répétitifs, à force, aussi. Leur quotidien dans cette cité du Val-d’Oise ressemblait à celui de millions d’autres immigrés.

Dans les années 1970, au pied du bâtiment incurvé – qui constitue à lui seul tout le quartier –, des champs d’asperges s’étendaient encore sur la terre des Coteaux, progressivement rasés et remplacés par des pavillons. La cité ouvrière au nom festif, construite à la hâte au pied de la butte des Châtaigniers dans une frénésie d’urbanisation, se targuait à l’époque d’une vraie convivialité bercée par les valeurs du communisme. Tout se trouvait à proximité, au pas de la porte : un boulanger, un charcutier, un marchand de journaux, un cordonnier, une mercerie et deux coiffeurs. Il y a vingt ans, la solidarité régnait encore. Le quartier vivait au rythme des fêtes et des activités organisées par l’association locale. Tout s’est arrêté et les commerces ont fermé. Il ne reste qu’un salon de coiffure, une pharmacie et une pizzeria tenue par les jeunes habitants du coin : l’amicale des locataires leur en avait confié la direction pour les aider, les occuper, et tenter de calmer les tensions avec les baqueux. Peu de temps auparavant, sur l
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𝑰𝒍 𝒏𝒆 𝒔’𝒂𝒈𝒊𝒔𝒔𝒂𝒊𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒍𝒂̀ 𝒅𝒆 𝒍𝒂 𝒇𝒓𝒂𝒚𝒆𝒖𝒓 𝒅’𝒖𝒏 𝒉𝒐𝒎𝒎𝒆 𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓𝒆𝒖𝒙, 𝒄’𝒆́𝒕𝒂𝒊𝒕 𝒑𝒍𝒖𝒕𝒐̂𝒕 𝒍’𝒂𝒏𝒈𝒐𝒊𝒔𝒔𝒆 𝒎𝒂𝒍𝒂𝒅𝒊𝒗𝒆 𝒅’𝒖𝒏 𝒑𝒓𝒆́𝒅𝒂𝒕𝒆𝒖𝒓 𝒂̀ 𝒍’𝒊𝒅𝒆́𝒆 𝒅𝒆 𝒔𝒆 𝒓𝒆𝒕𝒓𝒐𝒖𝒗𝒆𝒓 𝒔𝒂𝒏𝒔 𝒑𝒓𝒐𝒊𝒆. 𝑼𝒏𝒆 𝒅𝒆́𝒑𝒆𝒏𝒅𝒂𝒏𝒄𝒆 𝒂𝒖𝒔𝒔𝒊 𝒑𝒖𝒊𝒔𝒔𝒂𝒏𝒕𝒆 𝒆𝒕 𝒑𝒖𝒓𝒆 𝒒𝒖’𝒖𝒏𝒆 𝒅𝒓𝒐𝒈𝒖𝒆 : 𝒔𝒆 𝒗𝒐𝒊𝒓, 𝒔𝒆 𝒅𝒆́𝒄𝒉𝒊𝒓𝒆𝒓, 𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒔𝒆𝒎𝒃𝒍𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒔𝒆 𝒑𝒆𝒓𝒅𝒓𝒆, 𝒚 𝒄𝒓𝒐𝒊𝒓𝒆 𝒂̀ 𝒆𝒏 𝒄𝒓𝒆𝒗𝒆𝒓, 𝒕𝒐𝒖𝒕 𝒄̧𝒂 𝒆𝒙𝒂𝒍𝒕𝒂𝒊𝒕 𝒆𝒏 𝒆𝒖𝒙 𝒍𝒂 𝒑𝒆𝒖𝒓 𝒆𝒕 𝒍𝒂 𝒅𝒐𝒑𝒂𝒎𝒊𝒏𝒆, 𝒍𝒆 𝒎𝒂𝒏𝒒𝒖𝒆 𝒆𝒕 𝒍𝒂 𝒇𝒊𝒆̀𝒗𝒓𝒆 𝒅𝒖 𝒔𝒐𝒖𝒍𝒂𝒈𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕, 𝒃𝒓𝒆𝒇, 𝒖𝒏𝒆 𝒂𝒅𝒅𝒊𝒄𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒆𝒙𝒕𝒓𝒆̂𝒎𝒆 𝒄𝒐𝒏𝒇𝒐𝒏𝒅𝒖𝒆 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒄𝒆 𝒒𝒖’𝒊𝒍 𝒄𝒓𝒐𝒚𝒂𝒊𝒕 𝒂𝒖𝒕𝒂𝒏𝒕 𝒒𝒖’𝒆𝒍𝒍𝒆 : 𝒊𝒍𝒔 𝒗𝒊𝒗𝒂𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒍𝒆 𝒈𝒓𝒂𝒏𝒅 𝒂𝒎𝒐𝒖𝒓 𝒅’𝒖𝒏𝒆 𝒗𝒊𝒆.
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Dans la mécanique de leur couple dont il se voulait maître, il reproduisait un schéma conscient; celui d’un homme détaché face à une femme dévouée. Il hésitait, elle patientait. Il n'exprimait rien, elle parlait sans arrêt. Il s’autorisait à fauter, elle prouvait sa loyauté. L'un devait sauver l’autre; elle devait se sacrifier. p. 67
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La théorie, elle la connaissait, l'histoire millénaire de la domination masculine aussi, mais, dans la pratique, en sortir était plus inconfortable que de s'y soumettre ; la violence est parfois si familière aux femmes qu'imaginer un autre fonctionnement relationnel, s'extraire de la norme, se révèle plus étrange, plus désagréable, car il faut alors réinventer l'ensemble des bases, seule, tout en étant continuellement rappelée à l'ordre par le reste du monde.
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Les femmes en sont les réelles victimes. Mais les hommes aussi souffrent de ne pas savoir aimer, d'une quête de validation par leurs pairs qui repose sur leur force physique ou sur l'argent. Et même s'ils accumulaient à l'infini des signes ostentatoires de virilité - du nombre de leurs conquêtes à la marque de leur voiture - rien ne comblera jamais ce qu'il leur a été retiré : la conviction que leur valeur fondamentale ne dépend en rien de tout ça, qu'ils sont avant tout des êtres imparfaits et sensibles, parfois fragiles.
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Vidéo de Nesrine Slaoui
Chaque année, près d'un élève sur dix serait concerné par un harcèlement scolaire. L'État a-t-il trop longtemps négligé ce fléau ? Comment lutter contre le harcèlement ? Pour répondre à ces question Guillaume Erner reçoit Catherine Blaya, professeur en sciences de l'éducation et Nesrine Slaoui, journaliste.
#enseignement #harcelementscolaire #education ____________ Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
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