Huon de Bordeaux (édition bilingue)

Huon de Bordeaux est une des oeuvres médiévales les plus singulières qu'il nous soit donné. Cette chanson de geste, l'une des dernières de son époque et du genre épique, écrite entre la fin du XIIIeme siécle et le début du XIVeme siécle, dont on ne connait guère l'auteur, aurait pu sombrer dans l'oubli et disparaître dans les mémoires, étant une fois de plus une histoire se situant au temps du roi Charlemagne, consacré à un héros qui triomphe de ses ennemis, voit mille merveilles avant d'épouser une princesse à la fin pour y vivre heureux jusqu'à la fin de ses jours. Une histoire banale si elle ne comportait pas une part importante qui aura frappé ses contemporains et aura joué un rôle majeur dans la littérature mondiale par la suite puisque parmi les personnages accompagnant notre Huon, il y a le féetaud Aubéron... si ce nom vous dit quelque chose, c'est normal c'est bien le même Obéron le roi féerique qui s'amuse des mortels et de son épouse Titiana dans la plus célébre des comédies romanesques du grand William Shakespeare et une des pièces les plus jouées de son répertoire et même au monde, le Songe d'une nuit d'Ete. Eh oui c'est de cette curiosité médiévale que le plus fameux des dramaturges a tiré son personnage extravagant, l'oeuvre originale ayant connu un franc succés en Angleterre. C'est donc de Huon de Bordeaux qu'on doit en partie à la pièce envoutante de Shakespeare et que rien que cela peut intéresser et donner envie à se plonger dedans, et on n'y regrette pas.
Au temps de l'empereur Charlemagnes dit Charles dans le roman, le jeune hardi Huon est le fleuron de la chevalerie, aimé par le roi Charles qui décide d'abdiquer pour son fils Charlot. Mais Amaury un ambitieux retors veut la perte de Huon et orchestre un guet-apens au cours duquel Charlot meurt et Huon est accusé de sa mort. Huon parvient à prouver son innocence lors d'un combat mais le roi Charles, aigrie et aveuglé par son chagrin, bannit Huon mais proposant à ce dernier s'il veut revenir à la cour, il doit accomplir l'exploit suivant : se rendre à la lointaine Babylone et affronter son roi Gaudisse qui a tué tous ceux qui l'ont défié pour le faire reconnaître vassal du bon Charles. Partant en route, Huon fera la rencontre d'un être surnaturel qui l'aidera dans sa quête, fils de la fée Morgue et de Jules César (eh oui c'est possible), le bel Aubéron... parviendra-t-il avec l'assistance du petit elfe de réussir son aventure et de retrouver son rang perdu et ainsi laver sa réputation ?
Ainsi est ce résumé très lacunaire il faut le dire de l'intrigue d'Huon de Bordeaux. Il s'en passe en effet beaucoup de choses dedans. Des combats, des voyages, des trahisons et de la magie en garnissent la chanson de geste, qui va de rebondissement en rebondissement. Un récit donc loin d'être ennuyant et poussif comme certains pourraient croire. le guet-apens est tendu et le combat pour défendre l'innocence d'Huon est empli de suspense et de fureur. Nous visitons avec Huon la fantaisiste Babylone qui symbolise bien l'attrait de l'Orient dans une Europe qui l'a découverte au cours des croisades, Orient bien imaginaire toutefois, car aucun de ses habitants "sarrasins" ne portent des noms locaux : on peut penser au roi géant Gaudisse à et sa sublime fille, la princesse Esclarmonde qui fera tourner la tête à notre héros.
C'est bien cependant Aubéron qui est le plus développé de tous les personnages et il n'est pas étonnant pourquoi il va inspirer le fils de Stradford-upon-Avon. Il introduit la féerie au milieu des exploits militaires rien que dans sa première apparition stupéfiante ou il semble plus brillant et plus beau que le soleil et offre deux objets magiques capitales pour la progression du héros, une hanap d'or qui rafraichie ceux au coeur pur mais reste vide pour le pêcheur qui le tiendrait, un cor d'Ivoire que si on souffle Aubéron intervient : la féerie qui vient en aide à Huon quand il est mal au point, avec la venue de Malabron lutin aquatique venant sauver le chevalier de la noyade sous forme de poisson à la rapidité du suamon. Une féerie codifié avec Aubéron qui croit en Dieu et mettant des interdits à Huon comme on en retrouve souvent dans les contes féeriques ou les fées mettent des épreuves à leurs protégés afin de s'assurer de leurs fidélités, épreuves qui sont souvent bafoués d'ailleurs et qu'en fera autant Huon. Car on n'abuse pas impunément des dons accordés aux fées ! Et la féerie amicale et souriante peut se montrer, surtout dans la dernière partie ou Huon décide de juger ceux qui l'ont trahi, cruel et impitoyable. On reconnait sans peine alors l'Obéron malicieux et parfois féroce de la pièce, et qui vient plus loin que notre Aubéron puisque les spécialistes en mythologies et légendes peuvent y remonter à l'antagoniste et vicieux Alberich nain des mythes germaniques qui veille jalousement tel un dragon sur le trésor des Nibelungen et qui sera un peu responsable de la crépuscule des dieux, précipitant tout le malheur de celui qui l'affrontera, Siegrfried. Que l'auteur se soit inspiré d'une source mythique pour une histoire se passant à une époque ou Charlemagne dominait toute l'Europe, surtout sur la Germanie et que la croyance aux nains et elfes était vivace malgré les efforts de l'Eglise ne soit pas une surprise et est même la preuve de la survivante des légendes paiennes dans la littérature médiévale qui nous transmettra les codes du fantastique et surtout de la fantasy.
Pleine de grâce et de charme malgré les poncifs attendus d'une chanson de geste avec des combats stéréotypés et certains passages de l'intrigue cousu de fil blanc, Huon de Bordeaux est une jolie pépite à découvrir pour les amateurs du Moyen-Age et les passionnés des récits féeriques, rien que pour voir la prime apparence du célèbre compagnon de Titania.