Pendant toute la lecture, on s'interroge sur ce sous-titre de "roman", le fait que ce soit publié chez Fayard "roman", d'ailleurs ce mélange des genres lui est reproché sur babelio où les critiques sont sévères, sur une tendance au narcissisme notamment. Certes, à partir du moment où l'on décide de parler de son parcours atypique pour révéler des dysfonctionnements sociétaux, on est un peu obligé de parler de soi. Certes, on peut regretter que les données pourtant souvent très intéressantes ne soient pas rigoureusement sourcées afin d'apporter davantage de crédibilité au propos. Mais peut-être que l'étiquette roman est justement là pour apporter une souplesse, un lâcher prise : quand on a déjà pas mal passé de temps à bosser et à se battre et qu'on est parvenu à avoir une audience, on pare au plus court, au plus simple, au plus large et au plus pressé : on se contente de raconter, et c'est déjà pas mal !
C'est l'étiquette d'illégitime qui est en elle-même un roman, une histoire, un conditionnement structurel qu'on se raconte, où que l'on soit sous le soleil social, sans même avoir besoin d'ouvrir la bouche. Un agglomérat d'opinions, de reproduction et d'inconscient qui nous imprègne tous. C'est une réalité qui se nourrit de nos fictions, de la même façon que la science-fiction peut parfois devenir bien plus réaliste que les récits qui voudraient se faire passer pour tels.
Je voulais lire
Illégitimes parce que j'ai l'intuition d'une familiarité entre ruraux et banlieusards. L'intuition d'une nécessité de resserrer les coudes de ces populations aux destins bien moins étanches, aux modes de vie bien moins opposés qu'on voudraient nous le faire croire. Une soumission aux mêmes aléas, aux mêmes diktats, à la même illégitimité, avec juste quelques paramètres qui changent, qui font pencher les balances, l'origine ethnique, l'accès aux services publics, à la nature, aux tentations du consumérisme, tout cela conjugué à toutes les nuances d'aquabonisme ambiant et hérité, versus révoltes sourdes.
Le mérite de
Nesrine Slaoui est entre autres de soigner les citations qu'elle retient en début de chapitre : notamment celle de
Jack London dans
Martin Eden, celle de Jamel Debbouze, et ma préférée, celle de
Faïza Guène dans
La Discrétion.
Certes, j'avais passé un meilleur moment de lecture avec
Rhapsodie des oubliés de
Sofia Aouine, je rejoins les critiques sur le côté patchwork et un peu impulsif.
Mais tout comme ce qui m'a le plus choquée et fait réfléchir dans La Pensée blanche de
Lilian Thuram (très bien sourcée par ailleurs), c'est la citation de
Victor Hugo dans son discours sur l'Afrique, on peut se réjouir qu'ici aussi,
Nesrine Slaoui explore à travers le "roman" ce qui devrait faire le coeur du journalisme : sa fonction de passeur, de médiation, de réflexion et de partage.